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L'école des paysans

Les mutations de la ''société rurale'' [1985]

14 Juin 2019 , Rédigé par Michel Boulet Publié dans #Agriculture et milieu rural

Il est intéressant de noter que l'on parle de ''milieu rural'', ''monde rural'', '''société(s) rurale(s)'', ce qui dénote une confusion certaine.

- On pense connaître ce milieu : agriculture et tourisme.

Si, nous regardons les productions des chercheurs, il nous semble que la majorité des travaux a admis implicitement que seule l'agriculture demandait une approche spécifique, les autres activités pouvant s'analyser à partir des études faites en zone urbaine. Ce qui peut aussi se traduire dans l'affirmation que les agriculteurs étant de moins en moins nombreux, le milieu rural se définit avant tout comme le "non-urbain".

L'expression la plus achevée de cette conception est certainement celle d'un haut fonctionnaire, J.Jung, affirmant que l'espace rural est le « substitut irrigué, vivifié par l'armature urbaine »1. Cette approche est également celle de la SEGESA définissant l'espace rural comme '''espace restant", c'est-à-dire « l'espace non-bâti et les premiers niveaux urbains encadrant les zones d'habitat diffus ».2

1 - Définition :

La définition la plus classique s'appuie sur la définition INSEE de la commune rurale : commune de moins de 2 000 habitants agglomérées au chef-lieu. L'espace rural est constitué par l'ensemble des communes rurales ainsi définies. Mais à partir de 1954, il a été décidé de considérer urbaines les communes de moins de 2 000 habitants agglomérées, incluses dans le périmètre d'une agglomération multicommunale atteignant, elle, au moins 2 000 habitants.

Mais une critique importante doit être portée, les approches de type purement quantitatif évacuent la diversité des situations sur le plan des activités économiques ou/et des relations sociales. Selon les régions, une agglomération de 2 000 habitants peut être un bourg, rassemblant commerces et services, ou une petite ville, avec des activités industrielles. L'INSEE a donc proposé, en 1962, une nouvelle notion, la ''zone de peuplement industriel ou urbain", ZPIU, qui prend en compte des critères supplémentaires (proportion de la population vivant de l'agriculture, niveau des migrations quotidiennes domicile-travail, part de la population active résidente, travaillant hors de l'agriculture, taux d'accroissement démographique).

L'espace français est ainsi occupé par des unités urbaines, des ZPIU et des "campagnes profondes“.

De nombreux villages sont devenus lieux de résidence pour les travailleurs citadins et vivent au rythme des activités de la ville voisine. Alors, le rural n'existe plus ?

Si, bien sûr, puisqu'en de nombreuses régions on trouve encore des villages où l'activité essentielle est l'agriculture, où l'école est encore à classe unique, où le café-épicerie est le centre d'animation et d'échanges entre les habitants, où les saisons, la nature, sont les éléments qui marquent la vie quotidienne. Alors, le rural c'est ce qui a échappé à la ville ?

Ces approches schématiques ont un avantage, celui de montrer qu'on ne peut dissocier rural et urbain. Chercher à décrire une "société rurale" vivant en vase clos porteuse des vertus réunies de l'écologie triomphante et de l'harmonie sociale, est une absurdité. Les historiens ont montré que depuis des siècles les

échanges ont été multiples entre villes et campagnes et les influences réciproques.

Mais, prendre en compte ces liens, ne veut pas dire que 1'étude du milieu rural est sans objet. Analyser l'évolution de la société française suppose d'analyser l'évolution des villes et des campagnes. Fournir quelques éléments de réflexion sur leurs transformations depuis 1945.

Avec les définitions différentes, en 1975 on a de 68,7 à 83,5 % de population rurale.

2 - Évolution globale :

Jusque vers 1930 c'est la moitié de la population française qui vit dans des communes rurales, et encore 47 % en 1946. A partir de 1950 l'évolution s'affirme, 41 % en 1954 (17 millions), 29 % en 1968 et seulement 27 % en 1975 (14,2 millions). La baisse a été particulièrement forte entre 1962 et 1968, avec un taux de 2,2 % par an. Mais l'estimation globale est à nuancer, car ce sont les communes rurales de moins de 1 000 habitants qui ont été les plus touchées, et depuis 1968 il apparaît que seules les communes de moins de 500 habitants se dépeuplent.

