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L'école des paysans

1960 – 1980 Un nouvel enseignement agricole ?

13 Décembre 2019 , Rédigé par Michel Boulet Publié dans #Histoire de l'école des paysans

En cette fin des années cinquante, l'exode agricole s'est poursuivi a un rythme accéléré, comme le montre le recensement de 1962. De 1955 à 1962, les départs de l'agriculture ont dépassé le nombre de 160 000 personnes par an. Et la situation ne changera guère ensuite, puisque sur la période de 1955 à 1968, le départ annuel d‘actifs agricoles est de 150 000.

En 1962, les actifs agricoles représentent 20,3 % de la population active totale ; en 1968, ils n'atteindront plus que 15,3 %, l'agriculture n'a plus que la moitié de la place qu'elle occupait en 1936.

En outre, cette population agricole a fortement vieilli, le tiers des exploitants a plus de 60 ans, ce sont les jeunes qui quittent la terre.

Malgré la disparition de 600 000 exploitations entre 1955 et 1967 soit environ le quart des effectifs, l'agriculture française reste une agriculture familiale. Les trois quarts de la paysannerie vivent sur des exploitations de moins de 20 hectares.

Cette agriculture a profondément changé dans ses techniques. L'augmentation de productivité de 1949 à 1961 a été de 6,5 % pour l'agriculture contre 4,6 % dans les autres secteurs. Cependant, malgré la diminution du nombre d'agriculteurs et d'exploitations agricoles et malgré l'accroissement de la productivité, le revenu moyen des agriculteurs progresse très faiblement. Par contre, d‘octobre 1957 à octobre 1958, la hausse des prix est de 14 %.

Une contradiction nouvelle apparaît dans cette période. L'évolution des forces productives tend à accroître les capacités de production de l'agriculture, mais les structures agraires étant très variées, et souvent limitées, la modernisation accuse les inégalités entre agriculteurs.

C'est au milieu de ces difficultés, qui ont amenés les agriculteurs à manifester les années précédentes, que le 13 mai se produit la rébellion militaire d'Alger. Depuis le 1er novembre 1954, ce que le gouvernement et la grande presse appellent hypocritement "les événements d'Algérie" pèsent de plus en plus lourd sur la vie politique et économique du pays.

La majorité des dirigeants agricoles est partisane de "l'Algérie française" et intervient rarement directement sur ce problème. Mais elle utilise les difficultés politiques des gouvernements de la IVe République en ce domaine, pour obtenir des concessions en matière de politique agricole, notamment l'indexation des prix agricoles.

Les notables paysans, a travers la F.N.S.E.A., appuient nettement l'arrivée du général de Gaulle et voient dans un "régime fort", voire autoritaire, la meilleure solution aux problèmes du pays, "menacé", selon eux, par un nouveau Front Populaire. Et leur déclaration de mai 1958 retrouve les accents et les termes des déclarations faites vingt ans plus tôt. Pour les jeunes agriculteurs du C.N.J.A, au contraire, ce qui prime est la défense des institutions républicaines. Le désaccord est visible avec ceux qui s'appellent "les aînés".

L'année 1958 est donc celle de l'apparition publique de deux courants politiques parmi les responsables agricoles. Mais les positions sont ambiguës, les dirigeants de la F.N.S.E.A. ne sont pas gaullistes, et ils attendent du nouveau pouvoir, une place privilégiée pour l'agriculture, en rêvant à ce qu'ils ont connu avec la Corporation paysanne.

Or, des le mois de décembre 1958, de Gaulle, par une ordonnance, supprime l'indexation des prix agricoles suivant en cela les positions de Jacques Rueff, partisan du libéralisme économique et qui voit dans l'agriculture un secteur qui « freine indirectement l'expansion de l'industrie et du commerce »1.

En ces débuts de la Ve République, deux domaines vont connaître des changements importants :

l'enseignement et l'agriculture

L'enseignement

Il convient de rappeler que la réforme de l’Éducation Nationale en 1959, comme les lois de 1960 sur l'agriculture, sont préparées et adoptées dans un pays où la question algérienne, les tortures et les attentats ont créé un climat de violence permanent.

