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L'école des paysans

1848. Décret organisant l'enseignement agricole. Elaboration, adoption

31 Octobre 2015 , Rédigé par Michel Boulet Publié dans #Textes officiels

Projet de décret sur l'organisation de l'enseignement agricole précédé de l'exposé des motifs par le citoyen Tourret, ministre de l'agriculture et du commerce.

Assemblée nationale Séance du 17 juillet 1848.

Citoyens représentants,

En vous parlant des nécessités qui nous pressent et des travailleurs qui désertent les champs et encombrent les cités, en vous parlant de l'agriculture, des immenses progrès qu'elle réclame et que nous voulons déterminer par tous les moyens possibles, nous sommes certains de rencontrer parmi vous une sympathie unanime et féconde. Comme nous, vous voulez, en accroissant les richesses agricoles, faire rendre au sol tout ce qu'il peut donner ; fixer par une série d'institutions, et par un bénéfice agrandi, le cultivateur dans les campagnes, y rappeler la population exubérante des villes, et, sans diminuer les avantages actuels du producteur, abaisser autant qu'il se pourra le prix des matières premières, particulièrement celui des substances alimentaires les plus indispensables.

Or, de tous les moyens propres à amener rapidement et sûrement l'amélioration si désirable de l'agriculture, un des plus certains, sans contredit, est la diffusion de ses véritables principes, la connaissance de ses procédés les plus avantageux, en un mot l'enseignement professionnel de l'industrie rurale. Aussi nos premières préoccupations ont-elles toutes été tournées de ce côté ; et, convaincu de la vérité de cette doctrine, nous nous empressons de soumettre à votre approbation éclairée un projet de loi qui , à notre sens, doit, par son application successive, faire entrer rapidement notre production agricole dans une voie de progrès et de notable perfectionnement.

En ce point, au reste, nous n'innovons pas, nous venons seulement vous proposer la réalisation d'une idée qui a pris racine en France, depuis le jour où il a été reconnu que l'agriculture était le plus ferme soutien de notre prospérité. Si cette idée, appliquée à l'étranger, est restée chez nous à l'état de germe, il faut en accuser l'incurie des anciens Gouvernements, qui stimulaient outre mesure l'industrie manufacturière , et abandonnaient à elle-même, sans rien faire pour déterminer son progrès, l'industrie la plus vitale, la plus utile et la moins dangereuse, celle de la culture du sol.

Cependant, après le rétablissement de la paix générale, le mouvement agricole imprimé à l'Allemagne par Thaër et par Schwerz, eut en France, grâce particulièrement à l'illustre Mathieu de Dombasle, un grand retentissement ; quelques tentatives isolées et particulières eurent lieu. Plus tard, le dernier Gouvernement, cédant enfin à l'impulsion du dehors, aux insistances de la presse agricole et aux réclamations des cultivateurs, se décida à entrer timidement, il est vrai, dans cette voie. Trois instituts agricoles, œuvres de l'industrie privée, Grignon, Grand-Jouan et La Saulsaie, reçurent des subventions sur le crédit des encouragements à l'agriculture. L'inspection d'agriculture et quelques fermes-écoles furent fondées ; là se borna l'action fort incomplète du pouvoir déchu.

Mais la République, en ouvrant une ère de progrès et de brillant avenir, devait laisser bien loin ces essais imparfaits. Sous elle l'instruction cessait d'être un privilège et devait être dispensée à chacun selon son intelligence et ses besoins ; aussi est-ce sur ces bases que nous vous proposons d'organiser l'enseignement de l'agriculture.

Cet enseignement, avons-nous dit, doit être en rapport avec les besoins de l'industrie rurale ; or, il faut à celle-ci, pour être prospère, 1° des travailleurs habiles ; 2° des chefs d'exploitation, propriétaires ou fermiers, moraux, capables et instruits ; 3° enfin des hommes qui, versés dans la science et la pratique agricoles, se vouent à la carrière de l'enseignement, et propagent, par la parole et par l'exemple, les hautes connaissances qu'ils auront acquises par l'expérience et le travail. — Des fermes-écoles rempliront le premier but ; des écoles régionales répondront au second; et le troisième enfin sera atteint par la création d'un Institut national agronomique, véritable école normale ou faculté de l'agriculture.

Aux fermes-écoles, le procédé agricole proprement dit ; l'apprentissage du travailleur ; point de cours théoriques, mais l'explication raisonnée, dans des conférences et sur le terrain même, des principales opérations de la culture, dont la pratique sera complètement abandonnée aux apprentis. La ferme-école est la pépinière où se formeront les ouvriers agricoles, les contre-maîtres, les métayers et les petits fermiers. Un examen public servira au classement des apprentis, et désignera ceux qui, choisis parmi les plus méritants, iront recevoir, aux frais de l'État, dans les écoles régionales, l'enseignement du second degré.

Les écoles régionales, destinées à l'instruction des chefs d'exploitation, propriétaires ou fermiers, serviront encore d'écoles préparatoires à ceux qui voudront plus tard arriver à l'Institut national agronomique ; la pratique y formera toujours la base de l'enseignement ; mais la théorie, plus largement professée, viendra expliquer les faits, et les contrôler par le raisonnement. L'économie, ou la science de l'administration rurale, occupera une grande place dans l'enseignement des écoles régionales, d'où sortiront des hommes appelés à diriger, soit pour leur propre compte, soit pour le compte d'autrui, des exploitations importantes.

L'Institut national agronomique couronnera l'édifice dont nous venons d'indiquer les bases ; il se recrutera, par le concours, parmi les élèves les plus capables des écoles régionales, et constituera l'école normale de l'agriculture ; les écoles régionales et l'administration y trouveront, les unes leurs professeurs ; l'autre, des employés capables et instruits, les hommes spéciaux dont elle a toujours besoin.
Nous n'avons pas donné place, dans ce projet, aux colonies agricoles d'enfants trouvés, d'orphelins, de vieillards, d'indigents ; elles pourraient être particulièrement horticoles, et fournir ainsi, et des jardiniers habiles, et des produits. Déjà il en existe près de quelques fermes-écoles, et nous croyons qu'on pourrait en rattacher, avec profit, un certain nombre aux établissements d'instruction agricole ; mais en les comprenant dans ce décret, nous aurions craint de jeter de la confusion sur le sujet, et d'embrasser un champ trop vaste ; nous nous sommes donc abstenu, et nous nous sommes proposé de tenter de nouveaux essais avant d'entretenir l'Assemblée de cet important objet.

[…]

PROJET DE DÉCRET.

Au nom du Peuple français

Le Président du conseil des Ministres, chef du Pouvoir exécutif, Arrête :

Le projet de décret dont la teneur suit sera présenté, à l'Assemblée nationale, par le Ministre de l'agriculture et du commerce, qui est chargé d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.

Article Premier. L'enseignement professionnel de l'agriculture sera donné, aux frais de l’État, dans des fermes-écoles, dans des écoles régionales d'agriculture, et dans un Institut national agronomique.

TITRE PREMIER.

Des fermes-écoles

Art. 2 . La ferme-école est une exploitation rurale, conduite avec habileté et profit, et dans laquelle des apprentis choisis parmi les travailleurs et admis à titre gratuit exécutent tout les travaux, recevant, en même temps qu'une rémunération de leur travail, un enseignement agricole essentiellement pratique.

Art. 3. Dans chacun des arrondissements de la République, comprenant des communes rurales, il sera établi une ferme-école.

Art. 4. Les traitements et gages du personnel enseignant sont payés par l'État, lequel prend aussi à sa charge le prix de pension qui, joint au travail, est alloué au directeur pour l'indemniser des dépenses de nourriture et autres que la présence de l'apprenti entraîne, et aussi la somme que l'élève reçoit à titre de pécule.

TITRE II.

Des écoles régionales d'agriculture

Art. 5. L'école régionale d'agriculture est une exploitation en même temps expérimentale et modèle pour la région à laquelle elle appartient, et destinée à admettre, comme élèves, et à titre de boursiers de l'État, les meilleurs apprentis des fermes-écoles, qui y complètent, à un point de vue plus élevé, l'enseignement reçu dans l'école du premier degré.

Art. 6. Les écoles régionales peuvent aussi recevoir, mais aux frais de ceux-ci et après examen, les jeunes gens, ne sortant pas des fermes-écoles, qui désirent étudier l'agriculture théorique et pratique, et devenir capables d'exploiter avec intelligence, soit leur propriété, soit la propriété d'autrui.

