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L'école des paysans

Filles et garçons dans l’enseignement agricole Origine, formation, insertion [2000]

11 Janvier 2019 , Rédigé par Michel Boulet Publié dans #Histoire de l'école des paysans

Après un rappel historique permettant de repérer l’apparition de la mixité dans l’enseignement agricole, j’examinerai comme second point, l’importance des effectifs féminins et masculins, je tenterai ensuite de savoir qui sont ces filles et ces garçons, puis où sont les filles dans l’enseignement agricole et, enfin, nous verrons ce qu’est le devenir professionnel des filles et des garçons à l’issue de leur passage dans l’enseignement agricole.

En préalable, il est un point que je veux souligner, à savoir que les travaux concernant la place des filles et des garçons dans l’enseignement traitent le plus souvent de la situation dans les formations générales et dans la période de scolarité où se retrouvent à peu près tous les jeunes. Donc, par définition, les filles et les garçons ont normalement accès à égalité à la formation, et on procède assez aisément à des comparaisons qui permettent par exemple de dire qu’aujourd’hui les filles réussissent mieux que les garçons et ont des parcours d’étude un peu plus longs qu’eux.

Nous nous trouvons ici dans une situation différente puisque nous sommes dans un enseignement professionnel, ce qui veut dire d’une part, qu’il y a déjà la question de l’entrée, c’est-à-dire du choix d’orientation fait par les jeunes et leurs familles entre la poursuite d’études dites générales, selon le parcours traditionnel, ou l’entrée dans l’enseignement professionnel ; puis au sein de cet enseignement professionnel, l’orientation vers l’enseignement agricole. D’autre part, il convient de prendre en compte lorsque l’on parle d’enseignement professionnel, du lien avec les professions, les métiers, et nous verrons que la place des filles et des garçons dans l’enseignement est fortement dépendante de la place des hommes et des femmes dans les métiers auxquels prépare l’enseignement professionnel agricole. C’est-à-dire qu’on ne peut pas raisonner en disant que l’importance des garçons et des filles dans telle ou telle filière de formation est uniquement la conséquence de leur parcours scolaire, les uns ayant mieux réussi que les autres. Cette importance est également en relation avec les métiers préparés, et la place des femmes et des hommes dans ces métiers. Par conséquent, les comparaisons me paraissent plus délicates à faire, en particulier pour répondre à la question : « que peut, ou que ne peut pas l’enseignement agricole pour permettre des parcours moins différenciés entre les garçons et les filles ? ».

Cette réalité de l’enseignement professionnel, on la constate dès les débuts de l’enseignement agricole, celui-ci est d’abord fait pour des hommes, et non pour des jeunes, puisque, lorsqu’il est fondé en 1848, les personnes qui entrent dans cet enseignement ont au moins seize ans, pour l’époque ce sont donc des adultes, et ce sont uniquement des hommes. L’accueil des jeunes filles, et non pas des femmes, dans des écoles féminines n’aura lieu qu’à partir de 1884 et ce qui est à noter, c’est que ces premières écoles sont des écoles pratiques de laiterie. On forme des jeunes filles pour qu’elles s’occupent de ce qui est de la responsabilité de la femme dans l’exploitation agricole, c’est-à-dire la petite laiterie familiale. Traditionnellement la femme vend les produits laitiers et ceux de la basse-cour et ces ressources servent à faire vivre le ménage. A partir de la fin du XIXe siècle il y a bien deux enseignements agricoles distincts selon le sexe.

Dans l’enseignement supérieur, dès le début du XXe siècle, on affirme que les jeunes filles ont droit à entrer dans les écoles supérieures, écoles nationales (Grignon, Rennes, Montpellier) et Institut national agronomique. Mais, il faut attendre 1917 pour voir paraître le premier texte officiel ouvrant les portes de l’Agro aux femmes : j’ai repéré effectivement une jeune fille dans la promotion 1918 et deux l’année suivante, et ce n’est que deux ans plus tard qu’il y en a une nouvelle, et ce pour des promotions comptant entre 59 et 145 étudiants ! Dans les écoles nationales d’agriculture la situation est pire. En 1918, une nouvelle loi sur l’enseignement agricole est votée, où le législateur affirme que les filles ont droit aux mêmes formations et au même niveau de formation que les garçons, mais il conforte un enseignement féminin parallèle à l’enseignement masculin, y compris dans le supérieur où le ministre de l’Agriculture a créé, en 1912, l’école supérieure d’enseignement agricole et ménager installée à Grignon, pour un enseignement d’un an et demi donné durant l’été quand les garçons ne sont pas là …  En 1921, une loi « corrige » celle de 1918 en instituant des écoles nationales d’agriculture spécialement réservées aux jeunes filles, en fait une seule voit le jour, à Coëtlogon-Rennes en 1923. Ce n’est qu’en 1943 que les écoles nationales sont enfin ouvertes aux jeunes filles sous réserve qu’elles soient externes, conséquence de cette politique, il faut attendre 1945 pour noter la présence d’une fille à Montpellier, 1950 à Grignon et 1952 à Rennes. L’argument avancé dès le début du siècle par les responsables des écoles, est un argument qui va servir très longtemps, il s’énonce ainsi : « nous sommes favorables à la venue des jeunes filles, mais nous avons des problèmes d’accueil car nous n’avons pas d’internat mixte ». Il s’agit, bien évidemment d’un prétexte, mais il porte.