Il suffit de relire les journaux de l'époque pour constater que les débats sur ces réformes sont régulièrement éclipsés par le conflits algérien. C'est à nouveau dans une période de bouleversements politiques que l'on va réformer le système d'enseignement.

Depuis le débuts des années cinquante, l'éducation est considérée comme un facteur de production, participant à la croissance économique et au développement, les spécialistes parlent "d'investissements intellectuels".

Le développement de l'industrialisation, l'accroissement de la productivité du travail, la concentration accélérée des capitaux et des entreprises, entraînent une modification de la répartition de la main-d’œuvre et des qualifications demandées.

En France, les effectifs scolaires ont fortement augmenté de 1954 à 1958 :

+ 18 % dans le primaire,

+ 14 % dans les collèges d'enseignement technique,

+ 37 % en lycées.

Les retards en équipements et en personnels sont énormes, et certains parlent de "crise scolaire".

La réforme se fait sans aucun débat au Parlement, par deux textes réglementaires publiée le 6 juin 1959. Une ordonnance prolonge la scolarité jusqu’à 16 ans à partir de 1957 (la réalisation n'aura lieu qu'en 1971 ! ). Un décret met en place un cycle d'observation de deux ans, des filières de formation différentes, et un système d'orientation scolaire.

La volonté du gouvernement est de chercher les aptitudes des élèves afin de les répartir entre les filières aboutissant à des activités professionnelles différentes. L'exposé des motifs du décret précise qu'il s'agit de mettre en correspondance « l'expansion humaine et l'expansion économique » afin « d'investir à plein profit ».

Arrivée à une nouvelle phase du développement de l'économie nationale, préparant la confrontation avec les autres pays du Marché Commun, et abandonnant l'exploitation directe des autres colonies, la bourgeoisie française réorganise l’appareil| de formation. Tout en voulant répondre aux nécessités économiques, elle doit aussi tenter de satisfaire la demande croissante des familles qui souhaitent un accès généralisé à l'enseignement du second degré.2

Enfin, à la fin de 1959, une nouvelle loi prévoit d'améliorer l'aide financière à l'enseignement privé.

Ces réformes vont influencer largement l'élaboration et la mise en place de la réforme de l'enseignement agricole en 1960.

Dans le secteur agricole, comme dans le reste de l’économie, les dirigeants de la Ve République, veulent remettre en ordre les structures économiques rationnelles en ne permettant pas la survie des entreprises désuètes et marginales. C’est ainsi qu’apparaît l'idée qu'il existe "deux agricultures", l'une dynamique et "commerciale", l’autre "marginale" ou de subsistance. C'est un changement radical, car depuis plus d’un siècle les dirigeants du pays ont tout fait pour maintenir le mythe de l’unité de l'agriculture.

En avril 1960, le gouvernement dépose 7 projets de loi dont l’objectif est de fixer, selon les termes de Michel Debré, « l'orientation de l'agriculture française pour une génération et même davantage ». L’agriculture demande à être rentable, elle demande à pouvoir profiter du progrès scientifique et technique, elle demande enfin pour ses produits une commercialisation moderne.

Incontestablement, il s'agit de faire de l'agriculture un élément actif de l'expansion économique.

Il s'agit d’un ensemble de loi agricoles tel que la France n'en n’a jamais connu. Le désir de faire évoluer l'agriculture afin qu’elle ne soit plus un "frein" à la croissance économique, est net.

Par contre, sur les revendications immédiates des agriculteurs en matière de crédits ou de prix, le gouvernement ne transige pas.

La volonté d'utiliser les résultats du progrès technique, économique et scientifique, après avoir édicté des textes sur la vulgarisation agricole en 1959, conduit au développement de l’enseignement et de la formation professionnels.

Et le Premier Ministre, Michel Debré, précise que le texte sur l’enseignement « établit pour les dix ans qui viennent une charte que nous estimons définitive », en tout cas très durable, d’un enseignement public et en même temps « d'une association de l’État à un enseignement privé valable » pour qu'il y ait un enseignement agricole de ce que doit être abalourdir, pour l‘exploitation, la diffusion des connaissances indispensables aux exploitants agricoles.