Mais entre 1975 et 1982 : la population rurale a augmenté plus vite (7 %) que la population totale (3,3 %) et la population urbaine a peu varié (1,5 %).

Aujourd'hui la population rurale (définition large) est de 25 millions d'habitants soit équivalent à celle existant à la fin du 18e siècle.

La rupture d'évolution en 1975 est-elle liée à la crise ?

Le phénomène est trop récent pour réaliser une étude nationale, il faut se centrer sur les observations locales.

. Ainsi qu'en est-il des mouvements antérieurs ?

Dans certaines zones rurales "profondes" la perte de population a atteint des seuils mettant en péril le tissu social même.

Il y a alors, un véritable processus de désertification, les activités économiques et sociales disparaissent très rapidement. C'est le cas par exemple de cantons ruraux de Lozère ou d'Ardèche.

Cette diversité des situations se reflète dans l'évolution régionale de la population rurale. Ainsi, entre 1968 et 1975 les régions les plus touchées par 1'exode rural ont été l'Auvergne (-7,9 % par an), le Limousin (-7,7 %), la Lorraine (-6,5 %) et la Bourgogne (-6,1 %), alors qu'il y a augmentation de la population rurale en Provence (+ 6,6 % par an), en Alsace (+ 6,1 %), Ile de France (+ 2,7 %) et Haute-Normandie (+ 2,2 %).

Par exemple : comment se traduit dans le milieu rural le fait que pour la première fois depuis longtemps (près d'un siècle) l'Ouest de la France voit sa population croître ?

- retraités revenant au pays

- arrivée d'actifs

- "non-départ" de jeunes.

Diverses études ont montré que le ralentissement de l'exode rural peut également être dû à la progression de l'urbanisation diffuse les ruraux se maintenant dans les communes proches des villes. Les ruraux partent en priorité vers les villes moyennes proches de leur commune d'origine, ils ne quittent la région que pour aller vers une grande ville.

Or, si il y a 30 ans l'échelle de déplacement en zone rurale était de 1 à 3 km, elle est aujourd’hui de 10 à 30 km. Mais alors pour comptabiliser les ruraux, il y a problème : il faut choisir entre lieu de résidence et lieu de

travail.

Est-il rural le jeune villageois qui travaille dans une entreprise implantée à 30 km dans une ville de 10 000 habitants ?

Cependant nous pouvons dégager quelques enseignements.

3 - Analyse de la population :

Que nous disent les statistiques ?

A l'évidence la population agricole était la plus importante dans la population rurale ; majoritaire jusqu'en 1954 (voir tableau n° 2), elle ne représente plus en 1975 que moins d'1 rural sur 3. Ceci souligne que la raison essentielle de la diminution de la population rurale est l'exode agricole. En 1982, les ménages agricoles représentent 21 % de la population rurale et les ménages ouvriers 38 % (c'est-à-dire la part des ménages agricoles en 1962). Le même tableau n° 2 indique la progression en valeur absolue des populations rurales (selon l'ancienne définition). Mais ces chiffres masquent de grandes inégalités locales, puisqu'en 1968 l'INSEE note que plus de 80 % des communes rurales sont à vocation agricole dominante, voire exclusive. Ce sont des communes de moins de 500 habitants pour les trois quarts d'entre elles, c'est-à-dire les communes qui continuent à subir l'exode.

Les autres catégories présentes dans les communes rurales sont diverses. Parmi les actifs ruraux, plus d'un million travaille en ville en 1975. Et réciproquement, entre 1968 et 1975, 2 millions de citadins se sont installés dans les communes rurales. De 1975 à 1982, sur 100 ménages installés en milieu rural, 93 sont des ménages ouvriers et 27 de cadres supérieurs ou moyens.

3.1 - Les agriculteurs :

Jusqu'en 1954, la population agricole est majoritaire en milieu rural. Mais l'activité agricole n'a plus le même contenu aujourd'hui qu'au XIXe siècle. Au début du siècle dernier, en effet, l'agriculture est étroitement associée à l'artisanat rural. La famille paysanne assure souvent le tissage, le tannage, la fabrication des outils. Dans le village, les habitants passent fréquemment d'une activité å l'autre selon les besoins. Ainsi dans diverses régions les agriculteurs travaillent une partie de l'année comme maçons ou bûcherons approvisionnant les hauts-fourneaux.