L’existence de deux systèmes séparés va se maintenir après la Seconde Guerre mondiale. L’enseignement féminin qui, selon la loi, doit préparer les filles au même niveau que les garçons, assure en réalité des formations d’un niveau beaucoup plus bas, préparant les futures épouses d’agriculteurs, les futures mères et les futures ménagères. On apprend toujours aux jeunes filles à s’occuper de la basse-cour, de l’élevage des lapins, de la transformation du lait des vaches de la famille. Cependant, dans ces formations va être développé un domaine très important, l’hygiène, et notamment l’hygiène infantile et de la famille. Ce qui m’amène à considérer que, même s’il est possible de formuler des critiques sur l’image et la place qu’on réserve aux filles, cet enseignement féminin va jouer un rôle majeur dans le développement social du milieu rural, et dans la manière dont vont être transformées les conditions de vie, notamment des familles agricoles. Ces jeunes femmes, ainsi formées, vont agir et revendiquer des conditions d’hygiène et des conditions de vie plus décentes et vont progressivement dans les années 1950, affirmer à leurs époux ou à leurs pères que dépenser de l’argent pour améliorer l’habitat, pour avoir un confort plus important, est aussi nécessaire qu’investir dans la production agricole. Ceci entraînera, bien sûr, des conflits que vous pouvez imaginer. Mais, en matière d’enseignement professionnel, on demeure dans cette logique de séparation des filles et des garçons, et de la préparation de la jeune fille à une insertion relativement traditionnelle dans la société rurale.

Après le vote de la loi du 2 août 1960 qui va moderniser l’enseignement agricole, la situation change, l’enseignement agricole est chargé de deux missions simultanées, d’une part la formation professionnelle des agriculteurs et techniciens de l’agriculture et de l’agroalimentaire, d’autre part, face à l’insuffisance du nombre de collèges d’enseignement général ruraux, la formation générale de jeunes ruraux, afin de permettre à ces jeunes garçons et filles de s’orienter vers des métiers hors agriculture. C’est la période où les pouvoirs publics affirment très clairement qu’il y a trop d’agriculteurs, et qu’il convient que l’enseignement agricole contribue à la diminution de cette population.

Dans ce qui s’appelle alors les collèges agricoles féminins, une partie de la formation est moins professionnelle que celle des collèges agricoles masculins. De fait, on va plutôt assurer la formation des futurs professionnels de l’agriculture dans les collèges et lycées masculins, alors que dans les collèges féminins (puisqu’il n’y aura pas de lycées féminins à l’époque), on va plutôt orienter les filles hors de l’agriculture, même si, bien sûr, une partie d’entre elles va rester sur les exploitations agricoles.

Le rapport sur le décret du 20 juin 1961, portant application de la loi du 2 août 1960 sur l’enseignement et la formation professionnelles agricoles, déclare en ce qui concerne l’enseignement féminin : « La femme peut accéder à toutes les formes d’enseignement agricole prévues au titre I er du décret, et donc atteindre un degré de culture, un niveau de formation professionnelle et des titres équivalents à ceux de l’homme. » Mais il précise aussitôt que « les programmes devront être adaptés en vue de permettre à la femme d’assumer pleinement son triple rôle au sein de la vie rurale : familial, professionnel et social. » Ce qui conduit à « prévoir les établissements destinées à former les professeurs dans les disciplines spécifiquement féminines […] qui sont indispensables au développement de l’enseignement agricole féminin et à la préparation des cadres supérieurs féminins dont la profession agricole a besoin. »

Il y a à la fois, l’idée de parité de niveau et de culture et, en même temps, l’affirmation que pour atteindre cette parité, on doit continuer à avoir des établissements spécifiques pour les jeunes filles et des centres de formations d’enseignants distincts.