La loi du 2 août 1960 sur l’enseignement et la formation professionnelles agricoles se présente comme un texte organisant l'ensemble de ce secteur d’enseignement.

Il s’agit de la troisième grande loi après celles de 1848 et I918. La nouveauté est qu’elle est élaborée et votée avec un ensemble de lois concernant l'agriculture et la politique agricole.

Des idées générales sont avancées dans l'exposé des motifs :

- la complexité croissante des processus de production et l'accélération du progrès technique exigent de la part de tous les travailleurs agricoles de plus en plus de connaissances et d’habileté,

- la réforme de l’enseignement doit prendre en considération les aspects sociaux et humains de la profession d’agriculteur,

- les différentes catégories socioprofessionnelles doivent avoir accès à une formation générale de même niveau et de même valeur,

- l’enseignement agricole devra s’adapter en permanence aux besoins de l’économie agricole.

Les objectifs de l'enseignement agricole vont être à la fois de former des chefs d'exploitation et de permettre les réorientations, donc la sortie de l'agriculture. Autrement dit, il s'agit aussi d’enseignement général pour les ruraux. Ce dernier est en effet assuré par un nombre insuffisant d’établissements de l’Éducation Nationale, alors que 80% des enfants vont à l’école jusqu’à 17 ans, il n’y en a que 40% en milieu rural. Et le Ministre de l’Agriculture, Henri Rochereau, ajoute : « c’est dans la classe paysanne qu’on rencontre le plus grand nombre de semi-illettrés ».

La loi fait donc référence explicite aux textes gouvernementaux de 1959 qui organisent l'enseignement à l’Éducation Nationale, pour définir les structures et diplômes de cet enseignement rural.

L'exposé des motifs de la loi précise les six principes fondamentaux de la réforme, qui découlent des objectifs généraux assignés à l'enseignement agricole :

l- L'enseignement agricole doit être mis en harmonie avec l'enseignement général et technique ; mais il doit être adapté aux conditions particulières de la vie rurale

Ce que doivent être le contenu et les méthodes de cet enseignement est ainsi précisé : « général dans son contenu, cet enseignement doit s’appuyer sur des exemples concrets pris dans la vie rurale. Il doit reposer sur les sciences d'observation et, de plus en plus, sur les sciences humaines. »

2- L'enseignement agricole doit permettre à tous les degrés, comme l'enseignement général et technique, toutes les orientations possibles.

Des communications doivent exister entre l'enseignement agricole et les autres ordres d'enseignement. Et le texte répond à la critique qui risque de s'élever :

« A ceux qui objecteraient que ce système de communication entre les ordres et les degrés pourraient accentuer l'exode rural, il faut répondre que le cloisonnement de l'enseignement dispensé aux agriculteurs ne saurait être un moyen acceptable de maintenir les agriculteurs à la terre ». L'exode rural a des causes plus profondes qui sont d‘ordre économique et social.

La prise de position est claire, et participe au vaste débat que nous avons vu resurgir régulièrement dans l'histoire de l'enseignement agricole. Mais elle est d'autant plus claire que la loi d'orientation prévoit le départs de nombreux agriculteurs et le plus rapidement possible.

Il faut donc "orienter" les jeunes vers d'autres professions.

3- L'enseignement agricole doit former, comme les autres ordres d'enseignement, l'homme, le citoyen et le producteur.

4- La réforme de l'enseignement doit être conçue en fonction d'une généralisation de la formation agricole de base et d'un développement intensif du second degré, en vue de former à ce niveau le plus grand nombre possible d'agriculteurs et l'ensemble des techniciens dont le secteur agricole a le plus besoin.

C'est à dire que l'enseignement professionnel ne doit pas intervenir trop tôt. L'enseignement s'insérant dans la durée de la scolarité obligatoire devrait être orienté vers les sciences nécessaires à l'activité agricole : « physique, chimie, sciences naturelles et viser principalement à développer l'esprit d'observation et à créer chez l'adolescent, les conditions d'un accueil favorable à la diffusion des connaissances et du progrès technique.... ».