Art. 7. Dans chacune des régions agricoles de la France ayant un système de culture bien déterminé, il sera établi une école régionale d'agriculture ; mais le nombre des établissements de cette nature n'excédera pas vingt.

Art. 8. Les traitements et gages du personnel sont payés par l'État, qui entretient aussi à ses frais, dans les écoles régionales, comme boursiers, un certain nombre des meilleurs élèves des fermes-écoles.

Art. 9. Les fonctions de professeurs des écoles régionales sont données au concours.

Art. 10. Les écoles régionales sont administrées en régie aux frais et pour le compte de l'État.

Art. 11 Les meilleurs élèves des écoles régionales qui, à la fin de leurs études, n'entreront pas immédiatement à l'Institut national agronomique, peuvent être placés, comme stagiaires, pendant deux ans et aux frais de l'État, près des fermes-écoles les plus importantes.

Le stagiaire seconde le directeur dans ses travaux, s'initie à la pratique de l'administration rurale, et complète, en un mot, son éducation agricole comme chef d'exploitation.

TITRE III.

Institut national agronomique.

Art. 12. L'Institut national agronomique est l'école normale supérieure d'agriculture. Il reçoit, avec les citoyens qui se destinent à la carrière de l'enseignement agricole, ceux qui veulent compléter leurs études spéciales.

Art. 13. L'Institut national est établi sur un des domaines de l'État et près de Paris.

Art. 14 . Les traitements et gages du personnel sont payés par l'État, qui place et entretient chaque année, à ses frais, près de l'Institut national agronomique, vingt élèves, choisis au concours, parmi les meilleurs élèves boursiers des écoles régionales.

Art. 15. Les fonctions de professeur de d'Institut national seront données au concours.

Art. 16. L'Institut national agronomique sera administré en régie et pour le compte de l'État.

Art. 17. Chaque année, les trois meilleurs élèves de l'Institut national agronomique reçoivent, aux frais de l'État, pour trois ans, une mission complémentaire d'étude et d'exploration agricoles, qui s'exécutent tant en France qu'à l'étranger.

Art. 18. A partir de l'année 1860, nul ne sera admis au concours comme candidat aux fonctions de professeur dans une école régionale d'agriculture, et ne pourra obtenir une des chaires spéciales d'économie rurale et d'agriculture à l'Institut national agronomique, ni être nommé inspecteur d'agriculture, s'il n'est muni du diplôme de l'Institut.

TITRE IV.

Dispositions générales.

Art. 19. Afin de pourvoir aux premiers frais des établissements d'instruction agricole à créer en 1868, il est ouvert au ministre de l'agriculture et du commerce, sur l'exercice 1848, un crédit de 500 000 francs, qui sera inscrit au chapitre V de la loi de finances. (Dépenses de l'exercice 1848.)

Il sera pourvu à cette dépense au moyen des ressources créées par la loi des recettes du 8 août 1847.

Art. 20. Il est également alloué, sur l'exercice 1849, un crédit de 2 677 062 fr., qui sera inscrit dans un chapitre spécial. (Enseignement professionnel de l'agriculture.)

Il sera pourvu à cette dépense au moyen des ressources à créer par la loi des recettes de l'année 1849.

Art. 2 1 . Les vacheries, bergeries, actuellement existantes, seront annexées à des établissements d'instruction agricole, dont elles ne seront que les accessoires. Il pourra, dans ce but, être dérogé à la spécialité des chapitres qui les concernent, et qui appartiennent à la loi de finances portant règlement des dépenses de l'exercice 1848.

Art. 22. Toutes les dispositions des lois antérieures demeurent abrogées, en ce qu'elles ont de contraire au présent décret.

Fait à Paris, le 15 juillet 1848.

Le Président du Conseil des Ministres, chef du

Pouvoir exécutif',

Signé E. CAVAIGNAC.

Par le chef du Pouvoir exécutif :

Le Ministre de 'l'agriculture et du commerce

Signé Tourret.

Rapport fait par le citoyen A.Richard (du Cantal), représentant du peuple, au nom du comité d’agriculture et de crédit foncier à l’Assemblée nationale, sur le projet de décret du ministre de l’agriculture et du commerce relatif à l'organisation de l’enseignement professionnel de l’agriculture en France.

Citoyens représentants,

je viens vous rendre compte du travail du comité de l'agriculture et de crédit foncier sur le projet de décret du citoyen ministre de l’agriculture relatif à l'organisation de 1'enseignement agricole en France.

Les esprits sérieux ont toujours compris l'importance de l'enseignement professionnel en général, et l'expérience a toujours confirmé leur opinion sur ce point. Ils ont considéré l'instruction comme le premier élément de prospérité dans chacune des industries qui alimentent le commerce et qui procurent les moyens d'existence à tant de populations ouvrières. Si nous examinons en effet, les progrès que nous avons faits depuis la fin du dernier siècle, si nous les comparons à ceux des siècles passés, nous voyons que nous avons obtenu plus de succès dans les arts industriels et les manufactures, depuis notre première révolution que pendant les siècles précédents.

Il est facile d'expliquer ce fait incontestable. Les hautes intelligences qui veillaient aux destinées de la France, au milieu des troubles de notre première République, avaient compris que nous ne pouvions dominer la situation de l'époque qu'avec le secours de l'instruction. La France était réduite à ses propres ressources ; bloquée de toutes parts, elle était privée de celles qu'elle avait tirées de l'étranger avant la guerre qu'il nous déclara sur toutes nos frontières. Le gouvernement de la République, en lutte avec toute l'Europe, désolé par la guerre civile, ne vit de salut que dans lui-même. Au milieu des graves dangers qui l'entouraient, il comprit que, si l'ignorance des peuples avait fait la force des monarchies, leur instruction devait faire celle des républiques. Il fit donc un appel aux savants. Il fonda des établissements de haut enseignement ; et en peu de temps des ateliers perfectionnés de tout ordre furent établis sur tous les points du territoire. Les sciences naturelles, les mathématiques, la physique, la chimie, la mécanique, etc..., appliquées aux arts et aux manufactures, leur donnèrent des procédés de fabrication, des méthodes ingénieuses, des machines, des développements inconnus jusque alors ; l'activité des intelligences et des bras fut incalculable au milieu des désordres politiques de toute nature ; et la France prouva ce que peut faire une grande nation libre et éclairée. En peu d'années elle triompha des obstacles que l'Europe coalisée avait voulu opposer à la marche de ses doctrines démocratiques ; la face de notre industrie manufacturière, de nos voies de communication, de nos travaux publics, fut changée, et le moindre atelier, comme nos institutions de tout ordre, nous offrent aujourd'hui les traces de la cause qui détermina cette heureuse révolution aussi rapide qu'inattendue.

Cependant l'industrie agricole fut loin de recevoir la même impulsion. Ses ouvriers furent abandonnés à eux-mêmes sans instruction. Les capitaux, comme les intelligences qui les font prospérer, furent dirigés vers l'industrie manufacturière, les arts et le commerce. On oublia d'établir le juste équilibre qui n'aurait jamais dû cesser d'exister entre eux et la production du sol. On imita trop Colbert, qui s'était trop éloigné lui-même des principes de l'école de Sully. Colbert, en effet, plus financier qu'économiste, fit tout pour le commerce et l'industrie manufacturière. Il appela, pour réussir, les intelligences les plus renommées de l'Europe dans les sciences physiques, mathématiques, anatomiques, etc... et il ne fit rien pour l'agriculture.

Et cependant, c'était elle qui fournissait les matières premières de fabrication, le grand ministre ne pouvait pas l'ignorer ; c'était elle qui nourrissait le peuple, payait les plus gros impôts, et élevait les soldats les plus robustes comme les mieux disciplinés. Qui ne sait les ressources que la République et l'empire trouvèrent dans les populations rurales, quoique déshéritées de la science de leur profession, pour combattre l'Europe coalisée contre ia France ?