Voilà quelle est la situation juste après la loi de 1960, période de très grand développement de l’enseignement agricole, tant féminin que masculin, avec un important effort d’élévation des niveaux de formation. Il faut noter qu’à la fin des années 50, la grande majorité des jeunes de l’enseignement agricole était scolarisée à un niveau à peine supérieur au certificat d’études agricoles, dans ce qu’on appelait les « cours postscolaires agricoles ». Après 1960, on va élever les niveaux de formation, afin de préparer garçons et filles à s’insérer dans une société qui est en plein développement économique. Il n’y a pas de problème à l’époque pour trouver des emplois à la sortie, mais on continue à orienter professionnellement les jeunes filles vers des métiers considérés comme féminins et les garçons soit vers l’agriculture, soit vers l’encadrement technique de l’agriculture.

Puis, vers la fin des années 60, et notamment après 1968, va grandir l’idée qu’il convient de réaliser la mixité dans l’enseignement, que l’on ne peut pas continuer à maintenir cette ségrégation entre garçons et filles. Mais le changement est difficile à concrétiser, on demeure au niveau du discours et non des actes. Au milieu des années 70, les organisations syndicales de l’enseignement agricole continuent de réclamer une véritable mixité, alors qu’existent toujours des établissements distincts.

Ainsi en 1973, le SNETAP « condamne l’enseignement agricole sexué, tant féminin que « masculin », [….] dénonce l’existence de formations professionnelles spécifiques, basées essentiellement sur l’EFR [économie familiale rurale], […] exige que soit reconnu aux élèves filles le droit à l’exercice d’un métier équivalent, à diplôme égal, à celui des garçons. Insiste pour que les formations professionnelles soient réellement mixtes […]. »1

A cette époque, constatant qu’il existe assez de CEG en milieu rural, les autorités recentrent l’enseignement agricole sur sa mission principale, la formation professionnelle agricole. Parallèlement, on repère des métiers qui correspondent aux possibilités d’emploi des jeunes filles, selon la vision des responsables de l’enseignement agricole et des familles. Ce que présente le tableau ci-dessous, ce sont les métiers considérés comme offrant des débouchés normaux pour les jeunes filles.

Formations et secteurs d’emploi féminins

SANTÉ, SERVICES SOCIAUX

CAPA employée familiale

BEPA auxiliaire sociale en milieu rural

HORTICULTURE, FLORICULTURE, ENVIRONNEMENT

CAPA cultures florales

CAPA pépinières

BEPA productions florales

BTSA productions florales

BTSA protection de la nature

TOURISME RURAL

CAPA tourisme rural

BEPA entreprise agricole et accueil en milieu rural

BEPA agriculture, élevage et activités annexes

ENSEIGNEMENT, ADMINISTRATION (Économie familiale, économat)

BTA pratique agricole et domestique

BTA collectivités rurales

SECRÉTARIAT, DACTYLOGRAPHIE

BEPA secrétariat d’organismes agricoles et para-agricoles

BTA économie agricole

LABORATOIRE, CHIMIE, BIOLOGIE

BEPA agent de laboratoire

BTA laboratoire agricole

BTSA laboratoires d’analyses biologiques

COMMERCE

BEPA distribution et commercialisation des produits agricoles

BTA transformation, distribution et commercialisation des produits

D’après J. Caniou2

On trouve dans le secteur relié à l’agriculture, le tourisme à la ferme, l’horticulture (mais uniquement pour s’occuper des fleurs et non des productions de grands champs).

Autre secteur auquel les femmes sont « prédestinées », celui des emplois « d’agent de bureau et de secrétaire », correspondant au fort développement, durant cette période, des organisations d’encadrement de l’agriculture, où se manifestent des besoins en matière de travail de bureau, de dactylo et de secrétariat. Le secteur de la vente, vente des produits agricoles, vente des produits de l’agro-alimentaire est également qualifié de féminin.

Le travail de laboratoire est, lui aussi, considéré comme féminin, les jeunes femmes paraissant plus attentives, faisant preuve de plus de dextérité manuelle, ce qui conduit à ouvrir des formations depuis le BEPA jusqu’au BTSA. Enfin, on commence à développer des formations pour des métiers qui ne sont pas spécifiques au milieu rural, travailleuse familiale, travail social, métiers de la santé etc... ce qu’on rassemblera sous les termes « services en milieu rural ».

Au total, dans ces années 70, on note un renforcement de la coupure entre garçons et filles en matière de formation professionnelle, et, en même temps, l’existence d’un débat sur la nécessité de faire disparaître un enseignement féminin distinct. C’est après 1972, qu’est décidé le passage à la mixité, ravivant le fameux problème de l’internat et de la vie dans des collectivités où se retrouvent garçons et filles.