5- La femme doit pouvoir atteindre le même degré de culture et de formation professionnelle que l'homme.

« Chaque fois qu'il est possible » on organisera des établissement mixtes et on « jumellera » des établissements masculins et féminin.

Mais la formation professionnelle restera spécifique, en totalité ou en partie. En outre, afin de satisfaire les besoins en cadres supérieurs féminins, que ne peut former l'enseignement agricole supérieur, sera créé un, voire plusieurs, établissement supérieur féminin.

6- Le projet prévoit les institutions qui auront pour objet de veiller à l'adaptation permanente des structures et des méthodes d'enseignement aux nécessités de l'évolution économique et sociale.

* C'est la création d'un conseil supérieur de l'enseignement agricole, associant des représentants de la profession, des enseignants, des chercheurs. Ce conseil est « en rapport permanent avec le Haut comité de l'orientation et de la formation professionnelle placé sous la présidence du Ministre de l’Éducation Nationale et avec le Conseil National de la vulgarisation du Progrès Agricole ».

* Enfin est réaffirmé, « le principe traditionnel d’après lequel l'enseignement et la formation professionnelle agricoles relèvent du Ministre de |'Agriculture ».

Cette tutelle est entière pour les établissement du second degré ; il en est de même pour la majorité des établissement du supérieur. Pour les établissements relevant du Ministère de l’Éducation Nationale qui comporte une option agricole, le Ministère de l'Agriculture apporte son concours.

C'est le décret d'application de juin 1961 qui va préciser l'organisation de l'ensemble de l'enseignement agricole.

Dans ses quatre titres, il décrit l'enseignement agricole :

- L'enseignement agricole court et l'enseignement agricole long.

- L'enseignement féminin agricole.

- L'enseignement supérieur agricole.

- Le personnel enseignant et d'inspection.

Le décret rappelle tout d'abord qu'une formation de base adaptée aux exigences de la vie rurale est dispensée dans les classe du cycle terminal des écoles rurales et dans les C.E.G. ruraux.

En outre, jusqu’à la date où la scolarité obligatoire se poursuivra effectivement jusqu'à 17 ans, les centres postscolaires agricoles et ménagers agricoles sont maintenus en activité.

Les établissements d'enseignement agricole publics recrutent les élèves après le cycle d'observation, c'est à dire en 4e.

Plusieurs types de formation y sont possibles :

- La formation professionnelle agricole associée à une formation générale qui est sanctionnée par le brevet d'apprentissage agricole (B.A.A.) et par le brevet d'enseignement agricole (B.E.A.). Il s'agit d'un enseignement à « orientation agricole » qui vise à « préparer les agriculteurs à l'exercice de leur profession »,

- la formation professionnelle agricole débouchant sur le brevet professionnel agricole (B.P.A.), qui se déroulera après l'obligation scolaire. Elle s'inspire des cours des écoles d'agriculture d'hiver et s'adresse aux futurs agriculteurs qui veulent une formation professionnelle plus sérieuse et spécialisée selon les régions,

- l'enseignement technique agricole qui a pour objet d'assurer la formation d'agents techniques, de techniciens et de techniciens supérieurs. Formation générale et formation technique sont associées.

Le brevet d'agent technique agricole (B.A.T.A.) est délivré quatre ans après le cycle d'observation.

Le brevet de technicien agricole (B.T.A.) est atteint en cinq ans après le cycle d'observation.

Le brevet de technicien supérieur agricole (B.T.S.A.) est délivré après deux ans d'études spécialisés, les élèves étant recrutées parmi les techniciens brevetés, les titulaires de la 1ére partie du baccalauréat ou tout titre équivalent. Le B.T.S.A. comprend divers spécialités. Il entraîne l'équivalence de la 2e partie du baccalauréat.

