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L'école des paysans

Le conseil d'agriculture et l'enseignement agricole (1819-1846)

21 Août 2019 , Rédigé par Michel Boulet Publié dans #Documents d'archives

RAPPORT AU ROI.

SIRE,

Votre Majesté, dont la pensée embrasse tout ce que les besoins de ses peuples attendent de l'influence de son Gouvernement, a souvent porté ses regards sur l'Agriculture, base première de la prospérité publique.

Frappée des progrès incessamment croissans dont certaines parties de son royaume offrent le satisfaisant spectacle, et de la lenteur qu'éprouve, dans beaucoup d'autres, la marche de l'amélioration ; voyant là un système de culture admirable dont les étrangers n'ont pas dédaigné de venir étudier les secrets ; ici les habitudes luttant encore contre l'introduction de méthodes dont les résultats attestent l'excellence, Votre Majesté a voulu connaître les causes de ce contraste et le moyen de le faire cesser ; et cet important objet de sa sollicitude paternelle est le premier qu'elle a recommandé à mes soins, lorsqu'elle a daigné me confier le porte-feuille du ministère de l'intérieur.

Sans doute, les conseils d'hommes éclairés n'ont pas manqué au cultivateur disposé à s'instruire. Les bonnes méthodes ont été recommandées avec persévérance, exposées avec clarté, mises, autant qu'il était possible, à la portée de toutes les intelligences. Partout des citoyens recommandables forment des réunions principalement destinées à recueillir et répandre autour d'eux les connaissances agronomiques, et la Société royale d'Agriculture, qui les dirige, après leur avoir servi de modèle, se rend de plus en plus digne de la protection spéciale que Votre Majesté accorde à une institution née sous les augustes auspices de ses prédécesseurs.

Mais les conseils sont peu, s'ils ne s'appuient de l'exemple, et la défiance flétrit, du nom de système, le précepte qui ne marche pas accompagné de l'expérience, de cette expérience actuelle et palpable qui ne se transmet pas seulement par la tradition, et à laquelle l'instruction, que fournissent les livres et les Sociétés savantes, ne peut suppléer. Il faut que les doctrines, essayées sous les yeux de tous, se légitiment, pour ainsi dire, dans chaque localité, par des résultats d'un avantage évident ; il faut qu'une pratique exposée au contrôle de chacun apprenne au cultivateur le plus prévenu en faveur de sa routine, sous quelles formes et avec quelles modifications les règles générales se plient à la diversité des terrains et des climats.

Votre Majesté a bien voulu accueillir ces idées. Déjà le premier pas est fait, et c'est elle-même qui a daigné le faire en ordonnant qu'il fût établi, dans l'un de ses domaines, une ferme expérimentale où serait offert, aux regards de tous, le système complet d'une culture adaptée aux exigences du sol et à l'intérêt des lieux.

Cet auguste exemple, Sire, ne demeurera pas stérile. Il suffit de le proposer pour exciter dans toutes les parties de la France une noble émulation ; et il n'est point de département où il ne se rencontre un propriétaire empressé de consacrer une partie de son domaine à l'établissement d'une ferme dont il dirigerait lui-même l'exploitation d'après les meilleures méthodes ; qui appliquerait le principe de ces méthodes aux cultures spéciales que la nature du sol, les débouchés du commerce, les usages du pays rendent plus profitables, et offrirait à ses concitoyens le spectacle d'une sorte d'école normale, non de préceptes, mais de faits, où les résultats confirmeraient les règles, et d'où se propagerait, de proche en proche, le salutaire exemple, soit des bons systèmes d'assolement, qui augmentent indéfiniment les produits de la terre, soit de l'éducation d'un nombreux bétail et de l'amélioration des races, le plus utile de tous les résultats de ces assolemens pour le propriétaire , comme le plus important pour l'État.

Un coup-d'oeil bienveillant de Votre Majesté encouragerait ces efforts. Elle daignerait permettre que le Ministre de l'intérieur mît annuellement sous, ses yeux la liste des propriétaires qui, d'après les rapports des préfets, auraient plus complétement rempli les conditions de l'honorable tâche qu'ils se seraient imposée. Tous, proportionnellement à l'importance de leur exploitation et au succès de leurs expériences, auraient part aux distributions de graines, de plants, d'instrumens, d'ouvrages agronomiques, qui seraient faites par le Gouvernement. Tous entretiendraient avec le Ministre une correspondance suivie sur leurs entreprises rurales et sur l'état de l'agriculture dans leurs départemens respectifs.

Mais, pour recueillir et examiner cette correspondance, pour la diriger et entretenir l'activité, pour classer les documens, proposer les questions, résoudre les doutes et rendre instruction pour instruction, il convient de rappeler les membres épars de cette institution naissante vers un centre commun et de même nature, de les rattacher à un Conseil central d'Agriculture, placé près du Ministre, et exclusivement occupé des détails de cette vaste expérience rurale. Ce Conseil est le complément nécessaire de l'instruction que j'ai l'honneur de proposer à Votre Majesté. Il serait présidé par son Ministre, et composé de personnes distinguées par des connaissances étendues, soit dans les diverses parties de l'économie rurale, soit dans les sciences qui s'y rapportent, et réunissant aux notions chimiques, l'expérience indispensable pour en faire une application utile.

Il serait chargé aussi de donner son avis sur les questions, projets ou mémoires relatifs à l'agriculture, quand le Ministre jugerait à propos de lui en confier l'examen et il présenterait au besoin ses vues sur tout ce qui pourrait intéresser le perfectionnement de l'art, les encouragemens et les récompenses à décerner.

Si ces mesures paraissent à Votre Majesté conformes au but qu'elle se propose, et mériter son approbation, je la supplie de revêtir de sa signature le projet d'ordonnance que j'ai l'honneur de lui soumettre.

Je suis, avec le plus profond respect,

SIRE ,

De Votre Majesté,

Le très-humble et très obéissant serviteur, et le plus fidèle sujet,

Le comte DECAZES.

Paris, ce 27 janvier 1819.

 

ORDONNANCE DU ROI.

Louis, PAR LA GRACE DE DIEU, ROI DE FRANCE ET DE NAVARRE

A tous ceux qui ces présentes verront, salut.

Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :

ART. Ier. Il sera établi auprès de notre Ministre secrétaire d'état au département de l'intérieur, un Conseil d'Agriculture.

2. Ce Conseil donnera son avis sur les questions de législation et d'administration, et sur les projets et mémoires relatifs à l'agriculture, qui lui seront renvoyés par notre Ministre, à qui il présentera également ses vues sur les améliorations et perfectionnemens qui pourraient contribuer aux progrès de l'agriculture, et sur les encouragemens et récompenses à accorder.

3. Le Conseil d'Agriculture sera composé de dix membres, à la nomination de notre Ministre secrétaire d'état au département de l'intérieur, et sous notre approbation.

4. Notre Ministre secrétaire d'état au département de l'intérieur désignera celui des membres du Conseil qui présidera en son absence.

5. Il y aura, dans chaque département, un membre correspondant du Conseil d'Agriculture, choisi parmi les propriétaires cultivateurs qui se livrent avec le plus de zèle et d'intelligence aux travaux agricoles.

6. Les membres correspondants mettront en pratique, dans une portion de leur propriété, les meilleures méthodes de culture. Ils feront les essais et expériences qui leur seront indiqués par le Conseil, à qui ils rendront compte, par l'intermédiaire du Ministre de l'intérieur, du résultat de leurs travaux.

7. Lorsque les membres correspondants seront à Paris, ils auront droit d'assister au Conseil avec voix consultative.

8. Notre Ministre secrétaire d'état de l'intérieur nomme les membres correspondants du Conseil d'Agriculture, sur la présentation des préfets.

La liste des membres correspondants nous sera présentée tous les ans par notre Ministre, qui nous fera connaître ceux qui se seront le plus distingués dans le cours de l'année par leurs travaux et par leurs succès.

9. Notre Ministre secrétaire d'état de l'intérieur est chargé de l'exécution de la présente ordonnance.

Donné en notre château des Tuileries, le 27 janvier, l'an de grâce 1819, et de notre règne le vingt-quatrième.

Signé LOUIS.

Par le Roi,

Le Ministre secrétaire d'état au département de l'intérieur ,

Signé le comte DECAZES.

 

Par arrêté du ministre de l'intérieur, du 1er février , approuvé par Sa Majesté :

Sont nommés membres du Conseil d'Agriculture :

MM. Le duc de LA ROCHEFAUCAULD, pair de France, inspecteur général des Écoles d'arts et métiers ;

Le baron MOREL de VINDÉ, pair de France, membre de l'Institut ;

Le comte CHAPTAL, membre de l'Institut ;

Le baron RAMOND, conseiller-d'État, membre de l'Institut ;

TESSIER, membre de l'Institut, inspecteur général des bergeries royales ;

Le comte LASTEYRIE ;

HUZARD, membre de l'Institut, inspecteur général des Écoles royales vétérinaires ;

BOSC, membre de l'Institut, inspecteur des Pépinières royales ;

THOUIN, membre de l'Institut, professeur de culture au Jardin du Roi ;

HACHETTE , professeur de la Faculté des sciences.

Tous de la Société royale et centrale d'Agriculture,

Annales de l'Agriculture française.

Le Conseil est relancé en novembre 1828

CONSEIL D'AGRICULTURE.

Le Conseil d'Agriculture, établi auprès du Ministère de l'intérieur par l'Ordonnance royale, du 28 janvier 1819, pour éclairer le Gouvernement sur les questions d'économie rurale, avait cessé de se réunir depuis plusieurs années. La sollicitude paternelle du Roi a voulu rendre la vie à une institution qui, pendant la courte durée de son existence, a révélé tout le bien qu'il est permis d'espérer de son concours.

Sur la proposition de son Ministre de l'intérieur, le Roi a appelé au Conseil d'Agriculture, par décision du 3o novembre dernier, MM. le comte Chaptal, pair de France ; le comte Tournon, idem; le vicomte de Morel-Vindé, idem ; le comte Alexis de Noailles, membre de la Chambre des Députés; le comte de Lur-Saluces, idem ; le baron Ternaux, idem ; le vicomte Emmanuel d'Harcourt ; le comte Charles de Polignac ; le baron Silvestre, membre de l'Académie royale des Sciences; Busche, directeur de l'approvisionnement de la Réserve de Paris.

MM. Tessier et Huzard ont été aussi appelés à faire partie du Conseil : le premier en sa qualité d'Inspecteur général des bergeries du Gouvernement; le second, comme Inspecteur général des Ecoles royales vétérinaires.

Annales de l'Agriculture française. 1828/10 (SER2,T44). p. 183-184

1846

Conseil général d'agriculture.

QUESTION DE L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE

La nécessité de l'instruction agricole n'a jamais été révoquée en doute par les hommes de sens ; de tout temps elle a été signalée. Les associations agricoles n'ont pas d'autre but que celui de répandre les connaissances théoriques et pratiques, d'où dépendent le progrès de l'agriculture et sa richesse. Mais, nous n'avions jamais vu dans aucune grande réunion officielle la question de l'enseignement agricole attaquée au. cœur comme elle l'a été à la dernière réunion du conseil général d'agriculture. C'est un antécédent qui garantit l'avenir de cette branche si importante de l'instruction publique. L'attention du gouvernement, comme celle de toute la France, est fixée maintenant sur l'urgence d'une organisation générale d'enseignement agricole. L'administration de l'agriculture s'en occupe activement. Il n'est pas douteux pour nous que l'époque où il sera, présenté un vaste et large plan d'enseignement de l'agriculture sur tous les points du royaume n'est pas éloignée. Si on a pensé en effet que la musique doit entrer désormais dans le plan de l'instruction primaire, ce que nous sommes loin de contester, l'enseignement d'une science dont dépend le bien-être des populations ne saurait être négligé. On n'est pas disposé à chanter quand on a faim ; la musique, dont nous sommes d'ailleurs très partisan, n'exerce guère d'heureuse influence quand la misère sévit. Nous croyons donc qu'il faut apprendre à se procurer du pain d'abord, et chanter ensuite. Nous en appelons à la cigale de La Fontaine.

Nos lecteurs nous sauront gré de mettre sous leurs yeux le remarquable rapport de M. Vuitry, au nom de la commission de l'instruction agricole du conseil général d'agriculture1. C'est un document précieux que la presse ne doit pas manquer de reproduire partout comme un des symptômes les plus tranchés en faveur de l'avenir de la prospérité de l'agriculture française.

