L'enseignement agricole d'une loi d'orientation à l'autre 1960 - 1998 [1998]
Je résumerai mon intervention de la façon suivante :
La loi de 1960 c'est
* La fin du mythe de l'unité d'intérêt de tous les agriculteurs
* La cogestion État - organisations professionnelles agricoles « reconnues ››
* La priorité à l'enseignement privé considéré plus proche du monde professionnel
* Aucune programmation, aucun pilotage démocratique du développement de l'enseignement agricole,
Les lois de 1984 ce sont
* La prise en compte des agricultures et l'élargissement aux métiers ruraux,
* La fin de la cogestion ( ?)
* L'élaboration, avec un fort consensus, de nouvelles relations entre l’État et les établissements privés
* La rénovation d'ensemble de l'enseignement technique, de l'apprentissage et de la formation professionnelle agricoles
* Un développement élaboré démocratiquement (schéma national et schémas régionaux)
La loi du 2 août 1960 constitue une rupture radicale dans l'évolution de l'enseignement agricole en France.
Au XIXe siècle, l'enseignement agricole s'est constitué sous la forme de « l'exploitation agricole-école ».
Dans les années 1880 l’enseignement supérieur agricole évolue et se structure par référence à l'Université et à la liaison privilégiée avec la Science. Dans les niveaux moyens et élémentaires, qu'elles soient publiques ou d'initiative privée, les institutions existant à la fin de la Seconde Guerre mondiale ont en commun un lien étroit avec l'activité économique et sociale agricole, l'intervention d'enseignants dont la compétence première est technique et non pédagogique, l'utilisation de locaux dont l'enseignement n'est pas la vocation exclusive, une pédagogie reposant sur le voir et le faire.
La société rurale d'où avaient émergées ces institutions a disparu rapidement après la Seconde Guerre Mondiale, lorsqu'en quelques années, sans que l'enseignement agricole n'ait gagné en importance, des progrès sans précédent ont transformé les conditions et les résultats de l'activité agricole.
Les professeurs d'agriculture, les ingénieurs des services agricoles, appuyés par les instituteurs agricoles, cherchant à atteindre le plus grand nombre par des actions diversifiées, y compris par le tract, l'affiche, la radio et le cinéma. C'est ainsi que diffusent les innovations, que s'accumule un capital de savoirs et de compétences qui circule au sein des réseaux villageois qu'ont mis en évidence les ethnologues st sociologues ruraux, et qui fonctionnent encore aujourd'hui. Les agriculteurs qui utilisent ces institutions demeurent réticents face aux écoles d'agriculture dont l'enseignement leur parait plus éloigné des réalités et "théorique". Nous y voyons l'explication majeure du faible développement de l'enseignement agricole en établissement.
Le RGA de 1955 met en évidence que seuls 1,9% des exploitants agricoles ont eu une formation professionnelle agricole, ils sont 16,4% parmi les moins de 25 ans. Ce qui conduit la revue Paysans, dans un numéro spécial sur la formation professionnelle agricole paru en 1958, à écrire qu'un tel résultat suffirait à « rayer la France du groupe des nations qui se disent modernes. »
Les dirigeants de la Cinquième République ont pour objectif de moderniser la France qui va devoir libérer ses colonies, c'est le « retour à l'hexagone ››.
Le 13 novembre 1959, est constituée la Commission RUEFF ~ ARMAND, du nom des deux hauts fonctionnaires qui vont la présider successivement, chargée d'étudier les obstacles à l'expansion économique et de proposer les moyens de les supprimer. Le rapport, remis en juillet 1960, s'intitule « Vaincre les obstacles à l'expansion économique ».
Quatre axes sont retenus :
* intervention directe de l’État dans l'économie ( contre le libéralisme),
* concentration des entreprises en vue de la concurrence internationale ( mise en place du Marché commun, indépendance des anciennes colonies françaises, …),
* transformation des conditions de travail et modernisation accélérée,
* contrôle par l’État des grands moyens d'information pour participer au débat sur les objectifs du développement économique et social.