Avec le mouvement d'industrialisation, les artisans vont quitter le village pour la ville voisine, une partie de la famille paysanne fait de même. Peu à peu agriculture et industries rurales se séparent. Le développement des moyens de communication (chemins de fer), les échanges commerciaux sur un marché national, suppriment de multiples métiers ruraux et font de l'agriculture l'activité fondamentale du milieu rural. Cette situation est celle de la France au début de la Troisième République. En 1929 encore 570 000 personnes travaillent dans l'artisanat rural, dont une bonne partie directement pour l'agriculture (charrons, forgerons, ou entrepreneurs de battage).

Il y a donc ''agricolisation'' des villages, mais les zones rurales comprennent aussi de nombreuses villes, petites et moyennes, rayonnant sur les campagnes environnantes. La petite ville est liée directement å l'agriculture, elle héberge les entreprises et commerces fournissant engrais, matériel, et ceux qui vont transformer (moulins,...) et distribuer les produits agricoles. Ces entreprises sont essentiellement de petites entreprises, employant peu de salariés, souvent propriétés d'une famille.

Cette France rurale, où le travail salarié est surtout le fait des fonctionnaires (instituteurs, postiers,...), est présentée dans les discours des notables républicains comme l'image même de la stabilité sociale et de l'effort librement consenti face au monde ouvrier. Image trop belle pour être vraie comme les luttes des travailleurs des campagnes l'ont montré.

A partir de la Libération les transformations économiques et sociales s'amplifient dans le secteur agricole. Leur nature et leur importance permettent de parler d'une véritable rupture dans l'évolution de l'agriculture et du milieu rural.

En 1944 la France est un pays meurtri et la politique agricole a pour premier objectif d'assurer l'alimentation de la population. La production agricole n'atteint que la moitié de celle de 1939. Une politique d'investissements pour la modernisation des exploitations agricoles se met en place sous l'impulsion du gouvernement et du Ministre de l'Agriculture Tanguy-Prigent, appuyé par la Confédération Générale de l'Agriculture.

Le ler Plan de modernisation et d'équipement (1947-1953) appuie l'effort de motorisation et de diffusion des techniques nouvelles. En 1948, la pénurie alimentaire cesse et nous pouvons estimer que c'est à partir de 1950 que la "Seconde révolution agricole" commence.

Depuis la fin de la guerre l'exode agricole s'est accéléré, 55 000 hommes et 50 000 femmes partent chaque année. De 1945 à 1954, la population agricole passe de 10,2 à 9,6 millions de personnes et la population active agricole de 7,5 à 6,4 millions. De 1954 à 1962 l'exode prend une grande ampleur, la population active agricole masculine diminue de 45 000 personnes par an. Ce sont les petits exploitants qui sont les premiers touchés : exploitations de 5 à 10 ha (- 23,6 %) et de 10 à 20 ha (- 9,6 %), ce qui entraîne une augmentation des exploitations de plus de 20 ha.

Outre cette évolution des structures, l'aspect le plus net des changements est la motorisation. Ainsi le nombre des tracteurs passe de 30 000 en 1946 à 140 000 en 1950 et 680 000 en 1960. L'augmentation est encore plus importante pour les moissonneuses-batteuses et les motoculteurs. Cette motorisation touche tous les types d'exploitations, modifiant les conditions de travail, éliminant peu à peu les animaux de trait, transformant les systèmes de production. En outre, l'achat du nouveau matériel amène les agriculteurs à faire appel au crédit. Nombreux sont ceux qui s'endettent lourdement, parfois en se ''sur-équipant''. Des clivages apparaissent dans les familles entre le père travaillant avec les chevaux ou les bœufs, et le fils qui rêve d'un tracteur.

D'autres changements se produisent durant cette période, la quantité d'engrais utilisée double entre 1949 et 1963 ; des espèces de blé et maïs plus performantes sont diffusées ; la culture des fourrages se répand.

Les herbicides et pesticides sont largement produits par l'industrie chimique. Enfin le cheptel est amélioré par l'utilisation de l'insémination artificielle.

Les résultats sont appréciables : le rendement en blé passe, entre 1946 et 1956 de 16 à 21 quintaux/hectare, le rendement en lait de 1 390 à 2 000 litres de lait par vache et par an. La productivité du travail a doublé en 10 ans : de l'indice 122 en 1948-49 à l'indice 238 en 1957-58.

