Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
L'école des paysans

La charte de l'enseignement agricole 2 août 1918 VII Les établissements de l'Éducation nationale

1 Mai 2018 , Rédigé par Michel Boulet Publié dans #Histoire de l'école des paysans

Le ministère de l'Instruction publique, qui devient ministère de l'Éducation Nationale en 1932, sous le gouvernement Herriot, continue d'assurer un enseignement agricole aux divers niveaux, ainsi que l'indique l'article 1er de la loi d'août 1918.

1 - Enseignement supérieur

Depuis la fin du XIXe siècle, les Universités ont mis en place des enseignements concernant l'agriculture, la situation évolue peu durant l'entre-deux-guerres. Seuls vont connaître des transformations les Instituts Agricoles de Toulouse et Nancy.

A Nancy, l'Institut agricole s'installe dans un bâtiment construit en 1931, près du Jardin Botanique de la ville. Ce bâtiment permet à l'Institut d'organiser son enseignement en s'appuyant sur des installations mieux adaptées.

Mais c'est l'Institut agricole de Toulouse qui connaît l'évolution la plus importante. L'Institut dispose, à la suite d'un don de la ville, d'une station de mécanique agricole. L'Université, avec l'aide du Conseil général, de la ville et de l'État, acquiert près de Toulouse le domaine de Courrèges, de 11 ha, pour y implanter l'Institut. Mais en 1920, un adjoint au Maire de Toulouse, Marrot, fait don du domaine de Monlon, 40 ha avec des bâtiments d'exploitation, situé à 7 km de la ville. En 1924 l'Université décide de vendre le domaine de Courrèges, situé de l'autre côté de la ville, et achète un deuxième domaine proche de Monlon, avec une ferme de 60 ha. A partir de 1924, l'Institut Agricole dispose donc d'un domaine de 100 ha, au terminus d'une ligne de tramway, et peut, en outre, s'installer dans des locaux libérés à l'Université par la construction d'un Institut de chimie. En 1925, il devient Institut d'Université, obtenant son autonomie budgétaire.

Ainsi, depuis 1920, l'Institut peut organiser un enseignement agricole qui n'est plus seulement théorique, se plaçant sur le terrain même des écoles nationales d'agriculture. Le directeur de l'Institut affirme : « A côté de l'Institut national agronomique et des ENA [...] il y avait place pour un organisme d'enseignement supérieur destiné à faire l'éducation de futurs agriculteurs, de jeunes gens bien décidés à diriger eux-mêmes une exploitation agricole ».1 Les responsables de l'Institut, ont, par ailleurs, réduit au minimum le programme de mathématiques, car « les agriculteurs doivent être avant tout de bons observateurs et le sens de l'observation s'acquiert au contact de la nature et non par le maniement des chiffres et des formules ».

L'Institut recrute, à dix-sept ans, des titulaires du baccalauréat, avec un examen d'entrée en sciences physiques et naturelles, et en mathématiques. L'enseignement dure trois ans, avec des examens semestriels, théoriques et pratiques, qui conditionnent le passage dans l'année supérieure. L'enseignement théorique est donné, le matin, à la Faculté des Sciences, les applications ont lieu l'après-midi soit sur le domaine agricole, soit à la station de mécanique agricole, soit dans les exploitations des environs. Les applications sont faites par les professeurs eux-mêmes, « si bien qu'il y a continuité entre la pratique et la théorie ».

Le dernier semestre de troisième année, à partir de mars, est consacré à la préparation « d'un travail original, sorte de thèse, soutenu devant trois professeurs de l'Institut ». Les élèves ayant une moyenne de 12, sur les trois années, obtiennent le diplôme d'ingénieur de l'Institut Agricole de l'Université de Toulouse. Si la moyenne est entre 10 et 12, l'étudiant reçoit un certificat d'études supérieures agricoles.