En ce qui concerne l'agriculture, le rapport affirme qu'elle constitue un frein pour toute l'économie, il convient donc de :
* réformer les structures afin d'agrandir les exploitations,
* moderniser les techniques de production,
* abandonner le protectionnisme,
* aider au développement de l'exode rural.
Sur tous ces points il y a rupture avec la politique agricole antérieure.
Dès le mois de février 1959, l'indexation des prix agricoles a été abandonnée.
En janvier 1960, Michel Debré réunit un groupe de travail, réunissant des hauts fonctionnaires et des représentants des organisations professionnelles agricoles, afin de préparer une loi-cadre agricole. La FNSEA demandant l'augmentation des prix agricoles, la loi est préparée uniquement par des techniciens.
Au congrès de février 1960 de la FNSEA, un des vice-présidents, Mangeart, déclare : « Il faut développer l'agriculture rentable, commerciale, celle qui produit. C'est pour elle et uniquement sur elle que doit être conçue la politique agricole. Sur 2 260 000 exploitations agricoles, 790 000 sont de complément ou de subsistance. » Il s'agit, là encore d”une rupture majeure avec la conception ancienne de l'unité paysanne.
A partir d'avril 1960 s'engagent les débats sur 6 lois concernant l'agriculture, afin dit Michel Debré de « fixer l'orientation de l'agriculture française pour une génération et même davantage. » Il ajoute que l'agriculture « demande à être rentable, elle demande à pouvoir profiter du progrès scientifique et technique, elle demande enfin pour ses produits une commercialisation moderne. »
- loi créant les parcs nationaux ( 22 juillet)
- loi de programme relative aux investissements agricoles (30 juillet)
- loi sur le remembrement, l'irrigation, le boisement (2 août)
- loi sur l'enseignement agricole (2 août)
- loi d'orientation agricole (5 août)
- loi sur l'assurance maladie des agriculteurs (décembre)
La loi d'orientation « a pour but d'établir la parité entre l'agriculture et les autres activités économiques :
1° En accroissant la contribution de l'agriculture au développement de l'économie française [...]
2° En faisant participer équitablement l'agriculture au bénéfice de cette expansion [...], afin de porter notamment la situation sociale des exploitants et des salariés agricoles au même niveau que celui des autres catégories profissionnelles1 ;
3° En mettant l'agriculture, et plus spécialement l'exploitation familiale, en mesure de compenser les désavantages naturels et économiques auxquels elle reste soumise comparativement aux autres secteurs de l'économie. » (Article 1er)
Par son article 2, la loi précise que « la politique agricole a pour objet de promouvoir et favoriser une structure d'exploitation de type familial, susceptible d'utiliser au mieux les méthodes techniques modernes de production et de permettre le plein emploi du travail et du capital d'exploitation […] ». Et l'article 7 indique qu'il s'agit « d'une exploitation mise en valeur directement par deux unités de main-d’œuvre. »
Ces orientations marquent la fin de « l'économie paysanne » (Fernand Braudel), l'entrée de l'agriculture dans l'économie de marché, la société industrielle.
La loi du 2 août 1960 sur l'enseignement et la formation professionnelle agricoles, présentée par le ministre Henri Rochereau, et surtout Michel Debré, transforme et développe rapidement ce secteur de l'enseignement.
Il s'agit de contribuer à la modernisation de l'agriculture en favorisant la diffusion des connaissances scientifiques et techniques et en améliorant les compétences des agriculteurs. Plusieurs principes sont affirmés :
* la complexité croissante des processus de production et l’accélération du progrès technique exigent de la part de tous les travailleurs de plus en plus de connaissances et d”habileté ;
* la réforme de l'enseignement doit prendre en considération les aspects sociaux et humains de la profession d'agriculteur ;
* les différentes catégories socioprofessionnelles doivent avoir accès à une formation générale de même niveau et de même valeur ;
* l'enseignement agricole devra s'adapter en permanence aux besoins de l'économie agricole.