La politique agricole suivie sous la Ve République va accélérer la concentration agraire : de 1955 à 1975 alors que les exploitations de moins de 50 ha disparaissaient au taux annuel de 2,8 %, les plus de 50 ha croissent de 1,9 % par an, la productivité du travail est multipliée par 3. La superficie moyenne passe de 14 ha en 1955 à 23,4 en 1978.

Les régions ou les structures agricoles sont les plus petites sont les plus touchées par l'exode : Limousin, Auvergne, Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes. Ce sont les enfants ou les conjoints qui abandonnent le travail agricole, le départ des femmes d'exploitants est plus important depuis 1970. Cependant cette population vivant sur l'exploitation est toujours comptabilisée dans les familles agricoles.

Depuis 20 ans, l'agriculture a profondément changé

a - Ainsi s'est dissociée l'unité famille/exploitation.

En 1960, l'exploitation familiale à 2 UTH, prônée par le CNJA, est incluse dans la loi d'orientation agricole.

Or aujourd'hui moins de 50 % des exploitations occupent la famille à temps plein.

20 % des chefs d'exploitations ont un autre métier à temps plein :

- ouvriers,

- artisans,

- petits commerçants,

- employés.

Cette pluriactivité concerne aussi le ménage :

13 % des femmes d'agriculteurs avaient un métier extérieur en 1970, elles sont 20 % en 1982. En outre, dans les GAEC, les femmes n'ont plus leur place.

Il y a un important mouvement d'évolution des femmes en agriculture : elles veulent choisir de travailler en étant reconnues comme agricultrices ou exerçant d'autres métiers. Actuellement 70 % des ménages agricoles ont un revenu d'origine extérieur à l'agriculture.

Il ne faut pas sous-estimer le fait que nombre de jeunes s'installant sur une exploitation agricole ont travaillé hors agriculture avant, même s'ils sont fils d'agriculteur.

b - De nombreux exploitants assurent la vente de leurs produits, parfois après une certaine transformation (fromage, vin, foie gras ...) on a ainsi une activité non agricole à partir d'une exploitation (comme au 19e siècle).

Aujourd'hui qu'est-ce qu'un agriculteur ? problème difficile.

Ils sont 8 % des actifs en 1984 (27 % en 1954). Mais on surévalue souvent leur nombre en confondant agriculteurs et ruraux.

- Salariés permanents : sur 9 % des exploitations seulement.

Si nous traçons le portrait actuel de l'agriculture, nous trouvons des situations diversifiées selon les productions et selon les régions :

- des exploitations importantes, mécanisées et spécialisées mises en valeur par l'exploitant et sa femme. Ces exploitants ont une qualification professionnelle réelle.

- des exploitations petites et moyennes, survivant difficilement. Leur maintien est lié au salaire apporté par un ou plusieurs membres de la famille, voire par le chef d'exploitation lui-même. Les conditions de travail y sont pénibles.

- des exploitations de moins de 1 ha, correspondant soit à des productions hors sol (porcs, volailles,...) soit à de petites unités pour la retraite ou les loisirs.

Quelques évolutions en vue :

- introduction de la micro-informatique pour la gestion - comptabilité, mais aussi pour gérer l'alimentation d'un troupeau ; arrivée de "puces" sur tracteur

- progrès de la recherche agronomique

. cultures “in vitro“ pour produire matériels végétaux nouveaux, éviter la dégénérescence

. transferts d'embryons (d'un pays à l'autre-› croisements)

Mais les agriculteurs sont encore insuffisamment formés : problèmes pour garder la maîtrise des changements.

3.2 - L'encadrement de l'agriculture :

Pour être complet, il convient de souligner l'importance croissante des organismes agricoles (syndicats, caisses de crédit, coopératives...) qui employaient 123 300 salariés en 1964 et 260 150 en 1974.

Les Chambres d'agriculture sont de véritables administrations. Le Crédit Agricole oriente l'agriculture par les plans de développement, mais est de moins en moins agricole.

Le syndicalisme FNSEA-CNJA a implanté un important réseau d'organismes divers dont le poids est très grand dans l'évolution rurale (ex : refus d'accepter la pluriactivité).

4 - Les ruraux non-agriculteurs :

Si on décompte les agriculteurs, il y a actuellement plus d'ouvriers dans les communes rurales (49 %) que dans les zones urbaines (39 %). En 1975 il y a dans la population active nationale 35 % d'ouvriers et 25 % d'agriculteurs.