Ce que je voudrais dire, pour terminer cette partie rétrospective, c’est qu’il n’est pas seulement utile de parler des secteurs professionnels, il est également intéressant de parler de la distinction entre enseignement public et enseignement privé, et de s’intéresser au niveau de formation. Je ne veux pas vous abreuver de chiffres, mais nous pouvons dire qu’entre 1965 et 1980, l’enseignement public offre plutôt les filières longues préparant au BTA et au BTSA, et l’enseignement privé, plutôt des filières courtes, allant vers le CAPA et le BEPA. Cette offre de formation différenciée va avoir des conséquences sur la manière dont filles et garçons vont s’orienter au sein de l’enseignement agricole. Pour l’illustrer, j’ai pris deux dates à un peu plus de dix ans d’intervalle :

  • en 1967-1968 sur 100 filles qui entrent dans l’enseignement agricole, 86 choisissent le privé. Et on constate que sur 100 filles qui sont dans l’enseignement agricole, il y en a 91 qui sont en cycle court, donc en CAPA-BEPA. Autrement dit, 9 filles sur 10 terminent en 3 ans leur formation à un niveau BEP, essentiellement dans le secteur des services. Sur 100 garçons qui entrent à la même date, il y en a 52 dans le public, la tendance est donc inverse, et ils sont encore 77 en cycle court.

Ce qu’on peut noter, c’est qu’à l’époque et cela continue dans la période suivante, l’attitude des familles agricoles et d’une partie des familles rurales vis-à-vis de l’école était de considérer qu’il n’était pas nécessaire pour les garçons, compte tenu des débouchés prévus, de suivre une formation longue. Les familles agricoles, même si le jeune garçon réussissait très bien à l’école, l’orientaient le plus tôt possible vers l’enseignement professionnel agricole et le faisait sortir assez vite, à un niveau BEPA. C’est dire que, dans ces années-là, les garçons qui abandonnaient les études à la fin de la terminale BEPA, n’étaient pas forcément des jeunes en échec, mais plus souvent des jeunes qu’on destinait aux métiers de l’agriculture. Par contre, pour les jeunes garçons qu’on destinait à des métiers hors production agricole, tels ceux de l’encadrement de l’agriculture, les familles étaient conscientes qu’ils avaient besoin d’un niveau de formation plus élevé, elles les orientaient vers le BTA voire le BTS. Quant aux filles, les familles se situent en général dans la logique qui veut qu’une jeune fille « en saura toujours assez ». Si elle a un BEP, elle pourra faire un métier dans les services, et puis elle se débrouillera, sous-entendu elle va bien se marier et puis.... on ne va quand même pas investir dans la formation des jeunes filles.

  • Durant l’année 1978-79, sur 100 filles qui entrent dans l’enseignement agricole, il n’y en a plus « que » 75, ce qui est encore largement majoritaire, ayant choisi le privé, la tendance est à l’élévation du niveau de formation, elles sont 84 en cycle court et non plus 91. Pour les garçons, il y a un renversement complet, puisqu’ils sont à 55 % dans le privé. Pourquoi ? Parce que le niveau de l’offre de formation du privé s’est élevée et qu’on a ouvert des filières de BTA-BTS. Or, pendant longtemps, les familles agricoles ont privilégié l’enseignement privé, agricole ou non, elles ont donc retrouvé la possibilité de scolariser leurs enfants dans le privé agricole, alors qu’auparavant elles les envoyaient dans le public en l’absence d’une offre de formation adaptée dans le privé. Ces jeunes garçons ne sont plus qu’à 62 % dans le cycle court, contre 77 dix ans plus tôt, il y a donc là une très forte élévation du niveau de formation.

A la fin des années 70, l’enseignement agricole est officiellement mixte, c’est dire que les jeunes filles peuvent entrer dans les mêmes établissements que les garçons, mais elles se retrouvent toujours dans certaines formations et la question que nous nous poserons sera de savoir si leur orientation est choisie ou subie. Ce que j’ai constaté lors de ma mission sur l’échec scolaire au début des années 803, c’est que dans la majorité des cas, cette orientation est subie, tant dans les établissements publics que privés. A l’entrée, les directeurs et les enseignants expliquent aux jeunes filles qu’elles ne peuvent pas choisir n’importe quelle filière. Ainsi, lorsqu’une jeune fille a envie de suivre une formation dans le secteur de la production, on lui explique - et ce n’est pas entièrement faux - que, compte tenu des possibilités de débouchés, elle prend des risques. Je verrais, par exemple, dans certains établissements publics, que l’on fait signer aux jeunes filles un papier où elles s’engagent à trouver elles-mêmes les stages qu’elles doivent suivre, car le lycée ne peut s’en charger ; ce papier est, bien sûr, totalement illégal. On affirme ainsi aux filles qu’elles sont les égales des garçons, mais qu’elles ne peuvent suivre les mêmes formations qu’eux. La jeune fille qui a vraiment envie de suivre une formation dans certains secteurs liés à la production agricole, doit donc être prête à se battre, avec l’aide de sa famille, pour trouver des stages.