La mission de l'enseignement agricole est :
* « de donner aux élèves, au-delà du cycle d'observation et d'orientation, une formation professionnelle associée à une formation générale, soit d 'une façon permanente, soit selon le rythme approprié ;
* d'assurer une formation professionnelle de qualification et de spécialisation aux futurs agriculteurs, techniciens et cadres de l 'agriculture, ainsi que la formation de moniteurs et de conseillers agricoles ;
* de préparer pour la profession agricole, les professions connexes et l'administration de l'agriculture, des exploitants hautement qualifiés, des cadres supérieurs, des chercheurs, des économistes, des ingénieurs, des professeurs et des vétérinaires. » (art. 1er)
En outre, « l'organisation de l'enseignement et de la formation professionnelle agricoles, soit au cours de la scolarité obligatoire, soit au-delà, doit permettre à tous les élèves le passage à un niveau supérieur d'études et de formation professionnelle dès qu'ils sont aptes à en bénéficier. A chacun des niveaux de l'enseignement et de la formation professionnelle agricoles, le ministre de l'Agriculture, en accord avec le ministre de l’Éducation nationale, ou tout autre ministre intéressé, prend les dispositions susceptibles de permettre à tout élève de s'orienter en cours d'études vers une formation de nature différente. Inversement, les élèves provenant d'une autre formation devront pouvoir accéder à l'enseignement ou à la formation professionnelle agricoles de même niveau. (art. 3)
L'enseignement agricole doit donc atteindre un double objectif :
- préparer les futurs travailleurs des secteurs agricole, agro-industriels, de l'administration, de la recherche et de l'enseignement, mais également
- faciliter à tous les niveaux le passage vers le, et en provenance du, reste du secteur éducatif.
Cela signifie assurer à la fois une formation générale et une formation professionnelle, et donc transformer profondément les programmes, ainsi que rendre les diplômes comparables à ceux de l'Educatíon nationale. Les établissements changent de nom pour devenir lycées et collèges agricoles.
Cependant les responsables de l'enseignement agricole affirment hautement sa spécificité, marquée notamment par sa liaison avec l'agriculture. Ils souhaitent également en faire un terrain d'innovations pédagogiques et éducatives.
L'enseignement agricole se présente dès lors comme un système parallèle au système d'enseignement général et professionnel.
Deux orientations politiques importantes vont marquer la loi sur l'enseignement agricole et son application :
- La prise en compte la réforme de 1959 de l’Éducation nationale qui a fait des classes de 6e et 5e un cycle d'observation et d'orientation, et la loi Debré du 31 décembre 1959 qui assure l'aide de l’État à l'enseignement privé par le système des contrats, dont le « contrat simple » qui respecte le « caractère propre » des établissements. Le Premier ministre estime que l'apport de l'enseignement privé est indispensable pour faire face à la forte demande de scolarisation.
- Pour répondre aux besoins de modernisation de l'agriculture, les organisations professionnelles agricoles, OPA, revendiquent un changement dans la nature de leurs relations avec l’État. Il s'agit « d'établir jours après jours des compromis »2 entre l'Etat et la Profession, ce qui fait que celle-ci « s'engage aux côtés de l’État pour l’application de la politique définie en commun. »3 Cette cogestion de la politique agricole est symbolisée à partir de 1961 par la rencontre de Michel Debatisse, secrétaire général du CNJA et du ministre de l'Agriculture, Edgard Pisani.
La pression des OPA et de l'enseignement privé depuis de nombreuses années, conduisent à réaffirmer la tutelle du ministère de l'Agriculture sur l'enseignement agricole. Ce ministère « constitue aux yeux des familles paysannes un lien permanent entre les organisations du monde agricole et l’État (sic). »4 Alors que l’Éducation nationale, avec les instituteurs et institutrices agricoles, qui est la seule forme de scolarisation de la majorité des futurs agriculteurs, apparait hostile aux professionnels.