Ces diverses formations sont regroupés en trois cycles et assurées dans les collèges et lycées agricoles :

- le cycle I s'étend sur trois ans et se termine par le B.A.A.,

- le cycle II s'étend sur trois ou quatre ans et se termine par le B.E.A. ou le B.A.T.A.,

- le cycle III au bout de cinq ans débouche sur le B.T.A.,

- le B.P.A. est préparé en deux ans dans un cours professionnel,

- le B.T.S.A. est préparé dans des sections spécialisés en lycée agricole, dans certains établissements d'enseignement supérieur agricole ou dans certaines universités,

- les cycles I et II s‘adressent en priorité aux futurs agriculteurs, le cycle III « qui prend en charges les élèves scolairement les plus doués [sic]...." vise uniquement à préparer des techniciens d‘un niveau élevé, susceptibles de poursuivre dans les diverses voies de l'enseignement supérieur.

- L'enseignement féminin agricole comporte des formations courte et longue aboutissant aux mêmes diplômes que les garçons. Ces formations sont données dans des établissements mixtes ou dans des établissement particuliers.

En outre, sont créées, dans les écoles nationales féminines d'agronomie (E.N.F.A.), deux sections :

- une section "de la formation des cadres" pour assurer la formation de cadres moyens pour l'agriculture et les professions connexes,

- une section "pédagogique et technique" pour la préparation au certificat d'aptitude au professorat dans les collèges et écoles ou cours professionnels agricoles de l'enseignement agricole public.

Entrées par concours ouvert aux bacheliers ou titulaires du B.T.A., les élèves ont deux ans d'études et obtiennent le diplôme féminin d'agronomie. Pour celles qui préparent le professorat, il y a un an d'études supplémentaires.

Enfin, l’École Nationale Supérieure Féminine d'Agronomie (E.N.S.F.A.) forme les cadres supérieures de l'agriculture. Le recrutement se fait au même niveau et dans les mêmes conditions que pour les E.N.F.A. Après quatre ans d'études, les élèves obtiennent le diplôme des Hautes Études Féminines agronomiques.

- L'enseignement supérieur agricole est également profondément modifié. Il assure « aux titulaires du baccalauréat ou de titres reconnus équivalents », la formation d'ingénieurs spécialisés en agriculture, d'ingénieurs horticoles, d'ingénieurs des industries agricoles et alimentaires, d'ingénieurs agronomes et de docteurs vétérinaires.

En outre, il contribue au perfectionnement des ingénieurs et participe à la promotion supérieure du travail en agriculture. La formation d'ingénieurs spécialisés en agriculture dure trois ans, elle est donnée dans des écoles spécialisées recrutant par concours après le baccalauréat.

La formation des ingénieurs agronomes a vocation générale est donnée dans les Écoles Nationales Supérieures Agronomiques (E.N.S.A.), qui sont des établissements d'enseignement et de recherche. Il y a cinq E.N.S.A. relevant du Ministère de l'Agriculture : l'Institut National Agronomique, les E.N.S.A. de Grignon, Montpellier, Rennes et Alger. Ces E.N.S.A. étaient jusqu’alors des Écoles Nationales d'Agriculture. Deux E.N.S.A. dépendent du Ministère de l’Éducation Nationale : Nancy et Toulouse.

Enfin, la formation des vétérinaires est donnée en quatre ans dans les écoles Nationales Vétérinaires d'Alfort, Lyon et Toulouse. L'enseignement vétérinaire apparaît explicitement dans le décret, ce qui est une nouveauté.

- Le personnel enseignant est constitué par le personnel venu de l’Éducation nationale et par un personnel spécifique. Sont en effet prévus :

des professeurs de collèges et de lycées agricoles ayant un C.A.P. délivré après études dans les E.N.F.A. ou à l’École Nationale Supérieure des Sciences Agronomiques Appliquées (E.N.S.S.A.A.) ; des professeurs ingénieurs formés à l'E.N.S.S.A.A. Qui fonctionne « en tant qu’École Normale Supérieure de l'Enseignement Agricole ».

Pour l'enseignement supérieure et vétérinaire, les enseignants sont assimilés à ceux de l'enseignement supérieur de l’Éducation Nationale. Chaque E.N.S.A. dispose d'un corps enseignant qui lui est propre.