Le cultivateur était donc abandonné à lui-même. Peu éclairé dans son art, il exploitait le sol comme ses pères et ne progressait pas. Sa profession n'avait pas reçu, comme les autres, les bienfaits de l'instruction professionnelle. L’État avait fondé l'école polytechnique pour les besoins de l'armée, des places fortes, des travaux publics, de la marine ; celle des mines pour l'exploitation des richesses minérales ; l'école normale pour l'enseignement, celle des arts et métiers pour les professions, les métiers divers ; les écoles militaires, les écoles de médecine humaine et vétérinaire, celle de droit, etc... ; et l'on sait les services immenses que leurs élèves rendirent partout où ils furent employés chacun dans sa spécialité. L'agriculture seule fut privée de son enseignement ; et cependant, s'il avait été organisé, le bien-être du peuple, la puissance de la France, se trouveraient aujourd'hui dans des conditions bien différentes. Mais abandonnés à eux-mêmes par les gouvernements monarchiques, les cultivateurs, ces ouvriers de la nature, furent obligés de travailler la terre suivant les anciennes méthodes, quand toutes les autres industries en avaient de perfectionnées depuis longtemps. [...]

Aujourd'hui, citoyens, le ministre de l'agriculture et du commerce de la République vous présente un projet professionnel d'organisation d'enseignement agricole large et digne d'une nation qui a compris que l'agriculture est la base la plus solide de sa richesse comme de sa puissance. Je vais vous faire connaître l'opinion de la commission, que vous avez nommée pour étudier ce travail sérieux et vous en rendre compte.

Le ministre de l'agriculture et du commerce propose la création de trois degrés d'instruction agricole dans trois sortes d'étab1issements distincts, fondés sur divers points du territoire de la République. Il les distingue par les noms de fermes-écoles pour 1'enseignement du premier degré, d'écoles régionales d'agriculture pour l'enseignement du deuxième degré et enfin d'institut national agronomique pour l'instruction du troisième degré, qui sera naturellement le plus élevée.

L'enseignement de chacun de ces degrés diffère par sa force comme par son mode ; je vais essayer de vous l'expliquer.

Les fermes-écoles formeraient des ouvriers cultivateurs habiles, des métayers, de petits fermiers intelligents, des contre-maîtres capables de remplacer au besoin les chefs des grandes exploitations. Ils pourraient conduire sous leur direction tout leur personnel de travailleurs et les travaux qu'ils exécutent. Ces citoyens instruits placés entre les patrons et les ouvriers, ont rendu d'éminents services à l'industrie manufacturière. Ils manquent à 1'agriculture ; et quand ils seront formés, nous pouvons affirmer qu'elle leur devra la plus grande partie de la prospérité dont elle jouira lorsqu'elle sera éclairée.

Les jeunes gens qui se feront distinguer dans les fermes-écoles par leur conduite, par leur intelligence et leur savoir dans les examens qu'ils subiront pour leur classement, pourront être admis aux frais de l’État dans les écoles régionales et l'institut national agronomique dont nous vous entretiendrons plus loin.

La fondation des fermes-écoles, telle que le citoyen ministre la propose a eu l'approbation unanime de votre commission. Leur organisation est simple, bien comprise et peu dispendieuse. L'expérience a d'ailleurs prouvé, dans quelques points de la France où il en existe déjà, et surtout en Allemagne et en Suisse, que leur concours sera de la plus haute importance pour l'augmentation des produits du sol. Voici sur quelles bases reposent ces établissements.

Le directeur de la ferme-école, fermier ou propriétaire, devra se pourvoir de tout le capital indispensable à une exploitation bien comprise et bien dirigée. Il devra avoir prouvé par des résultats qu'il est capable de donner à ces élèves toutes les explications nécessaires pour leur faire comprendre la raison de toutes les opérations de sa ferme, et les méthodes judicieuses qui commandent leur réussite, constatée par la pratique. Ici point de faits hasardés, point de théories qui pourraient fausser le jugement des enfants et les entraîner dans une fausse voie. L'enseignement de la ferme-école ne doit être que le compte-rendu de toutes les opérations de l'agriculture raisonnée et progressive qui y est pratiquée.

Le directeur de la ferme-école veillera à ce qu'aucun des membres du personnel d'enseignement qui sera sous ses ordres ne s'écarte de ce principe fondamental de l'instruction dont la direction lui est confiée.

D'après ce court exposé, on voit que la ferme-école doit faire des praticiens éclairés, des observateurs qui chercheront à se rendre compte des faits pour les juger sainement, au lieu de discuter dans le vague et l'inconnu.

Dans les pays où la rigueur des hivers oblige à suspendre les travaux des champs on pourra enseigner aux apprentis cultivateurs un métier accessoire à l'agriculture, qui entretiendra leur goût pour le travail et les occupera utilement sans nuire à leur instruction agricole. Le directeur devrait surtout profiter de ce temps pour attirer l'attention de ses élèves sur l'étude important de l'économie du bétail, si méconnue en France. Elle est cependant si indispensable aux progrès de l'agriculture et au bien~être du peuple ! C'est surtout pendant l'hiver qu'on peut s'instruire sur les animaux dans les étables, les bergeries et les écuries. On étudie avec soin leur race, leur conformation, leur nature ; et, en les comparant entre eux, on voit quels sont ceux qui profitent le mieux du régime commun auquel ils sont soumis. On peut, avec un peu d'esprit d'observation, vers lequel on doit toujours diriger les élèves,

juger quels sont les animaux dont la conformation particulière, la race ou la nature, sont plus aptes au but auquel ils sont destinés, chacun dans leur spécialité. Les praticiens savent tous quelle différence il y a dans le rendement des animaux soumis aux mêmes conditions d'entretien.

C'est la, nous le répétons, une question trop méconnue en France, et sur laquelle nous reviendrons plus loin. Son étude devra être sérieuse à la ferme-école, et c'est surtout pendant l'hiver que les élèves auront le loisir et les moyens de l'approfondir, sous la direction d'un bon maître.

Le personnel d'enseignement pratique de la ferme-école sera composé de cinq membres : un directeur, un chef de pratique, un surveillant comptable, un vétérinaire, un jardinier-pépiniériste. Le directeur dirigera l'instruction dans le sens d'une bonne agriculture, raisonnée, lucrative et bien adaptée aux conditions du lieu où il se trouve. Il sera chargé d'expliquer, de la manière la plus simple et la plus élémentaire, tous les faits pratiqués dans sa culture, et qui forment l'ensemble de son exploitation et de son administration rurales.

Le chef de pratique, ouvrier exercé, dirigera les ateliers et apprendra aux élèves la manière de bien se servir de tous les instruments employés dans l'exploitation. Il enseignera aux élèves à bien atteler, à bien conduire les animaux, à bien les soigner pendant et après le travail, à être doux et patient avec eux. Il veillera surtout à ce qu'ils ne les maltraitent jamais. On ne se doute pas généralement des pertes que font éprouver à l'agriculture les animaux maltraités et mal dressés : non seulement ils dépérissent et ne profitent pas de la nourriture qu'ils consomment, mais ils ne font pas la quantité de travail dont ils seraient capables s'ils étaient bien dressés et traités avec douceur.

Le surveillant-comptable enseignera la comptabilité, qui est la boussole des cultivateurs. Rien n'est plus utile qu'une bonne comptabilité pour instruire les cultivateurs sur les pertes et bénéfices que leur donnent les différentes cultures qu'ils adoptent dans leurs assolements ; cependant rien n'est généralement moins connu, surtout dans la petite culture. le professeur de comptabilité donnera, de plus, des notions sur la pratique du cubage, du nivellement et de l'arpentage. Les neuf dixièmes de nos cultivateurs ne connaissent même pas la contenance de leurs pièces de terre. Ils les mesurent, dans beaucoup d'endroits, par journées de travail de labour.

Le vétérinaire enseignera les premiers éléments de l'art de soigner les animaux dans leurs maladies les plus simples. Il insistera surtout sur les moyens de les conserver en santé par une bonne hygiène, il apprendra aux élèves par quels procédés on peut arriver à perfectionner les races par leur accouplement, leur croisement ou leur régime; comment on peut les mouler, diriger leur conformation suivant les besoins de la consommation actuelle.

Enfin, le jardinier-pépiniériste enseignera l'horticulture potagère, qui offre de si immenses ressources à la nourriture du peuple ; il apprendre l'art d'établir et soigner les pépinières pour les reboisements et celui de greffer, de tailler et entretenir les arbres fruitiers. L'art de diriger la production d'un bon fruit n'est pas assez répandu dans nos campagnes, Les arbres fruitiers y sont généralement voisins de l'état de sauvageons, quand il serait si simple de leur faire rendre les meilleurs produits sans causer plus de frais.

