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L'école des paysans

La charte de l'enseignement agricole 2 août 1918 IV L'enseignement saisonnier

26 Avril 2018 , Rédigé par Michel Boulet Publié dans #Histoire de l'école des paysans

La loi, par son article 14, reprend donc la formule expérimentée depuis le début du siècle. « Les écoles d'agriculture d'hiver ou saisonnières sont fixes ou ambulantes. Elles ont pour but de donner, pendant la mauvaise saison, une instruction professionnelle aux fils d’agriculteurs qui ne peuvent passer deux ou trois ans dans une école professionnelle d'agriculture ».

Ces écoles sont placées sous l’autorité du ministère de l’Agriculture. Elles peuvent être annexées à des établissements d’enseignement agricole ou à des établissements d’enseignement dépendant du ministère de l’Instruction publique. Les départements, communes, établissements publics, groupements professionnels ou particuliers qui souhaitent la création d’écoles d’agriculture d’hiver doivent s’engager, pour un minimum de cinq années, à mettre gratuitement à disposition des locaux et le matériel scolaire nécessaire, et à contribuer dans la proportion de 30 % aux dépenses de l’établissement.

Le programme des études est fixé par le ministère de l’Agriculture pour chaque école, en tenant compte de la culture spécifique à la région, et après avis de l’assemblée (conseil général ou municipal) qui a demandé la création de l’école, et du comité de surveillance et de perfectionnement de l’établissement.

Le décret du 23 juin 1920, portant application de la loi du 2 août 1918, précise que l’âge minimum d’admission est de quinze ans et que les candidats doivent être fils d'agriculteur exploitant ou avoir au moins deux ans de pratique agricole. Comme l’indiquait le rapporteur du projet de loi, « lorsque les élèves ont fait deux ou trois ans de pratique, ont déjà éprouvé la plupart des mille difficultés du métier, ils connaissent en détail toutes les opérations culturales, et quand, à l'école d'hiver on leur parle de questions où la pratique devrait être en jeu, leur imagination leur représente presque ce qu'ils devraient voir sur le terrain ». Mais des responsables de l’enseignement agricole s’inquiètent de ces conditions en soulignant que ces jeunes ayant quitté l'école à treize ans et ayant subi entre treize et quinze ans « la privation de nourriture intellectuelle [...], l'instruction professionnelle se superposera nécessairement à une instruction générale inachevée ».1

En 1935, dans une circulaire aux DSA et aux professeurs d’agriculture fixant le cadre de leurs missions, le ministre de l’Agriculture, Emile Cassez, souligne que ces écoles « sont appelées à rendre de très grands services à la cause de l’enseignement agricole » et que « c’est le directeur des services agricoles qui en provoque la création, en assure le fonctionnement et le contrôle ».2  

L'intérêt de ce type d'enseignement est sa souplesse d'emploi du temps, et son faible coût. Il permet également de mieux utiliser les locaux des établissements d'enseignement de la localité. Enfin, une telle école « ne crée aucun fonctionnaire nouveau, mais représente, chose essentiellement désirable dans toutes les branches, la meilleure utilisation de ceux existants ».3 On comprend en effet l'intérêt financier d'une école saisonnière, puisqu'en 1920 on évalue le coût pour l’Etat à 12 600 francs par an pour une école fixe, soit un peu plus que le salaire mensuel d'un professeur d'agriculture, et à 1 750 francs pour une école ambulante.4 C'est l'avantage de ne pas avoir de personnel permanent !

1 - Les écoles fixes

L’organisation de ces écoles est précisée par les instructions du 7 octobre 1920, fournissant un modèle d’arrêté - type de création et un modèle de budget - type, et complétée par un arrêté en date du 25 octobre 1923. Elles sont toujours annexées à un établissement d'enseignement public pourvu d'un internat. Si cet établissement dépend de l'Instruction publique, son directeur est directeur administratif de l'école d'hiver.

Il est prévu un examen d’admission, dont sont exemptés les titulaires du certificat d’études primaires, sauf dans le cas où le nombre de candidats dépasse le nombre de places, car alors tous passent l’examen. Celui-ci a lieu devant le comité de surveillance et de perfectionnement et porte sur les matières du programme du certificat d’études primaires : français, arithmétique, histoire et géographie.

Le personnel enseignant auquel il est fait appel, comprend en général : un professeur d'agriculture, un vétérinaire, un professeur d'horticulture, un professeur de sciences physiques et naturelles, un professeur de français et géographie agricole, un professeur de dessin, un ou plusieurs spécialistes de travaux manuels (menuiserie ; forge ; bourrellerie ; vannerie ; montage, réglage et entretien des machines agricoles). La surveillance est, le plus souvent, assurée par un maître d'internat de lycée ou collège, ou par un stagiaire de l'École normale.