1 Cette commission était composée de MM. Tourret, président ; Auguste de Gasparin, Bella, de Mirbel, de Caumont, Nivière, Rieffel, Moll, Royer, et Vuitry, rapporteur.

« Messieurs,

Une heureuse tendance porte aujourd'hui les esprits vers l'agriculture, et l'on commence à reconnaître enfin que de toutes les sources de la richesse publique elle est incontestablement la plus féconde : de toutes parts on appelle ses progrès ; des hommes habiles y consacrent leurs soins, le gouvernement seconde le vœu public, et, s'il reste beaucoup à faire, du moins est-il certain que le mouvement est imprimé. La science elle-même descend de ses hautes régions ; elle se met à l'œuvre, et cherche à tirer d'utiles applications pratiques de ses théories.

C'est sans doute parce que vous preniez cet état de choses en considération que vous avez voulu que des vues d'ensemble vous fussent exposées sur l'enseignement agricole ; mais, en confiant cette tâche à la Commission dont j'ai l'honneur d'être l'organe, vous n'aurez pas méconnu ses difficultés.

A proprement parler, l'agriculture ne forme pas encore un corps de science, et l'on ne doit pas songer à régler son enseignement d'une façon définitive et complète. Cependant beaucoup de faits sont déjà connus ; un assez bon nombre d'écoles reçoivent de jeunes adeptes ; des cours publics sont ouverts, et le moment est venu de coordonner tous ces éléments épars. La direction des esprits ne doit pas être abandonnée au hasard ; plus il est utile de favoriser la tendance actuelle, plus il faut, dès le début, prendre garde que l'agriculture ne s'égare.

Si malheureusement elle faisait fausse route, de tristes déceptions viendraient bientôt semer partout le découragement, et nous marcherions en arrière au lieu de faire des progrès.

Le gouvernement seul peut nous épargner ce danger, car seul il peut diriger l'enseignement agricole dans un esprit d'ensemble et dans des vues d'unité. Il vous appartenait, Messieurs, de lui faire connaître vos vœux à cet égard, et nous venons, au nom de la Commission que vous en avez chargée, vous rendre compte du résultat de ses travaux.

Nous rechercherons d'abord à quels besoins il est nécessaire de pourvoir ; nous indiquerons de quelles ressources dispose aujourd'hui l'enseignement agricole ; enfin nous ferons connaître comment et par quels moyens il doit être amélioré et complété.

En tête de notre programme des besoins de l'époque, nous plaçons la nécessité d'offrir à la science tous les moyens d'expérimentation qui lui sont nécessaires pour entrer dans la voie qui s'ouvre devant elle. Pour que les théories nouvelles puissent passer utilement, et sans aucun danger, dans le domaine de la pratique, il faut avant tout qu'elles soient éclairées par des expériences précises et concluantes.

Nous avons dit que l'esprit public se préoccupait vivement des intérêts agricoles. Cette tendance, qu'il faut encourager, est pour nous la preuve que le moment est favorable pour propager les principes de l'économie politique appliqués à l'agriculture. L'économie commerciale a de nombreux organes ; ses doctrines, souvent absolues, restent sans contradiction possible, et les questions complexes ne peuvent pas toujours être examinées sous toutes leurs faces. Il est temps que les principes de l'économie agricole soient répandus à leur tour. Et d'ailleurs c'est en faisant connaître ainsi le mode d'action de l'agriculture sur la richesse nationale qu'on pourra développer chez les hommes éclairés le désir de lui apporter le concours de leur intelligence et de leurs capitaux.

Ce n'est pas tout : la routine préside encore presque partout à la direction de nos exploitations rurales ; nous avons donc besoin de former des praticiens éclairés dont les exemples puissent montrer tout le parti qu'on peut tirer d'une agriculture perfectionnée.

Mais, dans l'état actuel des choses, un des plus grands obstacles que rencontrent ceux qui veulent entrer dans une voie de progrès, c'est le défaut d'ouvriers habiles, de surveillants intelligents et initiés aux méthodes nouvelles ; l'industrie manufacturière a ses contre-maîtres, l'industrie agricole en manque : il faut aussi lui en donner.

Enfin de fâcheux préjugés règnent encore dans nos campagnes ; on n'y admet pas toujours qu'il soit possible de mieux faire. Tout ce qui pourra concourir à y répandre des notions générales sur les perfectionnements déjà réalisés atteindra donc un but éminemment utile.

Nous venons d'indiquer sommairement les besoins ; voici maintenant, Messieurs, la statistique rapide des moyens d'enseignement tels qu'ils existent aujourd'hui.

Sans parler des haras qui ont un but spécial, le département de l'agriculture a réuni dans les bergeries royales, à Alfort et au Pin, diverses races de bestiaux ; il fait étudier leur acclimatation, leur utilité, comme types reproducteurs, les croisements avantageux qu'ils pourraient offrir à notre agriculture.

Le haut enseignement agricole se compose de deux chaires fondées à Paris en 1836. Ces chaires, confiées à de savants professeurs, ont été établies au Conservatoire des Arts et Métiers, qui possède une collection d'instruments : l'une a pour objet un cours d'agriculture, l'autre est consacrée à l'application des sciences à l'agriculture.

Des chaires ont en outre été fondées à Rodez, à Besançon, à Quimper, à Toulouse, à Bordeaux, à Rouen et à Nantes.

A Paris, au Muséum, il existe, comme chacun sait, un cours de culture qui dépend du ministère de l'instruction publique et que nous citons pour mémoire.

Les cours dont nous venons de parler n'ont pas cet esprit d'unité qui est la première condition de tout bon enseignement.

On y fait de l'agriculture théorique que la pratique ne vient pas sanctionner ; on s'y occupe peu de l'économie agricole, et les lumières que cette science peut répandre n'éclairent point l'opinion publique.