Les enfants qui auront le plus de goût pour cette partie de l'enseignement seront plus spécialement attachés aux travaux du jardin ; nos campagnes pourront se recruter ainsi de jardiniers habiles, qui manquent presque partout. Rien n'est moins bien connu, moins compris que les ressources des jardins potagers de nos exploitations rurales. Un potager bien exploité est une exception ; sauf aux environs des grandes villes, nos ouvriers agriculteurs n'entendent rien à sa culture et à son entretien.

On peut voir, d'après ce court exposé de l'enseignement de la ferme-école, que chacun de ses professeurs instruira les élèves dans les opérations de sa spécialité. Cette heureuse combinaison d'instruction agricole donnée aux enfants du peuple des campagnes, qui comptent plus de 25 millions d'habitants, fera opérer dans 1'exp1oitation du sol une révolution qui, en augmentant ses produits dans des proportions incalculables, donnera à la République des richesses et une puissance qu'elle n'aurait jamais sans elle.

Mais cet avantage trop longtemps attendu par l'agriculture ne sera pas le seul dont la République profitera : 1'instruction agricole fera comprendre à toute notre jeunesse des campagnes, à tous les enfants de cultivateurs, que leur profession est la plus noble, la plus belle, la plus digne de l'homme libre, comme le disait Cicéron ; elle sera honorée ainsi qu'elle mérite de l'être. Elle fera aimer la République parce qu'elle seule aura éclairé l'agriculteur sur ses droits d'homme et de républicain, au lieu de les lui laisser ignorer, comme l'ont fait les monarchies. Pendant leur règne, les cultivateurs n'étaient pas à leur rang dans la société; ils le prendront désormais et c'est la République qui leur en fournira les moyens en les éclairant sur leur honorable profession. Les fils des cultivateurs, pleins d'intelligence et de force, ne dédaigneront pas la carrière de leurs pères, parce qu'ils la comprendront ; ils n'iront pas dans les villes solliciter des places et se mettre trop souvent à la disposition de l'intrigue de coupables partis, ou de théories antireligieuses et immorales, qui ne tendent qu'à compromettre la France et la société entière ; la famille et la propriété comme la religion, n'auront rien à craindre des rêves antisociaux de quelques esprits chagrins et ennemis de l'ordre. Vous savez, citoyens, si le cultivateur aime sa famille, sa propriété et sa religion !

L'instruction agricole, enfin, retiendra le peuple des campagnes chez lui, et la République n'aura pas d'admirateur plus dévoué, de soutien plus énergique. Avec lui, elle n'aura rien à craindre de ses ennemis.

Le ministre propose de créer successivement une ferme-école dans chacun des arrondissements de la République ; et comme ces établissements sont destinés à ne recevoir que de jeunes ouvriers, que des fils de petits cultivateurs qui n'ont pas les moyens de faire instruire leurs enfants, 1'enseignement, comme la pension, le logement et l'entretien, seront gratuits. L’État payera 175 F. pour chaque enfant, qui, par son travail modéré et sagement combiné avec son instruction, indemnisera le directeur de la ferme-école de l'excédant de frais qu'il pourra occasionner. Une allocation de 75 F. par an et par élève sera mise à la disposition du directeur : elle servira à l'entretien du trousseau de l'apprenti ; l'excédant sera versé dans une masse commune, et répartie entre chaque élève à la fin de chaque année. Elle fournira ainsi, au bout de trois ou quatre ans, un petit pécule à chaque élève sortant ; mais il en serait privé, au bénéfice de ses camarades, s'il ne terminait pas ses études, s'il quittait 1'école avant les trois ans qu'il doit y rester.

Enfin, une prime de 400 F. sera accordée chaque année à l'élève qui obtiendra le n° 1 en sortant de l'école.

Une ferme-école organisée comme nous venons de le voir, citoyens, et instruisant trente-trois élèves en moyenne, ne coûtera à l’État que 14.550 F., savoir :

Le directeur ........................................ 2.400

Quatre professeurs ............................ 3.500

33 élèves à 250 F. l'un ......... …..........8.250

Prime pour le 1er élève sortant............. 400

Total ...........14.550

Le bénéfice que la République et le progrès y trouveront sera énorme, si nous le comparons à la petite dépense qu'il occasionnera.

Dans son projet de décret, le ministre, qui nomme le directeur de la ferme, dit que ce fonctionnaire lui rendra compte, ainsi qu'au préfet, de la répartition des primes et des motifs qui l'ont dirigé dans cette distribution. Votre commission a pensé qu'il vaudrait mieux que cette distribution fût faite par suite d'une décision prise par le directeur et les autres membres du corps enseignant, réunis en jury. Ce mode a paru offrir plus de garantie contre la partialité ou les erreurs qui pourraient avoir lieu.

Le nombre des élèves sera de vingt quatre à trente-six dans chaque école, suivant l'étendue de son exploitation ; ils y seront admis de seize à dix-huit ans ; la durée des études ne pourra pas être de moins de trois ans ni de plus de quatre.

Votre comité s'est sérieusement occupé de l’âge auquel les enfants seront admis à la ferme-école. Quelques-uns de ses membres ont pensé qu'il serait peut-être opportun de les recevoir avant seize ans, c'est-à-dire au sortir de l'école primaire. Le ministre l'aurait désiré comme nous ; mais les raisons qu'il a données en faveur de la mesure qu'il a prise, et que vous pouvez juger vous-mêmes dans son projet de décret, ont déterminé votre comité à se ranger de son avis.

Du reste, ce citoyen pense qu'il y aura lieu plus tard d'adjoindre à des établissements d'enseignement, des colonies d'enfants de tout âge abandonnés, d'orphelins, de vieillards indigents et d'ouvriers agriculteurs pauvres qui sont dans l'impossibilité de gagner leur vie. Ce sera une œuvre philanthropique qui demandera des études différentes de celles que nous faisons aujourd'hui, bien que d'ailleurs elles ne lui soient pas étrangères.

Du reste, l'administration ne laissera pas les fermes-écoles sans surveillance. Leurs directeurs devront tenir une comptabilité en partie double et constamment à jour, pour que les délégués du ministre puissent juger, quand ils en recevront l'ordre, de la situation des fermes-écoles. Le concours du gouvernement devra être retiré à celles qui ne rempliraient pas les conditions qui leur seront imposées, si leur produit net n'était pas au moins égal à celui de la ferme la mieux cultivée relativement dans la région où elle se trouve. Le ministre demande à l'Assemblée les sommes nécessaires pour en créer une au moins dans chaque département et dans les arrondissements qui en ont le plus de besoin. Il en organisera ensuite cinquante par an, jusqu'à ce que chaque arrondissement de la République en soit pourvu. Leur nombre s'élèvera alors à 360 environ.

DES ÉCOLES RÉGIONALES.

Le mode d'enseignement des écoles régionales d'agriculture diffère essentiellement de celui des fermes-écoles. Là, nous n'avons vu qu'un enseignement pratique, sans développements scientifiques. Les professeurs ne doivent qu'expliquer les faits, rendre un compte raisonné des opérations agricoles de la ferme, du lieu ou ils se trouvent. Les élèves qu'on y formera seront d'excellents ouvriers cultivateurs ; mais les sciences naturelles et mathématiques appliquées à l'agriculture leur feront défaut ; ils ne pourront pas comprendre certains phénomènes de la vie des végétaux et des animaux, dont la connaissance est d'un secours si puissant pour bien diriger notre jugement dans leur exploitation de toute nature. L'élève de la ferme-école sera à celui de l'école régionale ce qu'est le conducteur des travaux des ponts et chaussées aux ingénieurs chargés de tracer des plans, d'en calculer tous les détails, et de les faire exécuter dans les conditions même les plus difficiles. La ferme-école doit toujours faire une agriculture lucrative. Chez elle, point d'expériences hasardées pour éclairer les théories et découvrir de nouveaux moyens d'amender les terres ou de les fumer, point d'importation de végétaux ou animaux nouveaux pour se convaincre s'ils sont utiles ou non, s'ils sont onéreux ou lucratifs. L'école régionale, au contraire, est avant tout un établissement d'instruction théorique et pratique en même temps ; et, pour rendre cette instruction aussi profitable que le commande le besoin du progrès de l'industrie rurale, il faut expérimenter surtout les produits végétaux ou animaux ; il faut enfin chercher dans l'inconnu pour découvrir de nouveaux procédés plus avantageux, soit dans la fabrication de quelques produits secondaires que l'agriculteur prépare avant de les livrer au commerce, soit dans le perfectionnement des espèces végétales ou animales que nous possédons déjà ou que nous voulons adopter.