Les directeurs administratif et technique sont assistés par deux conseils, le conseil de l’école et le comité de surveillance et de perfectionnement. Le premier se compose de tout le personnel enseignant et se réunit au moins une fois par mois pour s’occuper des questions concernant la bonne marche de l’établissement et notamment la discipline intérieure.

Le comité de surveillance et de perfectionnement donne son avis sur le programme des études, sur le fonctionnement de l’établissement au point de vue de l’enseignement et des réformes de nature à l’améliorer. Il a la charge des examens d’admission et de sortie, et des propositions pour les bourses. Il se compose de :

1°- l’inspecteur général de l’agriculture de la région, président ;

2° - le directeur des services agricoles du département, vice-président ;

3° - le directeur technique de l’école, dans le cas où il ne s’agit pas du DSA ;

4° - le directeur administratif de l’école ;

5° - trois membres du Conseil général délégués chaque année par cette assemblée ;

6° - cinq notabilités agricoles choisies par le ministre sur proposition du préfet ;

7° - le maire et deux conseillers municipaux, dans le cas où la commune contribue au financement du fonctionnement de l’école.

La durée des études est de quatre mois (1er novembre-10 mars) durant deux hivers. Il y a chaque semaine :

- en première année, 10 heures d'enseignement général, 11 heures d'enseignement professionnel, 8 heures de travaux pratiques et d'applications ;

- en deuxième année, l'enseignement professionnel passe à 18 heures, les travaux manuels et applications à 10 heures, il n'y a plus que 7 heures d'enseignement général.

Il est également prévu des « excursions dans les fermes les mieux tenues du pays, des visites chez les constructeurs et des excursions ». Enfin, les travaux manuels permettent aux jeunes d'apprendre les réparations simples, utiles sur une exploitation agricole.

L'enseignement des écoles d’hiver a l’avantage d’être directement appliqué à l'agriculture locale. « Ainsi, les pères de famille envoient en toute confiance leurs enfants à nos écoles d'hiver, assurés qu'ils sont, de les retrouver munis de données pratiques, immédiatement applicables à leur culture, et prévoyant des améliorations pratiquement réalisables ‘‘chez eux’’ ».

Les applications pratiques sont difficiles à réaliser car les sessions ont lieu en hiver. Les participants au Congrès de l’enseignement agricole départemental demandent une réflexion sur ces applications car « s’il semble facile d'en organiser avec un épi de blé, une botte de foin, une collection de graines et d'engrais, quelle sera l'utilité pratique de ce que l'on pourra organiser avec ce matériel ? ».5

Mais, la solution n’est pas, selon nombre de directeurs des services agricoles, dans un appel à l’intervention d’agriculteurs, car « chaque fois que nous avons assisté à une leçon ou à une application faite par un praticien, nous avons été complètement déçus. Nous préférons un pédagogue, même mal informé, à un praticien qui ne connaît rien à l'art d'enseigner. Il faut se méfier des praticiens, c'est admis par tous ceux qui se sont occupés d'enseignement agricole, mais il faut le répéter, car ce n'est pas encore assez connu ».6 Cette conception, totalement opposée à celle que nous rencontrons dans l'enseignement privé, correspond à l'idée qu'il faut que des « professionnels de l’enseignement » apportent le savoir, car les agriculteurs ne sont pas à même de communiquer leur expérience. Mais c'est également une réaction contre le corporatisme paysan grandissant qui affirme que la formation de l'agriculteur doit être de la responsabilité de la profession agricole et non de l'État.

A la fin de la formation, les élèves subissent un examen général de sortie devant le comité de surveillance et de perfectionnement, et ceux qui en sont jugés dignes reçoivent le diplôme des écoles d’agriculture d’hiver.

Pour les responsables des écoles d'hiver, leurs anciens élèves sont des agriculteurs de progrès, gardant des liens avec leurs anciens maîtres, avec les services agricoles, participant aux réunions techniques et aux manifestations agricoles, animant les associations professionnelles. Mais combien de tels agriculteurs sont-ils formés ?

En 1916, on recense 20 écoles d’hiver fixes, elles sont 24 au cours de l’hiver 1921-1922, puis leur nombre augmente régulièrement7.

1 BUCHET, G. ; BIDET, M. et al. « Écoles d’agriculture d’hiver fixes et ambulantes », In : Collectif. Congrès de l’enseignement agricole départemental, Bordeaux, 18-22 juin 1936. Bordeaux, Tisseraud, 526 p. ; p. 400-425.