J’ai envie de dire qu’il existe une mixité d’hébergement, les problèmes d’internat ayant été à peu près réglés semble t-il, par contre il n’existe pas réellement une mixité dans la formation, en partie pour des raisons objectives qui renvoient à la division entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, et en partie, en raison d’une vision subjective des métiers. Je me souviens d’avoir eu des discussions dans un établissement où des enseignants m’expliquaient qu’on ne pouvait pas former des jeunes filles aux métiers de la forêt, parce que c’était trop dur physiquement. Je leur avais répondu qu’une enquête faite à Dijon, sur les métiers de la métallurgie, avait mis en évidence que les tâches les plus dures, celles attribuées aux O.S., étaient effectuées par des jeunes femmes, et que leur métier était bien plus pénible que les métiers de la forêt tels qu’on les pratiquait au début des années 80 et pourtant les chefs d’entreprises n’hésitaient pas à recruter des femmes ! En fait, ces arguments renvoyaient au fait que certaines professions étaient fermées aux femmes par les professionnels eux-mêmes, et l’enseignement ne faisait que suivre, dans la mesure où ce n’est pas l’enseignement qui va faire totalement changer les possibilités d’accès aux métiers. Voilà la situation qui prévalait à la fin des années 70.

Nous allons maintenant nous consacrer, pour la période suivante, à l’étude de l’importance des effectifs féminins. Les tableaux 1 et 2 [voir les tableaux en annexe] concernent l’ensemble de l’enseignement agricole en repartant de la période la plus ancienne pour laquelle on dispose de statistiques fiables.

Le tableau n° 1 met en lumière le fait que les effectifs féminins ont été en baisse au début des années 70, puis ont connu une relative stabilisation, suivie d’une augmentation à partir du début des années 90. Ceci se voit mieux avec les pourcentages utilisés dans le tableau n° 2, où il apparaît que la période de baisse a duré jusqu’à l’année 1977-78, je vous rappelle qu’au début des années 70 l’enseignement s’oriente vers la production agricole et, par conséquent, les formations féminines sont en recherche de définition et l’accueil des jeunes filles est plus difficile. La part des effectifs féminins est à peu près stable jusqu’au début des années 90 et plus précisément son accroissement se fait à partir de l’année 1992-93. Cela correspond probablement à l’ouverture de formations plus nombreuses dans les filières du secteur technico-commercial (BTA et BTSA) où se retrouvent plus de jeunes filles, puis ensuite dans le secteur des services.

Lorsqu’on regarde la répartition entre public et privé, on peut dire que les filles s’orientent plus vers le privé que vers le public. On observe ce mouvement sur les tableaux n° 3 et 4. Dans l’enseignement public, la part des filles augmente depuis le début de la période, et l’on peut dire sans exagération, qu’il n’y a jamais eu autant de filles dans l’enseignement public.

Dans l’enseignement privé on a, au contraire, connu au départ une période où il y avait plus de filles que de garçons, puis les courbes se croisent en 1973-74, et depuis 1995-96 il y a de nouveau plus de filles que de garçons.

La rénovation

Depuis le début de la rénovation de l’enseignement agricole en 1984-85 jusqu’à aujourd’hui, quelles sont les grandes tendances ? Les effectifs de filles ont connu une très forte augmentation, 57 % entre 1984-85 et 1999-2000. Cette croissance des effectifs féminins s’est faite d’abord au niveau BTS, où les effectifs ont été multipliés par 4 et au niveau BTA où les effectifs ont été multipliés par plus de 3, autrement dit l’augmentation des effectifs s’accompagne d’une orientation vers les niveaux plus élevés. Cette observation concerne l’ensemble des secteurs, la tendance est encore plus évidente si on se limite au public, dans le privé il y a un certain temps de retard. [cf tableaux 5 et 6]

En ce qui concerne les garçons pour la même période, les effectifs ont augmenté d’environ 30 %, donc quasiment moitié moins, et ils ont augmenté aussi plus dans les niveaux BTS et BTA, mais beaucoup moins, bien sûr, que les filles, puisque pour le niveau BTS leurs effectifs a été multiplié par 2,2 et pour le niveau BTA, par 1,5. [Tableau 7]

Autrement dit, cet accueil des filles dans l’enseignement agricole, se fait de façon nouvelle et me semble-t-il - ce n’est qu’une hypothèse - probablement avec une orientation beaucoup plus positive, beaucoup moins subie que durant la période antérieure. Les jeunes filles font le choix de formations plus élevées pour une raison simple, vérifiée par les chiffres : avec une formation de niveau BTS on a plus de chance d’avoir un statut assez proche de celui des hommes, qu’avec un niveau BEP, et c’est encore mieux avec le niveau Ingénieur. Les filles qui souhaitent avoir une insertion sociale comparable à celle des hommes ont intérêt et je pense que c’est de plus en plus clair quand on regarde les métiers, à prendre des niveaux de diplômes élevés, sinon elles se retrouvent le plus souvent dans les emplois non qualifiés et précaires.