On conçoit donc qu'un établissement d'enseignement de cette nature ne pouvait pas être à la charge de l'industrie privée, qui ne doit pas plus qu'elle ne peut s'exposer à des mécomptes. L’État seul doit s'en charger ; seul il peut pourvoir aux frais d'expériences de toute nature commandées par le progrès. D'ailleurs, les plus beaux établissements d'industrie privée, comme les mieux dirigés, sont exposés à périr avec tout ce qu'ils ont de plus précieux pour la science, lorsque le génie que les a créés vient à manquer. Tout ce qui a été réuni, préparé avec soin par de longues études, beaucoup de peine et de temps, disparaît sans laisser la moindre trace, et est perdu pour le pays, de même que les précieuses traditions qui sont souvent une garantie de réussite pour l'avenir. Le talent, en effet, le zèle, le dévouement, ne se transmettent par par hérédité, comme un immeuble. Qu'est devenu Roville, le berceau de la science de l'agriculture en France, après la mort de son fondateur ? L’État ne meurt pas, et s'il avait eu pour son compte cette école, devenue célèbre en quelques années, la France n'en serait pas privée aujourd'hui ; les nombreux élèves qu'elle aurait formés auraient porté la lumière dans bien des points où elle n'existe pas. Il en serait des écoles régionales comme de Roville, si elles n'étaient pas à la charge de l’État.

Le citoyen ministre de l'agriculture propose donc, dans son projet de décret, de mettre les établissements sous la dépendance du gouvernement ; il pense, en même temps, que 20 établissements de cette nature, distribués par régions, suffiront à la République pour éclairer les points de doctrine agricole qui laissent encore des doutes partout en France, notamment sur la production animale et l'importation des divers types reproducteurs.

Les élèves qui seront admis dans les écoles régionales seront soumis à des examens préalables. Le citoyen ministre porte leur nombre à 60 dans chaque école ; mais nous ne pensons pas que le nombre doive en être limité. Vingt élèves sortis les premiers des fermes-écoles y seront admis à titre de boursiers ; pour les autres l'instruction sera toujours gratuite, mais ils payeront leur pension et s'entretiendront à leurs frais. Nous approuvons cette disposition du décret du ministre. Les jeunes gens qui iront directement à l'école régionale seront généralement des fils de propriétaires-cultivateurs aisés ou riches qui auront les moyens de payer leur pension.

La durée des études des écoles régionales sera de deux ans au moins et de trois ans au plus, d'après le projet de décret dont j'ai l'honneur de vous rendre compte. Nous désirerions qu'elle fût de trois ans au moins ; ce temps ne sera pas trop long pour suivre avec fruit les cours qui seront professés, étudier les expériences qui seront faites et les connaître d'une manière satisfaisante.

Le personnel d'enseignement des écoles régionales serait composé d'un directeur et d'un sous-directeur qui professeront des cours, de quatre professeurs de sciences chimiques, physiques, mathématiques ou naturelles, appliquées à l'agriculture ; d'un agent comptable pour enseigner la comptabilité, d'un chef de pratique, d'un surveillant des élèves, d'un maître irrigateur et d'un jardinier-pépiniériste. Une magnanerie, une fromagerie, une féculerie, une sucrerie pourraient être annexées aux écoles régionales qui seraient placées dans des lieux où ces industries l'exigeraient.

On formerait, de plus, dans ces écoles, où se trouveraient des ateliers de perfectionnement d*instruments aratoires, des ouvriers habiles sur le charronnage et la maréchalerie. Ces ouvriers se répandraient dans les campagnes et y fabriqueraient de bons outils, surtout des instruments perfectionnés, abréviateurs, dont 1'usage est trop borné, parce qu'ils manquent, Quels services les instruments perfectionnés, les machines, n'ont-ils pas rendus à l'industrie manufacturière ! Serait-elle ainsi arrivée sans eux au degré de prospérité où nous la voyons aujourd'hui en Europe ? En fabriquant ceux dont l'agriculture a besoin, en les admettant partout, on créerait une branche d'industrie qui n'existe encore qu'à l'état rudimentaire en France ; on occuperait de grandes quantités d'ouvriers en bois et en fer, et la mécanique serait à l'agriculture ce qu'elle a été aux manufactures de tout ordre. Les machines, qui rendraient le travail de 1'agriculteur plus facile, moins fatigant et plus lucratif, contribueraient à faire obtenir la nourriture du peuple à meilleur marché, comme on l'a vu pour les objets manufacturés.

Le ministre estime que les écoles régionales, qui sont appelées à rendre de si éminents services à l'industrie rurale dans les diverses régions de la France, ne coûteront pas à l’État plus de quarante à quarante-cinq mille francs chacune. Cette somme est peu élevée en raison de la source de richesses qu'elles procureront partout ou elles seront fondées.

Quelques personnes n'ont pas partagé notre opinion ni celle du ministre sur le mode d'organisation des écoles régionales. On a pensé que l'exploitation de ces établissements doit être à la charge de l'industrie privée, parce que sous la surveillance de l’État, la culture ne donne pas, dit-on, les même bénéfices que les exploitations privées. Mais l’État n'opère pas ici pour gagner de l'argent. Son devoir, c'est d'instruire et de ne rien négliger pour le faire ; il y manquerait, si , pour quelques écus, il tronquait l'enseignement, s'il l'entravait et ne provoquait pas les études expérimentales qui nécessitent toujours des dépenses que ne peut faire l'industrie privée. Les bénéfices de l’État aux écoles régionales, comme dans tous les établissements d'enseignement, sont l'instruction du peuple ; il ne doit rien négliger pour la lui donner, surtout sous un gouvernement républicain. S'il agissait autrement, il comprendrait mal sa mission et les véritables intérêts de la République.

Les écoles régionales, indispensables pour éclairer les régions où elles se trouveront sur la culture qui leur sera applicable, n'ont et ne pourront avoir d'autre but que l'instruction. Si l'intérêt privé s'en mêlait, il en résulterait essentiellement un conflit qui nuirait à l'intérêt général ; l'intérêt privé, en effet, est le plus souvent, sinon toujours, opposé à des expériences que commande l'enseignement sur des questions en litige et qui ne peuvent être résolues que par des études comparatives et pratiques, toujours plus ou moins dispendieuses en agriculture. On ne doit pas marchander avec la science ; si on le fait, on l'étouffe, et ce n'est pas le but ni l'intention du gouvernement de la République.

Des élèves sortant des écoles régionales pourront être placés dans les fermes-écoles comme stagiaires, aux frais de l'état. Ils se pénétreront ainsi de la pratique de l'agriculture de ces établissements et se rendront propres à bien les diriger eux-mêmes, plus tard.

DE L'INSTITUT NATIONAL AGRONOMIQUE

La fondation de l'institut national agronomique près de Paris est une grande pensée qui date de notre première révolution. La République française, comme nous avons déjà occasion de le faire observer, savait qu'il ne suffisait pas de vaincre d'abord ses ennemis, qu'il fallait créer dans son sein des foyers d'instruction supérieure pour développer le génie, l'intelligence de ses populations. Le salut de la France, comme celui de ses nouveaux principes politiques, était à ce prix. C'est à cette époque que furent fondées ces écoles célèbres qui font aujourd'hui 1'orgueil de la France et qui ont concouru d'une manière si active à sa prospérité et à sa puissance.

François de Neufchâteau proposa la fondation d'un grand établissement d'instruction agricole au voisinage de Paris. Il désirait que les savants fissent dans cette grande école non seulement des cours, mais encore toutes les expériences qui pouvaient éclairer d'une manière, si fructueuse, la science de la production végétale et animale. Il voulait enfin que l’État fit, pour cette branche si importante des connaissances humaines, ce qu'il avait fait pour l'art militaire, pour l'industrie manufacturière, pour les ponts et chaussées, pour toutes les carrières enfin. Mais l'idée de ce grand agronome ne put malheureusement pas être mise à exécution. Cependant une vérité aussi importante ne pouvait manquer de se reproduire tôt ou tard elle fut renouvelée de loin en loin, et le conseil général de l'agriculture, qui nomma pour son vice-président le citoyen Tourret, aujourd'hui ministre de 1'agriculture, déclara, par un vote, que la réalisation du projet de François de Neufchâteau était commandée par la nécessité. Le décret du ministre propose cette fondation qui sera l'école normale supérieure de l'agriculture de la France. La République possède pour cette création le terrain et le matériel le plus complet qui soit au monde, dans les propriétés nationales des environs de Versailles. Là sont de vastes domaines avec tous les bâtiments nécessaires à leur exploitation, des jardins potagers, des collections d'arbres de toute essence, des bois, des pépinières, des haras, des parcs, des plantations d'arbres fruitiers de toute nature et déjà dans un état de prospérité désirable.