L'article 4 de la loi précise que sera assurée « l'existence dans chaque département, notamment, d'un nombre de lycées ou de collèges agricoles publics et d'établissements d'enseignement ou de formation professionnelle agricoles privés reconnut, nécessaires à la satisfaction des besoins de l'agriculture, compte tenu des demandes des familles rurales et des organisations professionnelles. »5 Le poids des OPA est ainsi reconnu, de même que le rôle de l'enseignement privé mis sur le même pied que l'enseignement public. Les modalités d'aide à l'enseignement privé sont plus larges que dans le secteur relevant de l'Éducation nationale et ne prévoient pas de contrôle pédagogique.
A la veille de la réforme, l'enseignement agricole comprend de nombreux centres, publics et privés, dépendant de l'Agriculture ou de l’Éducation nationale, assurant des formations postscolaires à temps partiel, de niveau primaire. Pour le second degré, la scolarisation a lieu dans les cours complémentaires agricoles ou à "orientation agricole" de l’Éducation nationale et dans les établissements agricoles spécialisés, publics et privés. Il est difficile d'appréhender l'importance des effectifs car les statistiques, d'origines diverses, sont rarement comparables.
La loi organise l'enseignement agricole du niveau primaire au supérieur, mais dans les débats, le ministre comme les rapporteurs soulignent que, pour la majorité des jeunes, la formation se situera dans « le temps de la scolarité obligatoire ». Cet enseignement est assuré essentiellement dans les établissements de l’Éducation nationale. Or, en 1967, moment où l'obligation scolaire sera portée à 16 ans, le ministère de l’Éducation nationale cessera d'assurer les cours postscolaires agricoles et devra être relayé par le ministère de l'Agriculture, ce qui suppose de dégager les moyens suffisants.
Le décret d'application de la loi n'est publié que le 20 juin 1961.
Une loi de programme est adoptée en 1962. Il est intéressant de noter qu'alors le gouvernement estime « peu probable » que l'enseignement privé « soit en mesure de suivre un rythme de développement analogue à celui de la puissance publique »6. Mais la loi, qui doit planifier le développement de l'enseignement agricole a des limites évidentes :
* Il n'y a pas eu d'analyse précise des besoins de formation ;
* Il n'y a pas d'élaboration d'une carte scolaire de l'enseignement agricole ;
* L'enseignement agricole privé n'est pas tenu de respecter le programme de développement.
En fait, l'enseignement agricole public se réduit au seul enseignement sous tutelle du ministère de l'Agriculture, sans reprise des formations assurées par l’Éducation nationale. Les établissements privés, notamment les Maisons familiales vont répondre aux besoins des familles cherchant des formations du type cours postscolaires. Il y a eu pression pour que l'enseignement privé soit favorisé, y compris en présentant des données erronées. Ainsi, en 1962, le rapporteur de la Commission de la Production et des échanges de l'Assemblée nationale, Grasset-Morel, affirme que l'enseignement privé scolarisait la majorité des élèves en 1957-1958. Or, l'effectif global, incluant les formations de l’Éducation nationale, est d'environ 166 000 élèves, dont 83% dans le primaire et 1% dans le supérieur, l'enseignement agricole public regroupait 56% des élèves.
Mais ne prendre que les effectifs dépendant du ministère de l'Agriculture permet de revendiquer plus de moyens pour le privé au nom du principe « donner plus à ceux qui font le plus ».
Conséquence : en 1961, il y a 152 000 élèves dans le primaire agricole, dont près de 57% dans le public, dans les cours postscolaires, ce niveau disparait au profit du cycle court (Brevet d'apprentissage) ; en 1971, 78% des élèves de ce cycle sont dans le privé.