Une loi de programme, votée en 1962, prévoit qu'en 1975, l'enseignement agricole public comprendra dans chaque département : un lycée, deux collèges masculins et un collège féminin.

Cette loi de programme a un grand intérêt car elle se veut première tentative pour planifier le développement de l'enseignement agricole public.

Mais plusieurs faits vont la rendre rapidement sans valeur :

- il n'y a pas eu d'analyses précises des besoins en formation,

- il n'y a pas de carte scolaire de l'enseignement agricole,

- l’enseignement privé n'est absolument pas tenu de respecter un programme de développement.

Et pourtant, nous l'avons vu, cet enseignement doit former les futurs chefs d’exploitations et les cadres de l'agriculture, mais également permettre aux jeunes de trouver un emploi hors de l'agriculture.

C'est à dire qu'il doit participer à la régulation de flux de main-d’œuvre, en ajustant l'enseignement aux besoins des divers secteurs économiques.

Mais cela se fait sans publicité, car l’objectif maintes fois répété est celui de la parité sociale et culturelle entre agriculteurs et « autres catégories socioprofessionnelles » (?).

Jusqu’en 1969, l’enseignement agricole public va se développer rapidement. Les effectifs vont être multipliés par trois en dix ans, atteignant plus de 38 000 élèves. Pourtant les objectifs de la loi de programme ne sont atteints qu'a 48% seulement.

L’enseignement agricole, durant la période 1960-1969 peut être caractérisé ainsi3 :

- un enseignement essentiellement de cycle court = 72% des élèves en 1969,

- un enseignement surtout féminin = 60% de filles

- un enseignement majoritairement privé = 67,4% des effectifs,

- les formations courtes sont surtout assurées par le privé, de même que l’enseignement féminin.

En 1969, va intervenir un abandon officiel de la loi de programme, au nom « d'une pause pour réfléchir aux problèmes posés par la formation des hommes en agriculture.... ».

Subissant un budget austérité, le Ministre parait décidé à procéder enfin à l'analyse des besoins prévus par la loi de 1960 et à élaborer la carte scolaire de l’enseignement agricole.

Pour l’enseignement public, le coup de frein est sévère :

les crédits d’équipement pour 1970 sont de 67 millions contre 103 en 1969 et 197 en 1965, soil une baisse de 35% entre 1969 et 1970.

Pour l'enseignement agricole, le budget global baisse de 8%, alors que celui de l’Éducation Nationale augmente de 12%.

Et la part du budget de l'enseignement agricole dans le budget du Ministère de l'Agriculture passe de 3,7% en 1969 à 3,4% en 1970.

ll est donc évident que 1970 constitue une étape majeure dans la mise en œuvre de la loi de 1960. Des retards importants sont apparus dans l'application de la loi de programme de 1962 ; l'analyse des besoins de formation n'a pas été réalisée, contrairement à ce que prévoyait la loi de 1960 ; la réforme de 1968 a cherché à mieux coordonner l'enseignement agricole avec l’Éducation Nationale. Les orientations et les moyens de l'enseignement agricole sont, à nouveau, remis en question.

Cette pause va conduire à modifier les objectifs de l'enseignement agricole, en mettant en œuvre les orientations de l'O.C.D.E. en matière d'enseignement :

- adapter l'enseignement à l'économie, notamment en limitant l'expansion scolaire et en développant l'éducation récurrente ;

- limiter les ressources publiques accordées à l'enseignement ;

- accroître la participation financière des entreprises (en répondant à leurs besoins) et demander une contribution plus importante aux familles ;

- rationaliser au maximum, optimiser les dépenses d'enseignement, en évitant les redoublements et abandons et en rentabilisant les équipements.

Sans débats parlementaires, au cours de réunions discrètes avec les organisations professionnelles "reconnues" par le Ministère de l'Agriculture4 et les représentants de l'enseignement privé, de nouveaux objectifs sont donc formulés.

Ils conduisent à renforcer le caractère technique et professionnel de cet enseignement. Il s'agit de former les chefs d'entreprises, les cadres et les techniciens nécessaires à l'agriculture et au secteur para-agricole.

La coupure avec l’Éducation est donc plus nette, avec l'abandon des classes non professionnelles.