Les établissements d'instruction sont de plusieurs natures. En tête nous placerons les instituts de Grignon, de Grandjouan, de la Saulsaye : l'enseignement y est à la fois théorique et pratique. Ces écoles ont rendu et rendent tous les jours d'utiles services. Viennent après vingt-et-un établissements qui, sous les noms de fermes-modèles, fermes-écoles, colonies, asyles, donnent divers degrés d'enseignement. Dans ce nombre, quatorze sont subventionnés sur le fonds d'encouragement à l'agriculture ; les trois instituts le sont également. A cette nomenclature il faut ajouter les pénitenciers agricoles de Gaillon, Looz, Clairvaux, Fontevrault, et quelques colonies libres.

Nous mentionnons pour mémoire les écoles vétérinaires, et l'école des haras, parce qu'elles ont un but spécial ; il en est de même de l'école forestière de Nanci, qui d'ailleurs est placée sous la direction du ministre des finances. En résumé, vingt-six départements sont pourvus de quelques moyens d'enseignement agricole ; les soixante autres en manquent complètement.

Tel est, Messieurs, le modeste bilan de nos ressources ; et encore il faut dire que tous ces établissements, organisés successivement dans des vues différentes, sans que le gouvernement ait présidé à leur formation, laissent beaucoup à désirer : on n'y trouve pas cet esprit d'ensemble, ces classifications précises, que nous croyons indispensables. Par une tendance qui se conçoit, parce qu'elle est dans la nature des choses, des établissements qui ne devraient former que des contre-maîtres veulent faire plus et deviennent insuffisants à leur tâche. Nous savons que l'administration lutte contre cette tendance, et nous avons eu sous les yeux un arrêté du 2 juillet dernier relatif à l'organisation de l'école d'agriculture annexée à l'asyle de Monthellet, qui nous ont paru renfermer les plus sages prescriptions à cet égard. Des noms distincts, des appellations significatives, et nous reviendrons sur ce point, aideront à cantonner plus étroitement chaque nature d'établissement dans des limites, qui ne devront pas être franchies. Il reste donc beaucoup à faire, et pour atteindre complètement le but il faut que le ministère de l'agriculture et du commerce, doté plus généreusement, puisse subventionner partout l'enseignement agricole. Devenu ainsi maître de sa direction, il pourra l'organiser sur des bases uniformes.

Nous vous avons indiqué, Messieurs, en commençant ce rapport, les vues générales de la Commission ; nous venons de mettre sous vos yeux les faits tels qu'ils existent aujourd'hui ; il nous reste à vous exposer les mesures que nous croyons propres à atteindre le but. Nous allons vous rendre compte des discussions auxquelles leur examen a donné lieu.

Nous commencerons par les établissements consacrés à la partie expérimentale de la science agricole. Le gouvernement, nous l'avons dit, est entré dans cette voie, que seul il peut parcourir avec des moyens suffisants pour arriver au succès et pour commander la confiance publique. Ses essais jusqu'ici n'ont porté que sur l'acclimatation, l'élevage et les croisements de quelques races étrangères de bestiaux. A Rambouillet, on conserve la race mérinos importée primitivement d'Espagne ; on la croise aussi avec des béliers anglais. Les races ovines anglaises de Dishley et New-Kent essayées d'abord à Alfort, ont été transportées à Montcavrel, où elles rencontrent des conditions favorables ; la race Southdown a également été importée en France. A Lahaye-Vaux, on élève, pour l'améliorer sous le rapport des formes et pour la fixer, une sous-race de moutons à laine fine et soyeuse, obtenue dans le principe par M. Graux ; on y suit les expériences commencées sur un croisement Naz-Rambouillet ; enfin les mérinos Rambouillet y sont élevés comparativement. Au Pin, on étudie les races bovines de Durham, Hereford et Devon ; des dépôts de la première ont été placés dans le Cotentin et dans le Nivernais pour apprécier les influences du climat.

C'est quelque chose sans doute; mais ce n'est qu'une faible partie de l'ensemble des questions qui sont à résoudre.

La chimie tourne aujourd'hui ses efforts vers l'agriculture, et comme les faits ne sont pas encore assez bien connus, on oppose quelquefois théorie à théorie. Le mode d'action des diverses natures d'engrais et des agents chimiques sur la végétation est une question à l'ordre du jour : les lois des assolements sont à faire ; les rapports entre la valeur nutritive de divers aliments, leurs effets sur l'économie animale, des questions qui se rattachent à l'étude physiologique des plantes et des animaux, beaucoup d'autres qu'il serait trop long d'énumérer, sont à l'étude. Dans leur examen, rien ne doit être laissé au hasard; il faut porter partout le flambeau de l'expérience : la vérité sans doute doit être répandue ; mais il faut surtout prévenir la propagation d'erreurs qui deviendraient fatales. Le gouvernement doit donc entrer largement dans la voie des essais et de l'expérience : votre Commission a été unanime pour le reconnaître ; mais quelques divergences se sont élevées sur le choix des moyens.

Plusieurs membres ont pensé qu'on n'atteindrait le but que par la création, aux frais de l'état, d'un nouvel établissement, qui prendrait le nom de ferme expérimentale, et devrait être placé aux environs de Paris pour être rapproché du foyer de la science.

Cette proposition a soulevé quelques objections.

Pourquoi faire à grands frais un établissement nouveau ? a-t-on dit ; ceux que l'état possède, et les instituts agronomiques, ne sont-ils pas suffisants pour les besoins du moment ? Ne craint-on pas qu'en voyant créer un établissement spécial, l'opinion ne s'égare et n'adopte trop précipitamment comme bon tout ce qu'elle y verra faire ? Ce n'est pas d'ailleurs une seule ferme expérimentale qu'il faudrait pour atteindre le but ; elles devraient être multipliées en raison de la diversité des régions, et des différences essentielles que cette diversité apporte aux données physiologiques, aux faits de nature si variée que l'expérience devra être appelée à constater.