Les dépenses énormes faites par Louis XIV pour la construction de ses somptueux palais et de leurs accessoires cesseront d'être improductives. Ce qui y fut créé pour les plaisirs des rois et de leurs favoris sera utilement employé à une instruction qui tournera directement au bénéfice du peuple.

Versailles offre donc toutes les ressources matérielles convenables pour la création de l'institut national agronomique proposé par le ministre. Pour bien répondre aux besoins de la France, cet établissement doit, par des expériences bien suivies et sagement conduites sur la production végétale, et surtout sur la production animale, éclaircir les doutes de l'industrie agricole sur les différents problèmes qu'elle étudie. La première, nous dira-t-on peut-être, a acquis, pour certains végétaux, un degré de perfection assez satisfaisant ; il sera probablement difficile de mieux cultiver qu'on ne l'a fait dans certaines contrée de la France, la vigne, les plantes textiles et oléagineuses, les plantes sarclées, les céréales ; l'institut, dans ce cas, ne pourra que vulgariser ou tâcher de perfectionner les bonnes méthodes déjà connues. Mais, l'expérience nous l'a prouvé, nous ignorons trop, en France, les ressources de la production animale et celles de son amélioration. Que savons-nous sur l'élevage raisonné des animaux domestiques, cette branche si importante de notre richesse nationale ? Quelles sont les règles que nous avons pour nous diriger dans la production de la viande et des locomotives animées dont l'emploi exerce une influence si grande sur nos relations commerciales, sur la force de l'armée et la puissance de la République ? Savons-nous mieux produire le cheval de guerre aujourd'hui, par exemple, qu'il y a cent ans ? Avons-nous fait des études sérieuses, des expériences concluantes ? Avons-nous, pour nous éclairer, des travaux, des ouvrages ou les éleveurs puissent puiser de bonnes leçons ? Non ! il n'en existe pas un seul, lorsque toutes les autres industries en ont de si précieux. Cela tient à ce que la France n'a jamais encouragé d'une manière judicieuse la science des animaux, et qu'elle ne l'a seulement pas recherchée. Aussi son administration a-t-elle fait des efforts inutiles, depuis le commencement de ce siècle surtout, sans résultat heureux ; nous pourrions même dire qu'elle est, sous ce rapport, moins avancée que l'industrie privée, qui a eu au moins la raison pour agir le mieux possible.

L’État, qui ne se doute pas du premier élément de la science des animaux, et qui le prouve par ses incertitudes, ses tâtonnements, les changements incessants de ses théories, adoptées aujourd'hui, repoussées demain, suivant le caprice de tel ou tel fonctionnaire, ou la mode du jour, a dépensé en pure perte des sommes énormes pour aboutir à une déception. Pour nous convaincre de cette vérité, nous n'avons qu'a consulter l'histoire de ce qui a été fait sur les importations des types reproducteurs des espèces chevaline et bovine ; nous n'avons qu'à examiner les principes qui ont présidé à ces opérations ; nous n'avons qu'à voir enfin quels sont les points de départ et les points d'arrivée, et nous n'aurons pas besoin d'autres preuves : elles sont concluantes pour tous.

L'Institut national agronomique doit surtout éclairer l'agriculture française et l'administration sur la question mal comprise de la production animale. Non seulement il doit étudier à fond et appliquer toutes les ressources que les Sciences naturelles offrent au perfectionnement des races que nous possédons déjà, mais il doit travailler à résoudre le problème de l'acclimatation et de la domestication d'autres animaux que nous n'avons pas encore, et qui peuvent cependant offrir des ressources énormes pour nos subsistances. La science n'a pas dit son dernier mot, tant s'en faut sur tant d'espèces végétales et animales que le Créateur a mise à la disposition de l'homme. C'est à lui de les approprier à ses besoins par l'étude et les expériences qu'il peut faire sur leur multiplication. Nous n'examinerons pas les diverses espèces de mammifères et d'oiseaux qui sont aujourd'hui domestiques dans certaines parties du globe dont les conditions climatiques ont la plus grande analogie avec celles de la France ; cependant elles ne nous sont connues que comme objets de curiosité au Muséum d'histoire naturelle. Lorsque nous avons importé le vers à soie de la Chine, la pomme de terre de l'Amérique méridionale, pouvions-nous prévoir quelles ressources le luxe et nos subsistances trouveraient dans leur adoption ?

Pouvons-nous prévoir encore celles que nous réservent les règnes végétal et animal lorsqu'ils seront bien étudiés sous le rapport économique ? Le ministre n'a pas négligé de signaler ce fait, en disant que des expériences seraient faites sur l'introduction et l'acclimatation dans nos contrées de nouvelles espèces végétales ou animales étrangères à notre sol et à notre climat, et que ces essais seraient poursuivis au double point de vue de la science et de l'économie.

Versailles offre, comme le dit le ministre, et sans frais de construction d'établissements qui existent déjà, toutes les ressources désirables pour ces diverses études ; mais nous devons ajouter que, pour l'acclimatation des végétaux comme des animaux des pays chauds (et ce sont ceux qui nous en fournirons le plus), il serait utile plus tard d'avoir une succursale, que l'on pourrait annexer, sans beaucoup de frais, à une des écoles régionales des côtés de la Méditerranée. Un changement trop brusque de la température de l'Asie ou de l'Afrique, par exemple, pourrait compromettre la réussite assurée de certaines espèces végétales ou animales très aptes a se multiplier plus tard, même dans nos contrées du nord. Il faudra donc opérer graduellement sur elles.

Mais les règnes organiques de la nature ne seraient pas les seuls dont l'institut national agronomique devrait s'occuper. Il est un autre point sur lequel la science a encore fait peu de chose ; nous voulons parler des engrais ou amendements. La chimie spéculative et expérimentale devra diriger ses travaux vers cette source féconde pour l'agriculture comme pour elle. Pouvons-nous savoir si, par de savantes et persévérantes recherches,nous ne trouverons pas des moyens simples et économiques d'engraisser et d'amender nos terre ? Malgré les précieux travaux des chimistes français et allemands, l'agriculture pratique peut dire que tout est encore à faire sur cette question si grave pour elle, et c'est à l'institut national agronomique qu'elle devra être étudiée sans relâche, au laboratoire et aux champs en même temps.

Votre comité pense, citoyens, représentants, que la fondation de l'institut national agronomique, dont vous avez compris la nécessité comme tous les amis du progrès, est appelée à faire opérer une véritable révolution dans les sciences appliquée à l'agriculture. Nous sommes d'autant plus fondés à la croire, qu'il a été démontré que toutes les industries qui ont eu un enseignement professionnel supérieur ont progressé dans des proportions incalculables dans un temps très-court, comparées à ce qu'elles avaient été avant le secours du savoir. L'enseignement supérieur de l'institut procurerait bientôt à l'agriculture française de hautes intelligences par leur mode de recrutement. Vous avez, vu, en effet, que l'enfant de la ferme-école, comme l'élève de l'école régionale, y seront appelés aux frais de l'Etat lorsqu'ils auront fait preuve de capacité ; et que de vastes capacités sont perdues, enfouies dans nos communes rurales, faute de moyens propres à les découvrir ! La ferme~école en est un assuré, et nous pouvons prévoir que l'agriculture française aura plus tard ses hommes célèbres, comme les mathématiques, les sciences physiques, anatomiques, chimiques, naturelles, astronomiques, eurent leurs Archimède, leurs Newton, leurs Laplace, leurs Lavoisier, leurs Bichat, leurs Cuvier.

Le personnel d'enseignement et d'administration de l'institut national agronomique sera composé d'un directeur, d'un sous-directeur professeur, de professeurs qui enseigneront toutes les sciences naturelles, physiques, chimiques et mathématiques, etc..., dans leur application à toutes les branches de l'industrie agricole ; quatre chefs de service répétiteurs seront employés aux divers services de l'exploitation, tels que celui de la pratique agricole, des étables, écuries et bergeries, de perfectionnement d'animaux, de jardins, pépinières et vergers, de sylviculture, etc..., un agent comptable, un bibliothécaire conservateur des collections, et deux surveillants, compléteront le personnel que doit comprendre l'institut. L'admission des élèves sera soumise à des examens devant un jury, et des diplômes seront délivrés après des épreuves solennelles.