Le Ministre de l'Agriculture, Jacques Chirac, met en évidence l'importance politique des choix fait en matière d'enseignement agricole, en insistant sur « l'apport fondamental d'un monde dont les caractéristiques sont susceptibles de tempérer les excès de certaines communautés urbaines déracinées et artificiellement constituées ». Et retrouvant le thème agrarien classique, il ajoute : « le milieu rural est, de plus, une source d'harmonie sociale ».

Ce qui le conduit à définir la tache des éducateurs ; elle doit être conçue en fonction du souci d'apprendre aux jeunes ruraux à préserver les valeurs spécifiques qui constituent une de leurs richesses essentielles.

Une nouvelle étape de l'évolution de l'enseignement agricole a été atteinte, avec l'abandon complet des propositions et orientations de la loi de 1960.

L'accent mis sur un enseignement professionnel de plus en plus spécialisé en est le témoin. Tout ceci s'est fait sans débat public, par les choix effectués entre le Ministre de |'Agriculture, les représentants de l'enseignement privé et ceux des organisations professionnelles agricoles reconnues .

Au début de 1979, une nouvelle loi-cadre agricole est en cours de préparation pour « redonner un nouveau départ à la compétitivité [par].... une meilleure maîtrise des coûts de production ».

Des modifications de l'enseignement agricole semblent prévues, de divers documents, quelques idées dominantes se dégagent :

La formation des chefs d'exploitation est prioritaire, c'est elle qui donne sa spécificité à l'enseignement agricole. Mais cette formation ne peut être complètement donnée durant la période scolaire.

Elle doit être dissociée en plusieurs temps :

- formation de base par la voie scolaire, aboutissant au B.E.P.A. ou au B.T.A.O., le tiers du temps étant consacrée à des stages,

- pratique professionnelle de durée variable,

- stage de préparation d'une durée moyenne de 200 heures, avec spécialisations, compte tenu des orientations de l'exploitation.

Ceci conduit à lier plus étroitement formation initiale et formation d'adultes. Pour leur part, les organisations professionnelles revendiquent la responsabilité de la formation professionnelle de l'exploitant, c'est à dire après la formation de base ; mais aussi une responsabilité plus grande dans celle-ci.

En 1978, l'enseignement agricole peut être caractérisé de la manière suivante :

- un enseignement technique privé formant la majorité des futurs agriculteurs, souvent sans que cela aboutisse à l'acquisition d'un diplôme ; et formant aussi des ruraux pour d'autres secteurs économiques,

- un enseignement technique public formant des chefs d'entreprises agricole, et des cadres pour le secteur para-agricole,

- un enseignement supérieur coupé, en grande partie, de l'enseignement technique agricole et séparé en deux niveaux :

* l'enseignement supérieur public et privé formant des ingénieurs d'application pour l'encadrement de l'agriculture et le para-agricole,

* l'enseignement supérieur agronomique formant des ingénieurs de conception qui s'orientent vers la fonction publique et assimilée, et vers les organisations économiques agricoles.

En 1955, il n‘y avait que 3,3% des agriculteurs qui avaient suivi une formation agricole.

En 1970, selon le Recensement Général de l'Agriculture, ce sont 8, 3% des agriculteurs qui ont suivi cette formation. Il n‘y a pas un agriculteur sur dix qui sorte d'une formation technique agricole, quel qu'en soit le niveau mais dans les moins de 35 ans le pourcentage est plus élevés, 37,2%.

Le progrès existe, mais en quinze ans et après la loi de 1960, il parait bien mince.

En outre, le pourcentage d'agriculteurs formés varie fortement selon la surface moyenne des exploitations :

- 6,2% pour les chefs d'exploitation de 5 à 20 hectares,

- 23,1% pour les plus de 50 hectares et, selon une autre enquête, en 1967,

- 85,2% des exploitations de plus de 100 hectares ont une formation agricole.

C'est a dire que l’accès à l’enseignement agricole est lié directement à la situation économique familiale.