Dans l'opinion contraire, on a répondu : La mission des instituts agronomiques et des fermes expérimentales est tout à fait différente. Dans la ferme expérimentale, les questions sont envisagées au point de vue scientifique ; leur côté économique est réservé pour un autre moment ; on n'a pas à se préoccuper du profit, et la ferme expérimentale sera toujours en perte : c'est un des motifs qui nous font dire que l'état doit s'en charger. Un institut, au contraire, doit réaliser une culture profitable : c'est le meilleur exemple qu'il puisse donner à l'appui de ses leçons. Ne pourrait-on pas craindre, d'ailleurs, en chargeant les instituts de faire des essais scientifiques, de détourner les élèves du véritable but de leurs travaux et de changer la direction de leur esprit ? Qu'on ne perde pas de vue que les instituts ne doivent pas être des écoles de savants ; mais qu'il doit en sortir des hommes qui joignent à la théorie des connaissances pratiques étendues. On craint qu'un ferme expérimentale ne jette quelques erreurs dans l'opinion ; le danger serait bien plus grand si les essais se faisaient dans les instituts, où l'on doit, au contraire, s'accoutumer à ne voir appliquer que des théories dont l'expérience ait suffisamment démontré la vérité. Ce n'est pas à dire que toute espèce d'essais y doive être proscrite : il peut être bon d'en entreprendre quelques-uns; mais il nous paraît essentiel que, sauf de rares exceptions, ils ne soient pas dirigés au point de vue exclusif de la science, et tels qu'on les envisage ici. Quant aux établissements que le gouvernement possède, ils ont leur spécialité, et seraient certainement insuffisants dans l'état où ils se trouvent aujourd'hui.

On ne doit pas perdre de vue d'ailleurs que les essais dont on parle ont principalement pour but de favoriser l'investigation de la science dans les phénomènes qui se rattachent à la végétation, ainsi qu'à la vie des animaux ; qu'ainsi, ils doivent être nécessairement près de Paris, sous les yeux des savants dont les indications devront être exactement suivies. Si cependant on peut le faire soit à Rambouillet, soit à Alfort, qu'on y avise : peu importe le lieu, pourvu qu'il soit convenablement placé, et qu'il suffise à sa destination.

On était donc d'accord au fond, car la Commission voulait unanimement que toutes les expériences utiles fussent faites. A la suite d'une discussion approfondie, la résolution suivante a été adoptée :

« La Commission pense qu'il est utile de favoriser la tendance de la science à s'occuper de l'agriculture, et qu'il est digne du gouvernement de le faire.

Dans ce but, elle pense que le gouvernement devrait faire administrer expérimentalement les établissements qu'il dirige : vacheries, bergeries, haras. Elle pense qu'il serait utile de publier annuellement tous les travaux de cette nature qui seraient propres à éclairer la science agricole.

Si les moyens dont le gouvernement dispose aujourd'hui ne suffisaient pas, la Commission croit qu'il devrait aller jusqu'à la création, près de Paris, d'une ferme spécialement destinée aux essais scientifiques. »

La Commission s'est occupée ensuite des cours publics.

Elle a été unanime pour penser qu'il importait surtout de fonder des chaires d'économie agricole. Et croit qu'il ne serait pas toujours sans danger de professer l'agriculture technique quand la pratique ne peut pas venir justifier la théorie. Ainsi que nous l'avons dit d'ailleurs, ce sont les rapports de l'agriculture avec la richesse publique, son mode d'action, ses effets, l'influence de la législation sur ses progrès, qu'il faut faire connaître à la portion intelligente du pays. C'est principalement dans les grands centres de populations que ces chaires pourront être utiles ; les chefs-lieux de facultés paraissent particulièrement propres à recevoir ce complément d'instruction.

Là, les auditeurs ne manqueront pas : outre les habitants qui pourront venir y puiser le goût de l'agriculture, les cours d'économie agricole seront suivis par les jeunes gens que d'autres études ont appelés. Parmi ces derniers, il s'en trouvera sans doute qui comprendront que l'industrie agricole mérite qu'on y applique son intelligence : soit qu'ils aillent chercher ensuite des connaissances plus approfondies dans un institut agronomique, soit qu'ils se livrent immédiatement à l'exploitation de leur domaine, ils concourront aux progrès de l'agriculture.

Si nous avons mentionné les chefs-lieux de facultés pour y établir des cours d'économie agricole, c'est une indication de lieu seulement que nous avons entendu donner. Il va sans dire que la direction de ces cours, le soin d'en arrêter le programme, le droit de nommer les professeurs, tout ce qui les concerne enfin, doit rester dans les attributions du ministère de l'agriculture et du commerce. Mais ce département ministériel résume en lui tous les grands intérêts, quelquefois opposés, qui concourent à former la fortune publique, et son administration est partagée entre plusieurs directions. Il est par conséquent nécessaire aussi que ce qui se rattache à l'enseignement agricole soit soumis à l'examen et à la décision du ministre sur le travail de la direction de l'agriculture.

Tout en insistant sur l'utilité des cours d'économie agricole, votre Commission sait qu'ils ne peuvent valoir qu'en raison des hommes qui en seront chargés. Cela est vrai pour toute espèce d'enseignement, et plus vrai encore pour une science si peu connue, et qu'il faut créer pour ainsi dire en la professant. Aussi ne demandons-nous pas que toutes les chaires soient immédiatement fondées : nous savons au contraire qu'il faut procéder successivement si l'on veut agir avec prudence, et que l'enseignement n'est utile qu'autant que le professeur offre des garanties de capacité. L'administration, au reste, paraît pénétrée de cette vérité ; le ministre de l'agriculture et du commerce a pris le 31 décembre 1844 un arrêté qui prescrit l'obtention d'un diplôme de capacité agricole pour être apte à remplir les fonctions de professeur. Un règlement du 21 juillet 1845 fixe les conditions des concours à la suite desquels ces diplômes sont délivrés. Récemment, des examens ont eu lieu dans ce but à Grignon, à Grandjouan et à la Saulsaye.

L'enseignement agricole proprement dit devait être ensuite l'objet de notre examen. Il nous paraît de deux natures, et deux sortes d'établissements doivent y pourvoir. Il faut, en effet, former des praticiens éclairés qui se placent à la tête de l'industrie agricole, et des chefs ouvriers, des contre-maîtres, des bras intelligents enfin. Nous appellerons instituts les établissements de premier ordre, fermes-écoles les seconds.