L'agriculture aurait ainsi, comme les ponts et chaussées, les travaux publics, les mines, les arts, les diverses armes d'élite de l'armée, ses hommes spéciaux. Ils jugeraient, d'après les profondes études qu'ils auraient faites, les moyens propres à faire réussir toutes les grandes conceptions en industrie rurale. La plupart ont échoué si elles ont été mises en pratique, et n'ont point été exécutées faute de capacité pour bien les interpréter et les diriger. La France et l'Algérie ont des terrains incultes qui offrent à la République des richesses incalculables dont elle ne peut pas profiter. Elle n'a pas encore les hommes de savoir et de génie qui pourront en diriger fructueusement l'exploitation. Ces agriculteurs, d'ailleurs, qui commanderont la confiance par leur savoir et les preuves qu'ils auront données de leur habileté à bien diriger des entreprises lucratives, attireront vers l'industrie rurale les capitaux qui auraient continué de s'en éloigner toujours. Cela s'explique : l'argent fuit avec raison les entreprises hasardées ou méconnues ; il recherche toujours le capital de l'intelligence et du savoir, qui sait le faire fructifier. Le capital moral et le capital matériel,se prêtent toujours un mutuel appui, parce qu'ils peuvent compter l'un sur l'autre, et que l'expérience leur a prouvé qu'ils avaient raison tous les deux.

Le ministre a pensé que l'institut national agronomique, organisé comme les facultés de médecine et de droit, ne devrait pas avoir d'élèves internes ; que les boursiers, au nombre de quarante, et venant des écoles régionales, qui les auraient reçues elles-mêmes des fermes-écoles, toucheraient 1,200 F. et se logeraient où ils pourraient. La majorité de votre comité n'a pas été de cet avis : il a cru que, si les cours de l'institut devaient être publics, accessibles, non seulement à tous les élèves, mais aux étrangers, les élèves boursiers doivent être surveillés et casernés comme ceux de l'école polytechnique. Deux motifs sérieux ont milité en faveur de cette opinion : d'abord, l’État doit-être assuré que les élèves dont il fait les frais d'instruction en sont dignes sous tout rapport, et l'institut ne peut en être assuré que par une surveillance facile et incessante ; d'un autre côté, il y aura économie parce que les élèves internes ne coûteront pas à l’État 1,200 F. chacun, lorsqu'ils seront réunis tous ensemble ; enfin, surveillés avec attention, ils ne seront pas exposés aux distractions bien naturelles à leur âge, lorsqu'ils seront livrés à eux-mêmes dans une ville comme Versailles et près de Paris. L'expérience, d'ailleurs, ne laisse aucun doute à ce sujet partout ou elle a été faite. Votre commission vous propose donc de déclarer dans votre rapport que vous désirez que les jeunes gens boursiers soient internes.

Suivant le vœu du ministre, les trois élèves de l'institut qui auraient montré le plus de capacité après avoir terminé leur éducation seraient envoyés, aux frais de l’État, en mission complémentaire d'instruction, pour étudier les divers modes d'exploitation de différents pays de France ou de l'étranger ; ils opéreraient suivant un programme tracé par l'administration et ils seraient obligés de fournir un travail dont la publication éclairerait la France sur des questions qui seraient encore en litige. Ce mode d'instruction, employé en histoire naturelle, en économie politique, en archéologie, en industrie manufacturière, en art militaire, etc..., a produit les plus heureux résultats, et l'agriculture comparée aurait beaucoup à gagner à ce genre d'études, comme les citoyens choisis pour les faire. Enfin des emplois honorables que nécessiterait ultérieurement l'administration de l'agriculture lorsque son organisation serait complète, seraient, pour les jeunes gens d'intelligence et de savoir, un sujet d'émulation qui ne manquerait pas de produire les plus heureux effets.

On peut voir, d'après ce qui précède, citoyens, ce que l'agriculture française et la richesse de la France peuvent espérer de l’organisation de 1'instruction agricole, telle que le projet de décret qui vous est présenté la propose. La ferme-école formera des ouvriers instruits et propres à devenir de bons métayers ou petits fermiers, ou à conduire avec intelligence de grands travaux d'exploitation sous la direction imprimée par leurs chefs. Les jeunes intelligences supérieures qu'on y découvrirait seraient envoyées, aux frais de l’État, aux écoles régionales, et, plus tard, à l'institut national, pour y puiser les hautes connaissances qui termineraient leur éducation professionnelle.

Lorsque l'organisation de l'instruction professionnelle agricole aura reçu son application ; lorsque les réformes que commanderont naturellement les études qu'on fera l'auront rendue telle que nous la désirons tous, telle que les besoins de la République l'exigent, nous pourrons dire que nous serons parvenus au meilleur mode d'organisation du travail qui puisse être mis en pratique. Un événement politique, un changement ou une modification dans l'ordre social d'un peuple, font éprouver de suite une secousse plus ou moins nuisible aux industries manufacturières ; il s'ensuit des grèves, des chômages, qui mettent des milliers d'ouvriers dans la rue et causent aux gouvernements et à la société les plus grands embarras. L'industrie rurale n'a pas les mêmes inconvénients : les champs offrent toujours de l'ouvrage à leurs ouvriers, et d'autant plus qu'ils sont mieux cultivés. Si les ouvriers manquent à la grande manufacture de la nature, elle ne leur manque jamais ; ils y ont toujours droit au travail, au travail honnête, qui ne nuit ni à leur santé ni à leurs mœurs ; ils conservent les qualités qui distinguent les populations rurales, amies de la religion, de l'ordre et des institutions démocratiques sages, au lieu de s'en montrer les ennemis sous 1'empire de l'ambition, de l'intrigue ou du vice.

La France, depuis le 16e siècle, a donné relativement trop d'extension à l'industrie manufacturière, trop peu à l'industrie agricole. Ces deux sources de prospérité de la France, loin d'avoir été maintenues dans une harmonie bien raisonnée, ont perdu leur équilibre, et ce défaut de prévision a déjà coûté beaucoup trop cher à la France, et surtout à notre jeune République : elle saura profiter de la leçon d'aujourd'hui et des erreurs du passé.

Le citoyen ministre de l'agriculture signale, dans son projet de décret, une expérience qui lui a démontré les avantages et les économies qu'il pourrait réaliser sur les dépenses faites par l'État pour le perfectionnement de nos diverses races d'animaux domestiques ; elles contribueraient à la fondation de nos établissements d'instruction professionnelle agricole. Des animaux reproducteurs de choix, entretenus par l'administration dans des établissements spéciaux, ont été annexés à des fermes-écoles déjà existantes et ont permis de réformer des états-majors toujours fort coûteux, comme le dit le ministre lui-même, et devenus inutiles au moyen du procédé qu'il a employé. Il dit à ce sujet : « ont verra si ce système économique peut être appliqué aux haras ». Le budget de l'administration spéciale qui a été chargée jusqu'ici de diriger le perfectionnement du cheval est de 2,349,100 F. Ses états-majors et palefreniers absorbent la somme énorme de 498,300 F. sur cette allocation. Nous ne discuterons pas ici sur la nature de son emploi, qui a provoqué de si fréquentes récriminations ; nous dirons seulement que les 2,349,100 F. du budget des haras, ajoutés au budget de l'agriculture, permettraient l'entretien d'un plus grand nombre d'étalons améliorateurs indispensables à la France ; ces animaux seraient en même temps d'une grande utilité pour l'instruction des élèves dans les écoles d'agriculture, pour 1'étude importante des divers modes de perfectionnement des races. Les étalons de l'espèce chevaline, placés, comme ceux des autres races d'animaux, dans les fermes-écoles, dans les écoles régionales et l'institut national agronomique, suivant le procédé signalé par le ministre, seraient des sujets précieux pour l'instruction des élèves. D'autre part, au lieu d’être nourris sans rien faire, le plus grand nombre des étalons pourraient être employés, pendant le temps où ils ne sont pas occupés à la monte, à des travaux légers dans les établissements d'enseignement agricole ; ils gagneraient ainsi une partie de leurs dépenses de nourriture. Cet exercice serait salutaire à leur santé, et les rendrait plus prolifiques. Votre commission est d'avis que le ministre fasse pour l'espèce chevaline ce qu'il a pratiqué, avec l'avantage qu'il signale sur d'autres espèces d'animaux. L'épreuve est faite ; les économies que procurera ce système rationnel seront utilement employées pour multiplier le nombre des étalons réclamés de toutes parts.