Ceci dit, les statistiques sont rares, mais nous pouvons observer que c'est la branche des services qui a crû le plus, en particulier dans les "divers", ce qui n'est guère éclairant ! Les commerçants se maintiennent en seconde position, avec les petits commerçants de village, suivis par les employés de l’État ; leur progression correspond à celle de l'ensemble des communes entre 1962 et 1968. Dans les industries, la branche bâtiment-travaux publics est la plus importante, suivie par les industries agro-alimentaires, le textile est en recul. Seules les industries agro-alimentaires apparaissent dynamiques, les autres activités productives connaissent des difficultés qui vont s'amplifier, expliquant les inégalités d'exode rural selon les régions.

Si nous observons ensuite les catégories sociales, nous voyons que celles qui ont augmenté dans les communes rurales sont d'une part les cadres supérieurs et professions libérales, aux revenus élevés, d'autre part les cadres moyens, les employés aux revenus moyens. Par ailleurs, les retraités sont en plus grand nombre. Mais incontestablement, jusqu'à ces dernières années, c'est l'évolution de l'agriculture qui a été essentielle dans les transformations du milieu rural.

Cependant il faut étudier, notamment depuis 20 ans, l'implantation des entreprises en zones rurales, avec la politique d'aménagement du territoire en fonction de bassins d'emplois et non de bassins de “ressources” matérielles.

5 - Vivre en milieu rural :

Dans les années 50 encore, la vie en milieu rural se distingue nettement de celle en milieu urbain. Nous pouvons ici en donner quelques "signes".

Très marqué par la place de l'agriculture, le milieu rural "traditionnel" accorde une grande importance aux relations personnelles à l'intérieur du village, c'est le règne de la convivialité. La famille paysanne ''dense, cohérente, étendue'' s'oppose à la famille ''prolétarienne,... restreinte et disjointe ou dissociée ''.

Le travail, qu'il soit agricole ou artisanal, suit un rythme plus lent qu'en ville, marqué par les saisons et les phénomènes biologiques. Ceci ne signifie pas que la fatigue est limitée, mais qu'un équilibre entre l'homme et le milieu est ressenti par les ruraux.

Dans les villages existent encore de nombreuses services, une école est présente dans chacun d'eux, ainsi que des commerces, la poste, etc...

Cependant, les services les plus importants sont dans les villes, ainsi que les établissements secondaires, la carte scolaire a défavorisé les zones rurales et souvent l’élévation du niveau de formation a signifié un départ vers la ville.

Au total, dans les années 50 on peut parler d'une "culture villageoise ou agraire". Que se passe-t-il ensuite ?

Dans les 20 années suivantes, la famille paysanne éclate et ressemble de plus en plus à la famille citadine. Des villageois partent, la population vieillit, les jeunes encore au village vont travailler chaque jour à la ville

voisine. Dans les ZPIU les villages deviennent souvent des "villages-dortoirs".

Les écoles primaires ferment et le ramassage scolaire se développe, entraînant la fatigue des élèves et des retards scolaires ; des voies ferrées sont désaffectées. La vie culturelle est réduite. Certains ne voient plus dans le milieu rural qu'un espace pour la détente et les loisirs des citadins.

Et pourtant l'image du rural pour de nombreux citadins demeure celle des villages où il fait “bon vivre". Est-ce une illusion ou existe-t-il une spécificité rurale ?

Quelques remarques permettent de dire que le milieu rural est bien vivant :

- depuis les années 70 les ruraux ont les mêmes éléments de confort que les urbains, souvent avec des logements plus grands,

- les petites villes et les bourgs sont demeurés vivants dans beaucoup de régions, avec des services, commerces, …

- la vie politique est vivace dans les communes, toutes les tentatives de regroupement ont échoué : il y a 36000 communes en France (3600 municipalités en Italie), sur 500 000 conseillers municipaux, 9 sur 10 sont dans des communes de moins de 10 000 hab,

- dans les villages et bourgs, la vie associative est importante, chacun appartient à un ou plusieurs réseaux de relations,

- la vie "culturelle" a repris : fêtes, méchouis, ventes, bals...,

. - le sentiment d'appartenance à une communauté locale, a repris force : "vivre au pays" (cf. la confirmation de la ''petite région'' aux États généraux du développement) même si le "pays" a vu sa taille augmenter avec les facilités de communication.