Dans les instituts, l'instruction théorique devra être complète ; les élèves y devront être initiés aussi à toutes les pratiques de la culture comme au maniement des instruments. On y formera des régisseurs et des industriels qui embrasseront pour leur compte, soit comme propriétaires, soit comme fermiers, la carrière de l'agriculture. Les instituts auront aussi pour mission de fournir des recrues au professorat. Aujourd'hui il n'est pas besoin qu'ils soient nombreux, car notre agriculture est encore trop peu avancée pour offrir des emplois à un grand nombre de sujets ; plus tard, il faudra suivre les besoins de l'industrie agricole. Pour le présent, il suffit de répartir quelques instituts sur le territoire en raison des diverses natures de culture : Grignon répond aux besoins des cultures du nord ; Grandjouan, dans l'ouest, a eu pour objet principal de montrer le parti qu'on peut tirer du défrichement des landes ; à l'est, la Saulsaye propage surtout la culture à substituer aux terrains inondés. Il nous paraîtrait utile de fonder un nouvel institut dans le midi pour les cultures spéciales qui ne se pratiquent que dans cette région. Les contrées centrales, destinées par la nature à l'élevage du bétail, offrent également un intérêt qui mérite qu'on y forme un cinquième établissement.

Sans doute l'enseignement ne devra pas être identiquement le même dans les divers instituts, puisque les élèves qui en sortiront pourront avoir des destinations diverses ; mais il faut qu'il soit également complet dans tous, et que son organisation repose sur des bases uniformes.

Pour compléter les enseignements donnés dans les instituts, il paraîtrait éminemment utile à votre Commission que les jeunes gens qui en sortent pussent, avant de recevoir un emploi, faire un stage, soit chez un propriétaire, soit dans un établissement ; cela se pratique ainsi en Allemagne, et les effets en sont excellents. Aux connaissances théoriques et pratiques qu'ils ont reçues les élèves peuvent joindre par le stage l'expérience de la bonne administration d'un domaine, science qui ne s'acquiert bien qu'en mettant la main à l'œuvre. S'ils se destinent au professorat, il est bon aussi qu'ils y préludent par des essais. Pendant le stage, les vocations se dessinent, et lorsqu'il s'agit de conférer un emploi, le sujet auquel on le confie présente des garanties plus sérieuses.

Votre Commission ne se dissimule aucune des difficultés de l'organisation du stage ; mais elle trouve là le germe d'une idée tout à fait utile, et pense que vous ne devez pas hésiter à en recommander l'étude au gouvernement.

Si les instituts doivent être peu nombreux, les fermes-écoles ne sauraient être trop multipliées ; et jusqu'à ce qu'on en compte une par département, il n'y a que la pénurie du personnel pour l'enseignement ou le défaut d'établissement qui puisse retarder leur création. Nous l'avons dit plusieurs fois : les bras intelligents manquent à l'agriculture, et dans cette carrière il n'y a pas de trop plein à craindre.

Un projet d'organisation d'une ferme-école par département a été remis à votre Commission ; nous n'entrerons pas dans son examen détaillé : car le conseil a pour mission de poser des principes généraux, d'indiquer au gouvernement les vues d'ensemble qu'il croit bonnes ; l'exécution et les détails qu'elle comporte sont exclusivement dans le domaine de l'administration. Nous nous bornerons à vous dire que les deux idées principales de ce projet sont celles-ci : attirer les élèves aux écoles par l'appât d'un pécule qu'on leur remet à leur sortie, et qui représente le prix de leur temps ; faire un choix, par la voie du concours, entre les meilleurs élèves des écoles primaires. Ces deux idées ne sont pas méconnues dans la pratique actuelle de l'administration. On nous a assuré que le recrutement des écoles se faisait aisément. Toutes les fois même qu'une école s'est distinguée en formant de bons sujets, il y a encombrement pour remplir les vacances ; dès lors le concours est le mode rationnel d'admission. Quant au pécule, il existe déjà dans plusieurs écoles ; seulement, au lieu d'être le même pour tous les élèves, on forme un fonds commun, et la part de chacun est réglé en raison de son zèle et de sa bonne conduite ; le pécule devient ainsi un puissant moyen d'émulation.

Nous l'avons déjà dit, mais on ne saurait trop insister sur ce point : il importe de ne pas laisser sortir les fermes-écoles de la sphère dans laquelle nous voulons les renfermer. Tout établissement intermédiaire entre l'institut et la ferme-école doit être proscrit, toute dénomination qui pourrait y conduire doit être soigneusement évitée : ces établissements mixtes, insuffisants pour l'instruction du degré supérieur, détourneraient les élèves des emplois plus modestes de contre-maîtres, auxquels surtout il faut pourvoir. Les intelligences d'élite qui se feraient reconnaître dans les fermes-écoles ne seraient pas condamnées pour cela à des emplois subalternes. Dans un temps comme le nôtre, personne ne peut avoir une pareille pensée. Les instituts leur seront ouverts ; l'administration n'aura bas besoin du vœu que nous exprimons pour leur en faciliter l'entrée : elle s'empressera de leur accorder des bourses, et de leur procurer ainsi le moyen de compléter leur instruction dans des établissements plus complets.

Aujourd'hui les établissements auxquels sont annexés tes instituts ou les fermes-écoles sont la propriété des particuliers, des associations ou des départements qui les ont créés Cette marche nous paraît bonne à suivre pour l'avenir. L’État, à moins qu'il n'y ait pas d'autre moyen de fonder un établissement d'une nécessité incontestable, doit rester étranger aux chances de la culture, qui ne peut jamais être mieux conduite que lorsqu'elle se fait aux risques et périls du directeur. Ainsi ce ne sont pas les entreprises industrielles qu'il faut subventionner, ce sont les écoles d'agriculture.

L’État doit en supporter les frais matériels, en rétribuer les professeurs, y fonder des bourses : car, dans la situation actuelle de l'enseignement agricole, il nous paraît indispensable que le gouvernement en prenne la direction ; c'est le seul moyen qu'il s'établisse en France et qu'il y soit fondé sur des bases uniformes. Nous ne savons pas ce que demandera l'avenir ; mais aujourd'hui nous disons que, pour prix des subventions qu'il accorde, le ministre de l'agriculture et du commerce doit veiller au choix des maîtres, déterminer les cours, en régler le programme. Que le gouvernement demande aux chambres les ressources nécessaires pour que son concours, largement accordé, puisse devenir efficace, et cette haute initiative que, dans l'intérêt des progrès de l'agriculture, nous souhaitons qu'il s'attribue, lui sera facile à prendre.