En 1925-1926, il y a 115 étudiants à l'Institut, dont beaucoup d'étrangers, selon Nicolas. Celui-ci regrette que des fils d'agriculteurs aillent plutôt à l'École supérieure d'Agriculture de Purpan, créée par l'Institut catholique en 1919. Pour lui, la raison en est l'existence d'un internat à Purpan, qui manque à l'Institut d'Université. Selon ses chiffres, il sort de celui-ci entre 35 et 40 étudiants annuellement. Mais nous n'avons pas d'estimations sur le nombre d'ingénieurs diplômés.

Il faut encore noter qu'en 1933, les Établissements Amouroux cèdent à l'Institut le Laboratoire du Blé et du Pain qu'ils avaient fondé en 1931. Enfin, l'Institut organise, à partir de 1926, un enseignement agricole d'un an pour des instituteurs sortant des Écoles normales.

2 - Enseignement secondaire

Quelques cours d'agriculture sont donnés dans des lycées et collèges, mais en nombre très réduit. Il y a également des sections agricoles dans certaines écoles primaires supérieures, mais nous n'avons pas les éléments statistiques permettant d'en apprécier l'importance. En fait, ce sont le plus souvent des écoles d'hiver fixes qui sont créées auprès de ces EPS.

3 - Enseignement primaire

Dans le rapport sur le projet de loi d'août 1918, Plissonnier affirme : « Dans toutes les communes rurales, [...], les enfants reçoivent à l'école primaire, de 9 à 12 ans, un enseignement agricole. Mais l'expérience a pleinement démontré que cet enseignement ne donne pas les résultats qu'on avait escomptés ». C’est à partir de cette analyse que sont créés les cours postscolaires agricoles.

Mais le débat rebondit très vite et de nombreux responsables se tournent vers l'école rurale pour former des jeunes disposés à rester à la terre. Selon eux, si l'on laisse les jeunes sortir de l'école primaire sans formation agricole, la partie est perdue. Cependant le ministère de l'Instruction publique ne veut pas créer une école spéciale dans les campagnes, il est très attaché à l'égal accès des jeunes à un enseignement unifié.

En fait, l'école rurale est déjà très orientée vers la mise en valeur des « vertus terriennes ». Ceci se traduit dans le contenu des programmes, comme dans le fait que depuis 1897, l'école rurale doit donner un « enseignement appliqué à l'agriculture », un jardin scolaire est même prévu à cet effet.

En 1923, les programmes indiquent que dès le cours élémentaire (7 à 9 ans) on doit donner aux enfants les premières leçons d'agriculture et d'horticulture dans le jardin de l'école ; au cours moyen (9 à 11 ans), lors des leçons de choses et des promenades, des notions sur les travaux des champs et les instruments usuels ; au cours supérieur (11 à 13 ans), des notions plus méthodiques sur les cultures, les engrais naturels et artificiels, le sol et les amendements, les animaux domestiques.2

Les instructions données pour la mise en œuvre de ce programme insistent sur le fait que « l'enseignement scientifique, même élémentaire, ne saurait servir seulement à former les esprits ; il doit armer les travailleurs, augmenter le rendement de leur activité productrice ». Il convient donc d'adapter l'enseignement au milieu et à la profession éventuelle des jeunes. Les instructions officielles poursuivent : « Dans les écoles rurales, on donnera un enseignement pratique et théorique de l'agriculture. [...] Le jardin scolaire ne doit pas être laissé en friche. Il doit être cultivé, au moins en partie, par les enfants, sous la direction du maître. [...] Mais à cet enseignement pratique doit se joindre un enseignement théorique très simple qui portera principalement sur les questions d'ordre scientifique que l'agriculteur ne pourrait résoudre par le pur empirisme. Si l'on veut vaincre les préjugés qui empêchent l'enseignement agricole de se développer, il faut fournir aux habitants de la campagne des preuves indubitables des services que cet enseignement peut leur rendre, des additions qu'il peut apporter aux connaissances qu'ils tirent eux-mêmes de leur expérience et de leurs traditions ».