Nous en avons confirmation avec les tableaux qui présentent l’importance en 1999-2000 des effectifs féminins selon le niveau. Dans l’enseignement public la répartition est relativement équilibrée du niveau V au niveau III, dans l’enseignement privé, il y a toujours une moindre part des filles au niveau III.

Origine socioprofessionnelle

Nous arrivons ensuite à la question de savoir qui sont les filles présentes dans l’enseignement agricole. Une difficulté se manifeste aussitôt en raison du manque de données de base détaillées, il y a probablement pour vous des observations à faire dans les établissements eux-mêmes. Ce qu’on constate en 1999-2000 c’est :

  • dans l’enseignement public, le groupe le plus important est celui des filles d’employés (24,7%), suivies des filles d’ouvriers (18,2%), puis d’agriculteurs (13,7%) et de professions intermédiaires (13,1%). Dix ans plus tôt, les plus nombreuses étaient les filles d’agriculteurs (23,9%), puis celles d’ouvriers (18,6%) et d’employés (18,5%). Cette population d’enfants d’ouvriers et d’employés est d’ailleurs une des caractéristiques d’un enseignement professionnel ; les enfants de cadres et de chefs d’entreprise allant plutôt dans l’enseignement général.

  • Dans l’enseignement privé, le groupe le plus important est celui des filles d’ouvriers (27,7%), suivi par celui des filles d’employés (25%), puis d’agriculteurs (9,4%). En 1988-1989, les plus nombreuses étaient déjà les filles d’ouvriers dont l’importance était la même (27,7%), suivies par les filles d’agriculteurs (21%) et d’employés (16,8%). Le recul de la place des filles d’agriculteurs est spectaculaire, les amenant à un importance plus faible que dans l’enseignement public.

Pour les garçons, ce qu’on constate, c’est :

  • dans l’enseignement public, le groupe le plus important est celui des fils d’agriculteurs (26,9%), suivi de celui des fils d’employés (21,4%), puis d’ouvriers (14,6%), et de professions intermédiaires (12,6%). Dix ans plus tôt, la hiérarchie était identique, mais le groupe des fils d’agriculteurs était beaucoup plus important (41,5%), et celui des fils d’employés beaucoup moins (14,5%).

  • Dans l’enseignement privé, le groupe le plus important est également celui des fils d’agriculteurs (24%), mais il connaît un net recul (47,7% dix ans plus tôt) suivi par celui des fils d’employés (21,5%) en augmentation ( 13,5% en 1988-1989), et celui des fils d’ouvriers en augmentation également (18,7% contre 12,7%).

 

Il y a donc plus d’enfants d’agriculteurs dans l’enseignement public que dans l’enseignement privé parce qu’ils sont plus nombreux à souhaiter suivre des formations de niveau BTS et que l’offre de formation BTS est plus importante dans l’enseignement public que dans le privé. Dans le public comme dans le privé, l’importance des filles d’agriculteurs augmente avec le niveau, il en est de même pour celles de cadres et de professions intermédiaires. Par contre cette part diminue pour les filles d’ouvriers et d’employés.

Autrement dit, il n’y a pas, me semble-t-il, de changement d’attitude des familles, par rapport à l’enseignement privé, mais il y a le fait que dans notre pays, le choix entre public et privé, se fait aujourd’hui surtout par rapport à l’offre de formation et non pas par rapport à des valeurs qui feraient que l’on dirait : « je suis partisan de l’enseignement privé, j’envoie mes enfants uniquement dans l’enseignement privé, et je suis pour l’enseignement public, je les envoie dans l’enseignement public ».

Des sociologues de l’éducation ont fort bien montré qu’en France la majorité des familles ont envoyé leurs enfants alternativement dans l’enseignement public ou privé selon leurs besoins de formation, les changeant de secteur en cas de difficultés scolaires, voire d’échec, ainsi que selon l’offre de formation, en particulier la proximité géographique de l’établissement et les perspectives d’emploi à la sortie.4

Répartition selon les options

Voici ensuite un petit tableau [tableau 10] avec des options « féminines » ou « masculines », simplement pour vous montrer avec quelques chiffres, qu’effectivement il y a toujours aujourd’hui des options différentes selon le sexe des élèves. Ceci peut se chiffrer, puisque je vous rappelle qu’en 1999-2000 globalement, il y a 43,8 % de filles, et 56,2 % de garçons dans l’enseignement agricole. Parmi les différentes options « féminines », celle où la proportion de filles est la plus faible, est le BTSA « industries agroalimentaires » où leur part atteint tout de même 57 %. Il y a donc effectivement une orientation des filles plutôt vers certaines options et des garçons plutôt vers d’autres options, et ceci à tous les niveaux de formation.