D'autres établissements dont il nous reste à parler pourront puissamment concourir avec les fermes-écoles à créer ces ouvriers habiles dont le besoin est si généralement senti : ainsi les pénitenciers de jeunes détenus, les colonies agricoles, les asyles d'orphelins ou d'enfants trouvés, si utiles au point de vue de la moralité publique, sont destinés aussi à recevoir des écoles.

Plusieurs de ces établissements prennent déjà leur part dans le budget de l'agriculture ; d'autres, qui sont en plein exercice ou qui ne tarderont pas à être ouverts, réclameront le même concours. Il ne peut pas être question de toucher aux règles qui les placent sous la surveillance du ministre de l'intérieur ; mais toutes les fois que le département de l'agriculture et du commerce y subventionnera l'enseignement, il devra être appelé à en régler les conditions.

Votre Commission est unanime pour penser qu'il doit en être ainsi, si l'on veut, là aussi, marcher vers un but unique et procéder dans des vues d'ensemble.

Au point de vue qui nous occupe, le développement de quelques uns de ces établissements charitables nous paraît surtout devoir former une pépinière de bons jardiniers, et chacun sait combien il est difficile de s'en procurer dans nos campagnes. Les bras que ces asyles réunissent sont à la fois faibles et nombreux, en égard à l'étendue du terrain qu'ils sont appelés à cultiver : l'agriculture proprement dite y sera avantageusement et presque nécessairement remplacée par l'horticulture. Cet avenir nous paraît mériter d'être pris en considération dans l'organisation de leur enseignement.

La Commission, après cet examen des développements que réclame l'enseignement agricole proprement dit, s'est occupée des moyens de propager dans les masses, et surtout parmi les habitants des campagnes, des notions générales d'agriculture.

Elle ne s'est pas arrêtée à la pensée de faire entrer l'enseignement de l'agriculture dans les établissements d'instruction secondaire ; les cours qu'elle demande dans les chefs-lieux de facultés lui semblent de nature à mieux atteindre son but : c'est en les suivant, quand ils sortiront du collège, que les jeunes gens voués à l'éducation libérale iront s'initier à la science agricole.

Mais une discussion s'est ouverte sur une mesure souvent proposée et à laquelle de bons esprits attribuent une certaine influence, à savoir, la création de cours d'agriculture dans les écoles normales primaires. L'utilité de cette mesure a été contestée ; on a fait remarquer que, l'enseignement dans les écoles normales primaires ne pouvant pas sortir des mains du ministre de l'instruction publique, il était à craindre que l'exécution de ce vœu ne fût entravée par les dispositions peu favorables de la plupart des recteurs à cet égard. Les jeunes élèves-maîtres, a-t-on dit, n'auront pas le temps de se livrer à cette nouvelle branche d'études ; ils seront d'autant moins portés à le faire, que leur travail à cet égard ne pourra leur être compté lors des examens qui règlent le classement de fin d'année. Les leçons, d'ailleurs, qu'aucune pratique ne pourra accompagner, seront-elles vraiment utiles ? Les élèves-maîtres ne pourront y puiser que des notions théoriques fort incomplètes, quelquefois peut-être erronées, et qu'ils ne pourraient. en tout cas, reporter utilement aux enfants qui fréquentent les écoles. On ajoutait qu'il serait préférable de leur donner des notions générales des sciences appliquées.

La majorité de la Commission ne s'est pas laissée ébranler par ces objections, car elles n'étaient pas de nature à la détourner du but qu'elle croit possible d'atteindre. Elle pense qu'il sera souvent facile et toujours utile de donner aux élèves-maîtres des écoles normales primaires quelques notions générales sur l'agriculture, sans qu'il soit besoin pour cela d'y joindre la pratique. Elle ne s'exagère pas l'importance d'un pareil moyen ; elle ne dit pas qu'on puisse songer à faire donner par les instituteurs des leçons d'agriculture à leurs jeunes enfants ; mais elle croit qu'il est bon que des hommes qui sont appelés à vivre au milieu des habitants de la campagne puissent leur dire ce qu'ils ont à gagner en renonçant à leurs vieilles routines, et leur apprendre qu'en cultivant des plantes fourragères ils accroîtront leur bétail, et par leurs engrais les produits de leurs champs ; qui puissent leur faire savoir qu'il y a de meilleures méthodes de culture que les leurs, des instruments plus parfaits que ceux dont ils font usage. Ainsi entendu, et avec ce commentaire, votre Commission n'hésite pas à vous proposer d'émettre le vœu qu'il soit donné aux élèves-maîtres des écoles normales primaires des notions générales d'agriculture et d'horticulture.

Nous terminerons cet exposé des travaux de votre Commission par l'indication de quelques rapports qui seraient utilement établis entre les écoles d'agriculture et les écoles spéciales qui dépendent du même département ministériel.

Déjà, par un arrêté du 10 novembre 1844, auquel nous ne saurions trop applaudir, M. le ministre de l'agriculture et du commerce a décidé qu'aucun candidat ne serait admis à l'école des haras s'il ne justifiait avoir passé un an au moins dans une école d'agriculture.

Pourquoi n'encouragerait-on pas, soit en leur accordant des titres aux bourses, soit par des modifications dans les programmes d'examen, les jeunes gens qui auraient subi honorablement leurs épreuves dans les écoles d'agriculture avant de se présenter aux écoles vétérinaires ? Les vétérinaires sont en rapport journalier avec les hommes qui se livrent à la culture du sol ; plus que personne, ils peuvent concourir à les éclairer ; votre Commission pense qu'on ne doit rien négliger de ce qui peut les familiariser avec les connaissances agricoles.

Elle considérerait aussi comme un encouragement utile qu'une partie des agents secondaires de l'administration des forêts fussent choisis parmi les élèves des fermes-écoles.

Nous voici au terme de notre tâche ; nous en avons trop bien apprécié les difficultés pour ne pas savoir que notre travail laisse beaucoup à désirer. Organiser d'une façon complète l'enseignement agricole en France ne peut être que l'œuvre du temps, et, quant à nous, notre ambition serait satisfaite si nos propositions renfermaient des idées utiles ; c'est à vous d'en juger, Messieurs.