L'enseignement public voit son développement freiné par l'abandon de la loi de programme et la « pause budgétaire » instaurée en 1970, qui se traduit par une baisse brutale de 8% du budget global.
La carte scolaire élaborée entre 1971 et 1975 ne sera pas rendue publique sur décision du ministre Christian Bonnet. Il est vrai qu'elle conduisait à un rééquilibrage des effectifs entre public et privé à 50/50.
Le recrutement des personnels a lieu essentiellement entre 1965 et 1975. Dans les établissements publics, le personnel enseignant comprend des détachés de l’Éducation nationale assurant les enseignements généraux, et des enseignants formés par le ministère de l'Agriculture intervenant dans les domaines scientifiques et techniques propres à l'enseignement agricole. Des ingénieurs participent également, et c'est une des originalité de l'enseignement agricole, à l'enseignement de la zootechnie, de la phytotechnie, de l'économie et de la sociologie rurales. Leurs missions sont diverses et, outre l'enseignement et la formation des adultes, ils contribuent à la diffusion des sciences et des techniques dans le secteur agricole, dans le cadre du « développement agricole », ils assurent des actions de recherche, d'étude et d'expérimentation. Ils ont donc un rôle très important dans la réalisation de relations entre l'établissement et son milieu, et l'articulation entre enseignement et activité professionnelle.
L'enseignement agricole a joué également un rôle de précurseur en créant en 1966 un corps d'enseignants chargés de l'éducation socioculturelle : celle-ci a pour vocation de « permettre d'introduire dans la formation des élèves des matières visant moins à l'acquisition de connaissances qu'à l'épanouissement de l'être ». L'apprentissage de la démocratie et de la responsabilité est favorisé par la participation à la vie de l'Association sportive et culturelle de l'établissement et aux travaux des différents conseils. L'ouverture à des réalités sociales et culturelles diverses est réalisée lors d'études du milieu naturel et humain et à l'occasion des visites et stages prévus dans les cycles de formation.
En 1962, Edgard Pisani, ministre de l'Agriculture précise, en effet, que cet enseignement doit participer au « désenclavement » du monde agricole. Il constate à ce propos que « l'agriculture et le monde paysan n'ont pas reçu, dans l'édifice scolaire et universitaire français, la place qui leur revenait ». Il insiste sur les objectifs de ces formations : permettre à l'enfant de paysan d'atteindre le plus haut niveau de formation agricole et agronomique, permettre au jeune qui le souhaite de passer de l'enseignement agricole à l'enseignement de l’Éducation nationale grâce à des équivalences de niveaux et de diplômes.
Les premières années, ce sont les effectifs présents dans les cycles secondaires qui connaissent la croissance la plus importante, tandis que le niveau primaire disparaît.
De 1960-61 à 1970-71 la croissance est très rapide, dans l'enseignement public les effectifs d'élèves sont multipliés par 4, passant de 9 570 à 38 825.
En une dizaine d'années, l'enseignement agricole public a donc réussi à:
- absorber une très forte croissance des effectifs en formation initiale (multipliés par près de 11),
- faire disparaitre des formations «professionnelles ›› de bas niveaux (cours postscolaires, enseignement
saisonnier,...), mais en abandonnant les formations par alternance, bien adaptées aux besoins des familles modestes, à l'enseignement privé des Maisons familiales,
- assurer l'accueil et la formation de nombreux enseignants, le recrutement des personnels ayant lieu essentiellement entre 1965 et 1975 (dans le secteur public, les effectifs budgétaires sont multipliés par 2,5 en 5 ans, entre 1965 et 1970 ; sur la même période à l’Éducation nationale ces effectifs le sont par 1,8 « seulement »).