Une autre preuve est fournie par le pourcentage d'agriculteurs ayant une formation supérieure agricole, 0,5% de l'ensemble des chefs d’exploitations, et 2,7% pour les plus de 50 hectares.

L'ensemble agricole, rattaché au Ministère de l'Agriculture, participe à la reproduction des inégalités sociales comme l'Enseignement de l’Éducation Nationale. Bien que s’adressant à une population spécifique, en ce sens là, ce n'est pas un enseignement à part.

Conclusion

Au long des 130 ans de son histoire, il apparaît que l'enseignement agricole a toujours été un outil pour la mise en œuvre de la politique agricole.

Tantôt flatté, tantôt oublié, il a eu assez peu d'impact sur la formation professionnelle des agriculteurs jusqu’à une période récente.

Les personnels enseignants ont eu un rôle incontestable dans l'évolution du monde rural. Il n'est que citer les professeurs départementaux d’agriculture ou les instituteurs agricoles pour en être convaincu.

Mais ce rôle d’éducation parait n’être souvent qu'une retombée indirecte de la politique de l'enseignement agricole.

Seul l'enseignement supérieur a assuré de façon déterminante la mission de formation des cadres, depuis le XIXe siècle ; des cadres qui ont aidé à| orienter le développement agricole.

L'enseignement agricole s’est donc constitué en accord avec l’évolution de l’agriculture et de l'ensemble de la société civile. il a contribué à la diffusion des sciences et des techniques par la formation des cadres et non de la masse des agriculteurs.

Il a suivi ainsi la division sociale du travail qui, en France, a conduit à créer une agriculture où les producteurs, peu ou pas formés, sont "conseillés" et orientés par des cadres techniques extérieurs aux entreprises agricoles.

Comme pour tous les types d'enseignement, la place et le rôle de l’enseignement agricole ont fait l’objet de luttes politiques importantes.

Les temps forts de son histoire sont aussi des temps de crise politique intense et/ou de bouleversement du procès de production.

Mais ici l’enjeu est particulier puisque c'est de la paysannerie qu’il s'agit, la bourgeoisie au pouvoir l'a très vite isolée, en la flattant tout en ne lui proposant pas de moyens de formation professionnelle.

Pendant longtemps, en effet, le développement du capitalisme français ne reposait pas sur l'évolution rapide du secteur agricole, demandant une main d’œuvre qualifiée, mais plutôt sur un prélèvement de capital et de main d’œuvre pour les secteurs non agricole.

Aujourd’hui elle utilise les deux secteurs d'enseignement, public et privé, l'un pour participer à la mise en place d’une agriculture compétitive, intégrée à l’économie nationale, l’autre pour maintenir les valeurs qui fondent le mythe de l'unité paysanne si utile à l’ordre établi, tout en permettant la réduction rapide du nombre en agriculteurs.

Notes

1 Voir l’analyse de Rueff, Jacques et Armand, Louis. Rapport sur les obstacles à l’expansion économique présenté par le comité institué par le décret n° 59-1284 du 13 novembre 1959. Paris, Imprimerie nationale, 1960, 98 p.

2 Segré, Monique. École, formation, contradictions (de la réforme Berthoin-Fouchet à la réforme Haby). Paris, Éditions sociales, 1976.

3 Barthez, Alice et Chaix, Marie-Laure. La formation professionnelle agricole est-elle anachronique ? Dijon, DATAR, INRA, ENSSAA, 1974, 60 p.

4 Le gouvernement n'accepte pas de reconnaître la représentativité de plusieurs organisations qui critiquent fondamentalement sa politique agricole.

Références

Augé-Laribé, Michel. La politique agricole de la France de 1880 à 1940. Paris, PUF, 1950, 485 p.

Boulet, Michel ; Coudray, Léandre et Coutenet, Jean. Milieu rural et formation permanente. Paris, E.S.F. - E.M.E, 1975, 176 p.

Boulet, Michel. Évolution de l'enseignement agricole (1789-1978). Dijon, ENSSAA, 1979.2 volumes offset, 101 et 124 p.

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Wright, Gordon. La révolution rurale en France. Paris, Éditions de l’Épi, 1967, 342 p.

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