- l'existence d'entreprises, d'activités économiques, structure le milieu plus que les courants sociaux.

- Mais tout ceci est global, il faut aussi le lire à travers la place et les comportements des groupes et classes.

 

CONCLUSION :

Ce que nous venons de voir est trop fragmentaire pour conclure avec sûreté. Cependant il nous paraît impossible d'approuver ceux qui affirment qu'il n'y a plus de ruraux. A la fin des années 60, Henri Mendras proclame : « Les paysans, au sens strict du terme, n'existent plus » et il poursuit : « La civilisation paysanne et la société villageoise sont mortes », « aujourd'hui, citadins, banlieusards, campagnards, résidents secondaires ou néo-ruraux vivent tous de la même manière », en 1984, il nuance en parlant de « dynamisme des sociétés rurales ».3 S'il est vrai que le milieu rural des années 1980 est fort différent de celui de l'après-guerre, il est non moins vrai qu'il est toujours différent du milieu urbain. Il est intéressant de noter que Georges Duby étudiant la ville observe un autre phénomène, « la ville se décompose », elle est ressentie comme « une prison délétère, où l'on étouffe, dont il faudrait s'évader, [...] ». Et Georges Duby se demande si l'on ne va pas simultanément vers « la fin des citadins, la fin des paysans »4.

Pour notre part, prenant en compte à la fois les données statistiques, les travaux des sociologues, des économistes, et des historiens, nous voulons formuler, prudemment, une hypothèse.

Le milieu rural français a, depuis le 19e siècle, évolué en liaison directe avec l'agriculture. Or, contrairement à ce que pensaient les responsables de la politique agricole vers 1850, et... Marx, l'agriculture française ne s'est pas organisée, comme l'agriculture anglaise, sous une forme capitaliste.

C'est une agriculture individuelle ("familiale") qui s'est développée et se maintient encore aujourd'hui, bien que changée techniquement. Le milieu rural a donc été le lieu où se sont maintenues des formes de rapports sociaux anciens, modifiés peu à peu par "l'agricolisation", puis l'exode agricole. Jusque vers les années 60, le mouvement de développement du mode de production capitaliste s'est traduit par une concentration des entreprises et des forces productives dans les zones urbaines. Le milieu rural se définissait donc par deux vocations essentielles : une activité productive, l'agriculture, avec maintien de quelques entreprises artisanales et une vocation d'entretien et de renouvellement de la force de travail (villages dortoirs, vacances...). Il devenait peu à peu "résiduel''

Or l'évolution récente nous surprend.

La difficulté d'appréhender la nature et le rôle du milieu rural aujourd'hui serait donc le reflet de la complexité du mouvement des forces productives et des rapports sociaux. Analyser le milieu rural et les rapports rural-urbain serait donc d'abord d'analyser les rapports sociaux dans la société française, et comprendre pourquoi et comment le milieu rural est resté caractérisé longtemps et majoritairement par des rapports sociaux de type artisanal, la ville étant le lieu de développement des rapports sociaux capitalistes. Ceci expliquerait par exemple l'importance des luttes autour de l'aménagement du territoire et de la démocratie locale ces dernières années. Il s'agit donc d'aller voir au niveau local-régional l'évolution du mode de production capitaliste, sans couper arbitrairement urbain et rural, mais en étudiant la façon dont vivent et travaillent les hommes et les femmes.

Michel Boulet ENSSAA

Document d'enseignement

mars 1985.

1 Jung, Jacques. L'aménagement de l'espace rural, une illusion économique. Paris, Calmann-Lévy, 1971, 407 p.

2 Société d'études géographiques, économiques et sociologiques appliquées. L'emploi et les activités en milieu rural. Paris, Ministère de l'agriculture, 1982, 119 p.

3 Mendras, Henri. La fin des paysans : innovations et changement dans l'agriculture française. Paris, S.É.D.É.I.S., 1967, 361 p. Coll. ''Futuribles'' ; Mendras, Henri. La Fin des paysans suivi d'une réflexion sur la fin des paysans vingt ans après. Le Paradou, Actes Sud, 1984, 370 p.

4 Duby, Georges (dir.) Histoire de la France urbaine.Paris, Seuil, 1980-1985,5 vol.

Les mutations de la ''société rurale''     [1985]

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