Par ailleurs, on note que les filles se retrouvent majoritairement dans certaines options, ceci à chaque niveau, avec une « polarisation » vers le BEPA « services » puisque au niveau BEPA, les

trois quarts des filles s’y retrouvent, et que sur l’ensemble des filles inscrites dans l’enseignement agricole, près d’une sur trois (29,3%) est dans cette option, et même plus dans le privé (36,5%). La situation est différente au niveau du BTS où la répartition est beaucoup plus diversifiée puisque l’option la plus « féminine », ANABIOTEC, ne regroupe que 14% des effectifs féminins à ce niveau. Autrement dit, si dans les niveaux bas, les filles s’orientent ou sont orientées de façon privilégiée vers certaines options, au niveau du BTS, elles choisissent plus largement.

En 1999-2000

En CAPA, plus des deux tiers des filles (69,6%) sont dans l’option « employé d’entreprise agricole »

En BEPA, les trois quarts des filles (75%) sont dans l’option « services », soit 60,3% dans la spécialité « services aux personnes »

En BTA, plus de neuf filles sur dix ( 92,7%) sont dans l’option « Commercialisation et services », soit 77% dans la spécialité « services en milieu rural »,

En Bac techno, plus de huit filles sur dix (81,3%) sont dans l’option STAE

En Bac pro, près d’une fille sur deux (43%) sont dans l’option « conduite et gestion de l’entreprise agricole »

En BTSA, l’option regroupant le plus de filles, « industries agroalimentaires » ne représente que 18,9% des effectifs féminins.

Près d’un tiers de l’ensemble des filles (29,4%) sont inscrites dans le BEPA « Services », elles sont 36,5% dans le privé.

Si l’on constate, dans une première lecture, qu’il y a de plus en plus de filles dans l’enseignement agricole et donc qu’elles y ont plus facilement accès, dans la réalité on s’aperçoit qu’elles sont toujours présentes dans certaines formations et exclues d’autres, notamment dans les niveaux CAPA, BEPA et BTA, Bac pro, Bac techno. La situation est tout autre dans le supérieur court et même dans le supérieur long, puisque dans les écoles d’ingénieurs aujourd’hui, il y a une majorité de filles, ce qui représente un renversement complet de situation.

Cela me semble confirmer que les jeunes filles qui ont une stratégie offensive d’entrée dans la vie sociale et professionnelle suivent des parcours les amenant au plus haut niveau possible, parce qu’effectivement avec un diplôme d’enseignement supérieur elles ont des chances d’avoir une place à peu près à parité, ce qui n’est pas le cas aux niveaux inférieurs. De plus, si l’on regarde les parcours scolaires, les filles ont des taux de réussite supérieurs aux garçons, probablement parce qu’elles ont des motivations plus claires et fortes et une relation à la formation plus positive.

Pour terminer cet exposé, intéressons-nous au devenir selon le sexe. [cf annexe]

Chaque année à la demande de la DGER, nous réalisons à l’ENESAD des enquêtes sur le devenir des jeunes diplômés sortis 45 mois plus tôt de la formation. Je m’appuie sur les enquêtes conduites de 1996 à 1999. Je noterai, tout d’abord, que les jeunes femmes poursuivent plus souvent des études, qu’elles ont une entrée dans la vie active plus rapide que les garçons, à niveau équivalent, mais souvent en emploi précaire et, enfin, qu’elles ont, à tous les niveaux un taux de chômage très supérieur à celui des hommes, même si ces dernières années la situation s’améliore globalement.

Que peut-on retenir concernant les secteurs d’emploi selon le diplôme obtenu et selon le sexe ? Les hommes titulaires du BEPA sont majoritairement dans l’agriculture et c’est vrai également pour les BTA, mais entre les deux enquêtes cette part a diminué pour les BEPA et augmenté pour les BTA.5 Les jeunes femmes ayant le BEPA sont essentiellement dans le tertiaire, très peu s’orientent vers l’agriculture, cette répartition apparaît stable. Avec le BTA, elles travaillent également dans le tertiaire, et ceci de plus en plus souvent, puis dans les industries liées à l’agriculture, notamment dans l’agro-alimentaire. Enfin pour les titulaires du BTSA, les hommes se répartissent entre agriculture et activités liées à l’agriculture, avec une tendance à la hausse des diplômés travaillant dans le secteur agricole, et une baisse de ceux allant dans le tertiaire. Les jeunes femmes sont un peu plus souvent que les hommes dans les activités liées à l’agriculture, mais surtout elles s’orientent nettement plus vers le tertiaire.