Afin de mener à bien ces transformations le ministère de l'Agriculture va créer un dispositif original d'appui, comprenant des centres de formation des enseignants (Dijon et Toulouse), et deux instituts (INRAP et INPSA à Dijon) chargés d'assurer trois missions étroitement articulées : recherche pédagogique finalisée, formation continue des personnels, production de ressources éducatives, au bénéfice de l'enseignement technique agricole et de la formation professionnelle des adultes.
Si l'on observe l'évolution de l'ensemble de l'enseignement agricole, on constate que la volonté pendant près de 20 ans, de ne pas s'appuyer sur une carte scolaire, le manque d'études précises sur les besoins de qualifications de la main-d'œuvre dans les secteurs de l'agriculture et des industries et services liés, ont abouti à un développement mal maîtrisé de l'enseignement agricole. Les effectifs scolarisés dans les établissements privés sont devenus largement majoritaires, grâce à l'importance des filières courtes. Ce sont celles où la part de jeunes qui iront travailler dans l'agriculture est la plus grande, mais aussi celles qui connaissent les taux d'abandons et d'échecs les plus élevés. Ce qui signifie que les jeunes s'orientant vers la production agricole sont, en moyenne, moins qualifiés par la formation initiale que ceux qui travailleront dans les autres secteurs.
Une nouvelle période de transformations profondes s'engage en 1982, lorsque le Ministre annonce une « réforme de l'enseignement agricole par les principaux intéressés, ceci en conformité avec notre projet politique de décentralisation et de plus grande participation des citoyens à la gestion des affaires les concernant». Les principes affirmés sont « cohérence à l'égard de l'ensemble de la politique d'éducation du Gouvernement d'une part, cohérence avec la politique agricole d'autre part. »
La réforme se concrétise par le vote, sans aucune opposition au Parlement, de deux lois dont l'une porte rénovation de l'enseignement agricole public (9 juillet 1984) et l'autre réforme les relations entre l'Etat et les établissements agricoles privés (31 décembre 1984). Parallèlement une vaste consultation des personnels, des élèves, des parents, des organisations professionnelles, est lancée dans les établissements, les régions et au niveau national. Les analyses et propositions ainsi élaborées seront à la base de la rénovation.
Ce double processus est unique dans l'histoire de l'enseignement en France, c'est incontestablement la
raison du fort consensus qui a permis de changer l'enseignement agricole dans toutes ses dimensions, d'assurer un développement sans précédent de ses effectifs, une amélioration du taux de réussite de ses élèves et une insertion professionnelle satisfaisante malgré la crise.
L'enseignement agricole s'est organisé à partir de l'exploitation agricole et de son activité productrice et non en rupture avec le monde économique et social. La formation fut assurée au sein de l'exploitation agricole-école, c`est-à-dire, non pas l'école installée dans l'entreprise, mais véritablement l'entreprise formatrice, pour reprendre une formule d'actualité. C'est par un long cheminement que l'enseignement agricole s'insérera dans le système éducatif, mais en préservant une participation active des professionnels et des entreprises à l'activité de formation, contribuant ainsi a l'évolution permanente des formations et à l'aide à l'insertion professionnelle des élèves.
M. Boulet. Professeur. Département des Sciences de la Formation et de la Communication. ENESAD Conférence à la journée d'étude de la FSU pour le cent cinquantenaire de l'enseignement agricole. 25 mars 1998
Notes
1 Admirons la belle ambiguïté de cette formulation !
2 DEBATISSE, Michel. Le projet paysan. Paris, Le Seuil, 1983, 226 p. ; p. 153.
3 GUILLAUME, François. Le pain de la liberté. Paris, J-C. Lattès, 1983, 304 p. ; p. 287.
4 PASQUET, Pierre. « Le rôle des familles dans la formation des jeunes ruraux ». Terres de France et de l'Union française, n°X, 1954, pp. 22~28.
5 Souligné par moi M.B.
6 Exposé des motifs du projet de loi de programme relatif à la création et au développement des établissements d'enseignement et de formation professionnelle agricoles. Assemblée nationale - Séance du 21 juin 1962.