Il est intéressant d'examiner succinctement le contenu d’un manuel de lecture du cours moyen rédigé en application de cette circulaire de 1923.3 L'essentiel des lectures est consacré au monde rural, la ville n'apparaît que rarement, et elle est alors le cadre de situations difficiles : un « honnête ouvrier » mis au chômage, un gréviste sans ressource, un soldat en permission retour des tranchées, des fillettes pauvres, etc. Le chapitre consacré aux métiers présente : un sabotier, un conducteur de locomotive, un artisan peintre ; ce sont des métiers « nobles » et non typiquement urbains. Ici, tout incite le jeune lecteur à identifier milieu rural et vie réussie, équilibrée.

Pourtant, des instituteurs expriment leurs inquiétudes face au départ des jeunes ruraux vers la ville et l’un d’eux, Albert Vincent, se fait le chantre des valeurs terriennes dans son livre « Pour l’école rurale ». De son côté, l’Union des intérêts économiques réalise une enquête « L’école publique contre l’exode rural ».4

De leur côté, les agriculteurs ne sont pas satisfaits de cette école, et en 1925, la Confédération nationale des Associations agricoles (CNAA) consacre une journée de son 7ème Congrès, tenu à Rouen, à l'étude de l'école rurale, en rassemblant membres de l'enseignement et représentants de l'agriculture.5

Dans la préface de la brochure publiant ces travaux, Paul Lapie, ancien directeur de l'enseignement primaire, souligne tout ce que cette école rurale a fait pour l'agriculture, tout en montrant que ses moyens matériels sont fort limités. Ainsi, en ce qui concerne les fameux jardins scolaires : « Comment sans subsides, acheter les semences, les animaux, les produits, les outils et les appareils nécessaires pour cultiver le jardin de l'école, le champ d'expériences ou de démonstration, pour installer un clapier, une basse-cour, un rucher scolaire, pour organiser utilement le travail manuel, pour créer un petit laboratoire de chimie et de biologie agricoles ? L'État n'est pas, de par la loi, tenu de faire ces dépenses ». Aussi Lapie fait-il appel à l'aide des agriculteurs ... !

Le rapport analysant les demandes des agriculteurs vis-à-vis de l'école rurale indique que cette école ne peut assurer un « véritable enseignement agricole », les élèves étant trop jeunes, et les enseignants « guère qualifiés pour le donner ». Et il poursuit : « De l'avis de tous, l'enseignement primaire rural doit : 1° - donner à l'enfant les connaissances scientifiques sur lesquelles repose l'agriculture, 2° - Lui inspirer l'amour de la vie des champs ». Et un instituteur, Tortillet, retrouve les élans du 19ème siècle pour affirmer : « Faire aimer la terre et la campagne, tout est là ; l'école rurale doit être un foyer d'exaltation et de réchauffement pour l'âme paysanne. L'enseignement technique agricole a une grande utilité, mais il doit céder le pas à l'éducation agricole ».

Afin de se faire comprendre, la rapporteur cite un extrait du Bulletin de l'Association des Inspecteurs de l'Enseignement primaire : « L'apprentissage agricole diffère grandement des autres apprentissages. Il consiste, évidemment, pour une part à apprendre : maniement des instruments, façons culturales, engrais, etc. ; mais, pour une part plus grande encore, à endurer le froid, le chaud, le vent, la pluie ; se lever quand on voudrait dormir, se coucher quand on voudrait s'amuser, etc. C'est surtout un entraînement.

Or, qu'on le veuille ou non, l'entraînement de l'école est diamétralement opposé. A l'école, on apprend à se préserver du chaud, du froid, du vent, de la pluie et à soigner ses moindres bobos. Laissons aux gens naïfs la liberté de croire qu'on peut réagir contre ce régime douillet et remonter le courant avec des dictées agricoles, des calculs agricoles, des exhortations agricoles ! On peut dire que si un enfant restait bien sagement à l'école jusqu'à treize ou quatorze ans sans participer en aucune façon aux travaux des champs, cet enfant-là serait perdu irrémédiablement pour la culture [...] ».

Derrière ce texte se profile le conflit ancien entre les deux formes scolaires que sont l’école rurale et l’apprentissage agricole, conflit qui n’est pas prêt de s’éteindre !

Pour les tenants de cette école rurale, il s'agit de diffuser une idéologie agrarienne et d'entraîner les jeunes à supporter la dureté du travail paysan. Ils n'ont pas de réelle volonté de favoriser l'acquisition de connaissances professionnelles, mais le désir d'avoir des paysans nombreux et demeurant à leur place.