En traitant de l'enseignement, il n'est pas permis d'oublier que les bons exemples sont toujours d'excellentes leçons, et qu'en agriculture il appartient surtout aux propriétaires de les donner ; leur séjour à la campagne exercerait une bien heureuse influence sur ses progrès, car ils ne tarderaient pas à lui apporter le tribut de leur intelligence et de leurs capitaux. Tout ce qui dans nos lois, et c'est par cette réflexion que nous finissons, aura pour but d'encourager cette tendance, en exerçant les plus heureux effets sur l'agriculture, concourra donc puissamment à accroître la prospérité publique.

Il ne nous reste plus, Messieurs, qu'à résumer sous la forme de vœux les propositions dont nous avons développé les motifs. Nous devons espérer d'autant plus les voir accueillir par le gouvernement, si vous les sanctionnez par votre vote, qu'il est juste de reconnaître que, sur la plupart des points, il est entré déjà dans les vues que nous indiquons.

Votre Commission vous propose la résolution suivante :

« Le Conseil général de l'agriculture émet le vœu que, pour compléter l'œuvre qu'il a commencée, le gouvernement prenne en considération les idées suivantes, et qu'il adopte les mesures nécessaires pour les réaliser.

1° Favoriser la tendance de la science à s'occuper de l'agriculture. A cet effet, administrer expérimentalement les établissements que l'Etat possède : vacheries, bergeries, haras. Si ces moyens sont insuffisants, créer près de Paris une ferme spécialement destinée aux essais scientifiques.

Publier annuellement les résultats obtenus.

2° Créer, sous la direction du ministre de l'agriculture et du commerce, des chaires d'économie politique appliquée à l'agriculture, dans les principaux centres de population, et notamment dans les villes où sont établies des facultés.

3° Donner, dans des instituts agronomiques peu nombreux et répartis sur le territoire en raison des diverses natures de culture, une instruction théorique développée, et des connaissances pratiques étendues.

4° Organiser, s'il est possible, pour les élèves, à leur sortie de ces instituts, un stage, soit chez des propriétaires, soit dans un établissement, et les soumettre à ce stage avant de leur confier un emploi.

5° Créer de nombreuses fermes-écoles destinées à former des maîtres-valets, véritables contre-maîtres de l'industrie agricole, en aussi grand nombre que le réclament les besoins du pays ; ces établissements seraient consacrés principalement aux études pratiques et aux travaux manuels.

6° Subventionner les instituts et les fermes-écoles, en se chargeant des frais matériels et du traitement des professeurs, et en y fondant des bourses.

Organiser l'enseignement dans ces établissements sur des bases uniformes.

Subventionner également les écoles d'agriculture annexées aux établissements qui sous divers titres, colonies, asyles, pénitenciers, sont placés sous la surveillance du ministre de l'intérieur; mais alors réserver au département de l'agriculture et du commerce, pour ces écoles comme pour les précédentes, la direction de l'enseignement ; ne pas perdre de vue, dans son organisation, que plusieurs de ces établissements paraissent propres à la pratique de l'horticulture plus encore qu'à l'agriculture proprement dite.

8° Donner aux élèves, dans les écoles normales primaires, des notions générales d'agriculture et d'horticulture.

9° Accorder quelques avantages aux élèves des écoles d'agriculture qui se présentent à l'école des haras ou bien aux écoles vétérinaires ; donner des connaissances agricoles aux élèves de ces établissements ».

NOTA. Ces diverses propositions, après avoir été successivement discutées, ont été adoptées avec les modifications suivantes : A l'art. 1er, les mots: si ces moyens sont insuffisants ont été supprimés.

A l'art. 2, aux mots : des chaires d'économie politique appliquée à l'agriculture, le Conseil général a substitué ceux-ci : des chaires d'économie agricole.

Enfin, à l'art. 8, après ces mots: donner aux élèves dans les écoles normales primaires, le Conseil général a ajouté ceux-ci : et dans les écoles primaires supérieures.

Annales des haras et de l'agriculture 1846 (T2), p. 207-225.

Version corrigée

« Le Conseil général de l'agriculture émet le vœu que, pour compléter l'œuvre qu'il a commencée, le gouvernement prenne en considération les idées suivantes, et qu'il adopte les mesures nécessaires pour les réaliser.

1° Favoriser la tendance de la science à s'occuper de l'agriculture. A cet effet, administrer expérimentalement les établissements que l'Etat possède : vacheries, bergeries, haras. Créer près de Paris une ferme spécialement destinée aux essais scientifiques.

Publier annuellement les résultats obtenus.

2° Créer, sous la direction du ministre de l'agriculture et du commerce, des chaires d'économie agricole, dans les principaux centres de population, et notamment dans les villes où sont établies des facultés.

3° Donner, dans des instituts agronomiques peu nombreux et répartis sur le territoire en raison des diverses natures de culture, une instruction théorique développée, et des connaissances pratiques étendues.

4° Organiser, s'il est possible, pour les élèves, à leur sortie de ces instituts, un stage, soit chez des propriétaires, soit dans un établissement, et les soumettre à ce stage avant de leur confier un emploi.

5° Créer de nombreuses fermes-écoles destinées à former des maîtres-valets, véritables contre-maîtres de l'industrie agricole, en aussi grand nombre que le réclament les besoins du pays ; ces établissements seraient consacrés principalement aux études pratiques et aux travaux manuels.

6° Subventionner les instituts et les fermes-écoles, en se chargeant des frais matériels et du traitement des professeurs, et en y fondant des bourses.

Organiser l'enseignement dans ces établissements sur des bases uniformes.

Subventionner également les écoles d'agriculture annexées aux établissements qui sous divers titres, colonies, asyles, pénitenciers, sont placés sous la surveillance du ministre de l'intérieur; mais alors réserver au département de l'agriculture et du commerce, pour ces écoles comme pour les précédentes, la direction de l'enseignement ; ne pas perdre de vue, dans son organisation, que plusieurs de ces établissements paraissent propres à la pratique de l'horticulture plus encore qu'à l'agriculture proprement dite.

8° Donner aux élèves, dans les écoles normales primaires et dans les écoles primaires supérieures, des notions générales d'agriculture et d'horticulture.

9° Accorder quelques avantages aux élèves des écoles d'agriculture qui se présentent à l'école des haras ou bien aux écoles vétérinaires ; donner des connaissances agricoles aux élèves de ces établissements ».

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