Pour aller plus loin dans l’analyse des parcours, on peut se reporter aux documents de synthèse, les « 4 pages » publiés chaque année par la DGER et largement diffusés. On trouve également une analyse de l’évolution en annexe du document présentant le 3e schéma national prévisionnel des formations de l’enseignement agricole6.

Enfin, à la demande de l’Observatoire national de l’enseignement agricole a été réalisée une enquête auprès des diplômés de 1995 des écoles d’ingénieurs et des écoles vétérinaires.7 Sans entrer dans une analyse détaillée, je tiens à souligner que, 45 mois après la sortie de l’école, les femmes et les hommes, ingénieurs diplômés, ont des situations comparables - les salaires féminins demeurant cependant inférieurs - ce qui est nouveau, alors qu’il y a encore une dizaine d’années, les femmes avaient beaucoup plus de mal à trouver un emploi correspondant à leur diplôme. Ce changement est-il la cause de l’entrée beaucoup plus forte de jeunes filles dans l’enseignement supérieur agronomique ou en est-ce la conséquence ? Je ne peux répondre aujourd’hui.

Pour conclure, il me semble que dans l’enseignement agricole, nous assurons aujourd’hui, l’accueil, dans de bonnes conditions, sous un même toit, des garçons et des filles. Mais, ces deux populations sont différentes socialement, et les secteurs de formation qui les accueillent sont également distincts. En schématisant, il m’apparaît que nous avons toujours deux enseignements agricoles, un masculin et un féminin.

Le maintien de deux secteurs différents selon le sexe à l’intérieur de l’enseignement agricole, est d’autant plus explicable que, ainsi que je le notais au début de mon propos, nous sommes dans un enseignement professionnel et donc que les conditions d’accueil sont fortement dépendantes de la place des hommes et des femmes dans les métiers de référence. L’orientation ne peut sous-estimer ces différences entre métiers, sous peine d’engager des jeunes, en particulier les filles, vers des formations qu’ils ne pourront valoriser.

Mais un mouvement s’amplifie qui voit les jeunes filles investir progressivement les parcours de réussite et les niveaux de formation plus élevés. Plus elles sont présentes dans les niveaux IV (BTA, bac) et III (BTSA), plus elles sont en mesure d’entrer dans des options qui jusqu’à présent leur étaient fermées. Ce mouvement lent, mais important lorsqu’on l’observe sur dix ans, semble conduire à une indifférenciation qui se manifeste déjà dans les enseignements supérieurs longs, et qui apparaît au niveau BTSA.

Michel BOULET

 Conférence lors d'une session de formation de personnels de l'enseignement agricole. Publiée dans RAISKY, Claude, dir. Masculin – Féminin. Dijon, ENESAD, 2000, 176 p.

Notes

1 Congrès de Roanne du Syndicat national de l'Enseignement agricole public, SNETAP-FEN, souligné dans le texte.

2 CANIOU, Janine. L’enseignement agricole féminin de la fin du XIXe siècle à nos jours. Thèse de sociologie de l’éducation, Université Paris V, direction : Viviane Isambert-Jamati, 1980, 316 p.

3 BOULET, Michel. Bâtir l’enseignement agricole de la réussite des jeunes et du développement rural - Rapport au ministre de l’Agriculture, février 1983 – Paris, Ministère de l’Agriculture - DGER, 1983, 57 p. + annexes.

4 LANGOUET, Gabriel et LEGER, Alain. Ecole publique ou école privée ? Trajectoires et réussites scolaires- Paris, Editions Publidix/Editions de l’Espace européen, 1991, 187 p. ; LANGOUET, Gabriel et LEGER, Alain. Le choix des familles. Ecole publique ou école privée ? - Paris, Editions Fabert, 1997.

5 Ceci est la conséquence de l’obligation d’avoir le niveau du BTA pour obtenir les aides de l’Etat à l’installation.

6 Ministère de l’Agriculture et de la Pêche – DGER. Troisième schéma prévisionnel national des formations de l’enseignement agricole 1998-2002. Paris, Ministère de l’Agriculture et de la Pêche-DGER s/d POFEGTP, 1998, 53 p + annexes.

7 BOUDIER, Marc. Ecoles supérieures agronomiques : l’insertion des diplômés 1995. Ministère de l'Agriculture et de la Pêche / Université des Sciences sociales de Toulouse - OVE, février 2000, 51 p. ; une synthèse est incluse dans : Observatoire national de l’enseignement agricole. Rapport 1999 . Dijon, Educagri éditions, 2000, 220 p. ; pp. 27-59.

Filles et garçons dans l’enseignement agricole Annexes

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