Les agriculteurs eux-mêmes considèrent souvent l'école comme responsable de l'exode rural. C'est ce qu'illustre le texte suivant adressé au ministre de l'Instruction publique par des agriculteurs membres de L'Entente Paysanne et publié en décembre 1925 par le journal agricole du Lot, Fertilité 6 :

« Considérant que l'exode des ruraux vers les villes devient un fléau menaçant pour le pays ;

Que cette désertion est due à diverses causes, notamment à l'enseignement primaire rural, tel qu'il est conçu actuellement ;

Qu'en effet la formation "en série" suivant une méthode uniforme, des cerveaux de tous les jeunes Français, qu'ils soient ruraux ou citadins, est une faute grave ;

Que cette méthode a pour résultat de faire germer dans l'esprit des petits ruraux des aspirations décevantes, de les inciter à abandonner la charrue, pour rechercher un emploi à la ville, en un mot, de produire des déclassés ;

Que les enfants restés aux champs oublient très rapidement l'enseignement reçu à l'école rurale parce qu'il est étranger au but véritable de leur existence ;

Qu'ils retiendraient, au contraire, beaucoup mieux un enseignement professionnel agricole dont ils feraient l'application pratique, leur vie durant ;

Qu'il existe bien des écoles d'agriculture, mais qu'elles ne sont pas accessibles aux petits paysans ;

Qu'il est contraire à la vérité d'affirmer que le corps enseignant est hostile à cette réforme ;

Qu'il est tout aussi faux de croire que les maîtres ruraux manquent des connaissances utiles à cet effet, attendu que 80% d'entre eux sont fils de la terre ;

Que la seule objection à retenir porte sur les programmes déjà surchargés de matières à enseigner ;

Qu'il est superflu de faire ressortir le perfectionnement des méthodes de production devant résulter de pareil enseignement et, par suite, les heureuses conséquences pour la prospérité du pays ;

Les délégués paysans de 54 communes du Lot et ceux de 7 départements voisins adhérant à "l'Entente paysanne", réunis à Cahors, le 20 septembre 1925, ont l'honneur de présenter à Monsieur de Monzie, Ministre de l'Instruction publique, le vœu que, dans le plus bref délai, l'enseignement primaire rural soit réformé dans le sens des considérations ci-dessus ».

 

Nous avons insisté sur ce débat autour de l'école rurale, car, pour la masse des jeunes ruraux, elle constitue l'unique forme d'enseignement agricole obligatoire, quelles que soient ses limites et imperfections. Elle exprime la contradiction de la formation professionnelle agricole dans ces années 1930 : former des jeunes ayant les « vertus » terriennes, attachés au monde paysan, tout en faisant que la majorité d'entre eux puisse, à plus ou moins long terme, constituer la force de travail indispensable aux secteurs extérieurs à l'agriculture.

1 NICOLAS, G. « Les instituts agricoles des facultés » In : Association des anciens élèves de Grignon. Un siècle d’enseignement agricole. Centenaire de Grignon. Saumur ,Imp. Rolland, 1926. p. 199-211 ; p. 206.

2 GOUMY, E. « L’enseignement agricole à l’école primaire » In : Association des anciens élèves de Grignon. Un siècle d’enseignement agricole. Centenaire de Grignon. Saumur ,Imp. Rolland, 1926 ; p 213-231 ; p. 218.

3 BRANGIER et BALLEREAU, Ed. Les textes vivants, choix de lectures à l’usage du cours moyen – Paris : SUDEL, s.d. [en application de la circulaire de 1923], 256 p.

4 Cité par BARRAL, Pierre. Les agrariens français de Méline à Pisani. Paris, Presses de la FNSP, 1968, 386 p + annexes ; p. 211.

5 CNAA. L’école rurale - Extrait du compte rendu du 7e Congrès national de l’Agriculture française. Paris, CNAA, 1925.

6 Cité par GOUMY, E. « L’enseignement agricole à l’école primaire », art. cité.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article