2 Circulaire aux directeurs des services agricoles et aux professeurs d’agriculture, 1er février 1935. Bulletin de l’Office de renseignements agricoles, n°5, 1er mars 1935, pp.84-89.

3 BARDET, M. « Les écoles d’agriculture d’hiver », In : Association amicale des anciens élèves de Grignon. Un siècle d’enseignement agricole …op. cité, p. 141-158.

4 Instructions du sous-secrétaire d’État à l’Agriculture aux préfets sur l’application de la loi du 2 août 1918 …, 7 octobre 1920.

5 BUCHET, G. ; BIDET, M. et al. « Écoles d’agriculture d’hiver fixes et ambulantes », article cité, p. 405.

6 Idem, p. 406.

7Action populaire. L’enseignement agricole en France. La législation. Les écoles. Paris : Éditions du Spes, 1924, 86 p.

La charte de l'enseignement agricole 2 août 1918             IV L'enseignement saisonnier
2 - Les écoles ambulantes

L'école d'hiver fixe paraît souvent encore trop prenante à certaines familles, le jeune devant se déplacer vers l’établissement et parfois loger loin de chez lui durant quatre mois. L'école d'hiver ambulante lui permet de ne pas quitter l'exploitation familiale. De plus, il n’y a pas d’examen d’entrée, les candidats étant retenus selon leur ordre d’inscription.

Les cours sont donnés, gratuitement, par un ou deux professeurs d'agriculture, des spécialistes assurant un certain nombre de cours ou applications.

Le comité de surveillance et de perfectionnement donne son avis sur le programme des études, sur le fonctionnement de l’établissement au point de vue de l’enseignement et des réformes de nature à l’améliorer. Il a la charge des examens d’admission et de sortie, et des propositions pour les bourses. Il se compose de six ou sept membres :

1° - le directeur des services agricoles du département, président ;

2° - deux membres du Conseil général délégués chaque année par cette assemblée ;

3° - deux notabilités agricoles choisies par le ministre sur proposition du préfet ;

4° - le maire ou son délégué, dans le cas où la commune contribue au financement du fonctionnement de l’école ;

5° - le professeur d’agriculture de la circonscription.

L'enseignement a lieu deux fois par semaine, généralement l'après-midi du dimanche et du jeudi, quand les locaux scolaires sont libres. Comme pour les écoles fixes, les cours se déroulent de novembre à mars ; il y a environ 50 leçons, 12 applications pratiques et quelques excursions. Les promotions sont en moyenne de 20 jeunes.

Comme dans les écoles fixes, à la fin de la formation, les élèves subissent un examen général de sortie devant le comité de surveillance et de perfectionnement, et ceux qui en sont jugés dignes reçoivent le diplôme des écoles d’agriculture d’hiver ambulantes. Certains directeurs de services agricoles considèrent que cet enseignement ambulant prépare à l'école d'hiver fixe, mais rien ne nous permet d'affirmer qu'il en soit bien ainsi.

En 1916, il y a 4 écoles ambulantes, soit environ 80 élèves. Après la loi de 1918, le mouvement de création s’amplifie.

La charte de l'enseignement agricole 2 août 1918             IV L'enseignement saisonnier

En 1936-1937, les effectifs par promotion ont fortement progressé pour atteindre 38 élèves, ce qui correspond probablement à des dédoublements d’écoles ambulantes. En 1939, la promotion moyenne est revenue à 23 élèves.

3 - Bilan de l'enseignement saisonnier

En 1921-1922, l'enseignement saisonnier dispose de 34 établissements et forme environ 960 élèves. En 1936-1937, 107 écoles en accueillent 3 300. Enfin, en 1939, on atteint 140 écoles et 3.000 élèves. Autrement dit, cet enseignement a multiplié ses effectifs par plus de quatre en 27 ans. Il faut rappeler qu'en 1913 il y avait 10 écoles et 300 élèves.

Mais s'il convient de noter cet accroissement du nombre d'écoles et d'élèves, signe du succès de la formule auprès des agriculteurs, comment ne pas comparer les chiffres au nombre de garçons entrant dans l'agriculture, estimé de 120 à 150 000 par an.1 Les effectifs touchés sont donc de 2 à 2,7 % de la classe d'âge. De plus, la question de la qualité de cet enseignement reste posée. Nous dirons qu'il s'agit pour les écoles ambulantes d'un « dégrossissage », et pour les écoles fixes d'un début de formation professionnelle. Mais la plupart de ces élèves ne poursuivent pas leur formation au-delà.

 

1 Collectif. Congrès de l’enseignement agricole départemental … op. cité, p. 428.

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