Tel est en raccourci, citoyens, l'exposé du travail de votre comité sur le projet du ministre de l'agriculture, dont vous avez bien voulu lui confier l'examen. Vous avez vu le but de l'organisation de l'enseignement agricole proposé, avec ses trois degrés parfaitement distincts : la ferme-école instruira des ouvriers, découvrira les jeunes intelligences supérieures ; l'école régionale s'occupera des sciences agricoles propres à faciliter les expériences qui y seront faites pour éclairer l'agriculture des régions ou elles seront fondées ; l'institut national, que le ministre propose de fonder au printemps prochain, réunira les jeunes capacités les plus éminentes des écoles des deux premiers degrés, et les initiera dans la théorie et la pratique les plus élevées des sciences appliquées à l'industrie rurale.

En terminant son exposé des motifs, le ministre nous promet un projet de décret sur l'organisation d'une représentation légale et hiérarchique de l'agriculture, après le vote de la constitution.Sous peu de jours, il présentera un projet de décret sur l'instruction professionnelle de l'industrie manufacturière, des arts et métiers, et un projet d'organisation de l'enseignement vétérinaire. Ces différents travaux, qui concourent ensemble au même but, à la prospérité de la nation, vous donnent la preuve du nouvel élan que la République veut imprimer à tous les éléments de sa richesse et de sa puissance. Elle imitera, sur ce point, notre première République, qui fit opérer aux arts et aux sciences une révolution dont le monde n'avait jamais offert d'exemple depuis sa création.

Avant de terminer ce travail, je crois devoir vous signaler l'heureuse tendance que le citoyen Carnot a cherché à faire naître dans l'instruction universitaire, en faveur de l'agriculture, pendant qu'i1 était ministre de l'instruction publique. Avant lui, on n'avait pas songé sérieusement aux immenses ressources que l'instruction primaire, l'instruction secondaire et les facultés, offraient à l'économie rurale. Jusqu'ici, on s'était borné dans les collèges à l'étude des classiques grecs et latins. L'ancien ministre de l'instruction publique a attiré 1'attention de l'université, par ses circulaires aux recteurs des académies, sur l'importance de l'enseignement de 1'agriculture élémentaire dans l'instruction de la jeunesse aux divers degrés. Napoléon, qui voulait des soldats, donnait des uniformes, des fusils et des tambours, aux enfants des lycées, et leur goût pour 1'état militaire croissait avec eux. Parlons-leur d'agriculture, faisons-leur comprendre ses ressources, et nos établissements d'instruction professionnelle agricole ne manqueront pas d'auditeurs.

Moniteur officiel n°236, séance du 23 août 1848.

DÉCRET DU 3 OCTOBRE 1848

Au nom du Peuple Français,

L'Assemblée Nationale a adopté et le Chef du Pouvoir Exécutif promulgue le décret dont la teneur suit :

DISPOSITIONS PRÉLIMINAIRES

Art. 1er : L'enseignement professionnel de l'agriculture se divise en trois degrés.

Il comprend :

Au premier degré, les fermes-écoles, où l'on reçoit une instruction élémentaire pratique ;

Au deuxième degré, les écoles régionales, où l'instruction est à la fois théorique et pratique ;

Au troisième degré, un Institut national agronomique, qui est l'école normale supérieure d'agriculture.

Art. 2 : L'enseignement professionnel de l'agriculture est aux frais de l'État dans ses différents degrés.

TITRE PREMIER

DES FERMES-ÉCOLES.

Art. 3. La ferme-école est une exploitation rurale conduite avec habileté et profit, et dans laquelle des apprentis choisis parmi les travailleurs et admis à titre gratuit exécutent tous les travaux, recevant, en même temps qu'une rémunération de leur travail, un enseignement agricole essentiellement pratique.

Art. 4. Dans chacun des départements de la République, il sera établi d'abord une ferme-école.

Cette organisation sera successivement étendue à chaque arrondissement.

Art. 5. Les traitements et gages du personnel enseignant sont payés par l'État ; l'État prend aussi à sa charge le prix de la pension qui, joint au travail des élèves, est alloué au directeur pour l'indemniser des dépenses de nourriture et autres occasionnées par 1'admission des apprentis.

Art. 6. Chaque année, le Trésor distribue aux fermes-écoles des primes. Elles sont réparties, à titre de pécule, tous les ans, sur 1a tête de chaque enfant, suivant son mérite ; mais elles ne sont remises à chacun qu'à la fin de son apprentissage.

TITRE II

DES ÉCOLES RÉGIONALES

Art. 7. La France sera divisée en régions culturales.

Dans chaque région, il y aura une école régionale.

L'école régionale d'agriculture est une exploitation en même temps expérimentale et modèle pour la région à laquelle elle appartient.

Art. 8. Les élèves reçus dans les écoles régionales sont ou boursiers ou payant pension.

Art. 9. Les bourses établies dans les écoles régionales sont données, après concours une moitié aux élèves des fermes-écoles de chaque région culturale, et l'autre moitié aux personnes qui se présenteront pour concourir.

Art. 10. Les meilleurs élèves des écoles régionales qui n'entreront pas immédiatement à l'Institut national agronomique peuvent être placés, aux frais de l'Etat, comme stagiaires près des fermes-écoles et autres établissements agricoles publics ou particuliers.

La durée du stage est de deux ans.

Le stagiaire seconde le directeur dans ses travaux, s'initie à la pratique de l'administration et complète son éducation agricole comme chef d'exploitation.

Art.11. Les écoles régionales sont aussi des fermes expérimentales ;

Les expériences et leurs résultats recevront la plus grande publicité.

TITRE III

DE L'INSTITUT NATIONAL AGRONOMIQUE

Art. 12. Un institut national agronomique sera établi sur le domaine national de Versailles.

Art. 13. Les cours de l'Institut national sont gratuits et publics.

Néanmoins l’État y entretient quarante boursiers.

Chaque année, dix bourses sont données, au concours, aux élèves des écoles régionales ; dix autres bourses sont réservées à tous les concurrents qui se présenteront.

Art. 14. Chaque année, les trois premiers élèves de l'Institut reçoivent, aux frais de l’État, une mission complémentaire d'études.

Art. 15. L'Institut national agronomique réunit le caractère expérimental conféré aux écoles régionales.

Les expériences seront rendues publiques, ainsi qu'il est prescrit par l'article 11.

TITRE IV

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

Art. 16. Les fonctions de professeur dans les écoles régionales et à l'Institut national agronomique seront données au concours.

Art. 17. Les écoles régionales et l'Institut national seront administrés en régie pour le compte de l'Etat.

Art. 18. Les vacheries et les bergeries actuellement existantes pourront être annexées à des établissements d'instruction agricole.

En conséquence, il pourra, dans le budget qui règle l'exercice de 1848, être dérogé à la spécialité des chapitres qui les concernent.

L'établissement fondé à Versailles pour l'élevage des types régénérateurs sera annexé à l'Institut national agronomique.

Art. 19. Chaque année, il sera rendu compte à l'Assemblé nationale de la manière dont la présente loi aura été exécutée.

Art. 20. Il sera pourvu à l'exécution de la présente loi par des règlements d'administration publique et par des arrêtés du Ministre de l'agriculture.

DISPOSITIONS TRANSITOIRES

Art. 21. Afin de pourvoir aux premiers frais que réclament les établissements d'instruction agricole à créer en 1848, il est ouvert au Ministre de l'agriculture et du commerce, sur l'exercice courant, un crédit de 500.000 francs, qui sera inscrit au chapitre V de la loi de finances.

Il sera pourvu à cette dépense au moyen des ressources créées par la loi des recettes du 8 août 1847.

Art. 22. Il est également alloué, sur 1'exercice 1849, un crédit de 2,500,000 francs qui sera inscrit dans un chapitre spécial intitulé : Enseignement professionnel de l'agriculture.

Art. 23. Toutes les dispositions des lois antérieures demeurent abrogées en ce qu'elles ont de contraire au présent décret.

Délibéré en séance publique, à Paris, le 3 octobre 1848.

Le Président,

Signé : Armand MARRAST.

Les Secrétaires, ,

Signé : Léon ROBERT, Émile PEAN. LANDRIN, BERARD, PEUPIN, Edmond LAFAYETTE.

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