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L'école des paysans

Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire

18 Février 2017 , Rédigé par Michel Boulet Publié dans #Histoire de l'école des paysans

I - Les débuts de l'enseignement supérieur

C’est l’appui du Secrétaire d’État à l'agriculture, le comte Henri Léonard Bertin qui permet à Claude Bourgelat de créer à Lyon, en 1761, la première école vétérinaire et d’établir la seconde à Alfort en 1765. Le 16 août 1782, déjà, une décision ministérielle avait créé à l’École Vétérinaire d’Alfort une chaire d’”Économie Rurale” contre l’avis des vétérinaires traditionnels. Le titulaire en était Daubenton qui refusait de reconnaître la liaison entre élevage et agronomie, la chaire disposait de nombreux moyens, basse-cour, volière, bergeries, étables, porcheries, chenil. Puis, une ferme de près de 200 hectares fut annexée à la chaire, afin de servir à la formation des élèves, et de permettre des expériences à l’initiative de la société d’Agriculture. L'exploitation est dirigée par Victor Yvart, futur titulaire de la chaire. Par décret de la Convention du 18 avril 1795, les écoles vétérinaires furent dénommées Écoles d’Économie Rurale Vétérinaire.

En 1802, François de Neufchâteau ancien ministre de l'Intérieur, propose d’assurer l’enseignement de l’agriculture aux trois niveaux de l’institution scolaire ; pour l’enseignement supérieur, il invite à créer des chaires d’agriculture et d’économie rurale dans les universités, et à fonder trois écoles spéciales, « sur les trois espèces de sols qui se partagent le territoire de la République ».

Il précise la conception de l’enseignement agricole issue du mouvement des Agronomes : la formation professionnelle doit bénéficier aux grands propriétaires et aux riches fermiers. « C’est la classe des propriétaires et des fermiers aisés à laquelle il importe donc, pour les progrès de l’art, de donner les lumières et le goût de l’Agriculture. Les chaires d'Économie Rurale sont donc le premier et le plus nécessaire des encouragements à solliciter du gouvernement ; et il convient que l’établissement de ces chaires précède celui des fermes d’expérience, comme en médecine les écoles de théorie ont précédé les établissements de professeurs de clinique ».

Le projet repose sur une conception qui va être dominante durant des décennies : pour le petit agriculteur il suffit d’un apprentissage gestuel et de quelques « recettes ». La formation agricole de haut niveau doit être réservée aux grands exploitants et elle doit être essentiellement théorique. C'est par l’exemple de ces riches agriculteurs que l’ensemble de l’agriculture évoluera. Pour les premiers, il suffit donc d’une « teinture » agricole donnée par l’enseignement primaire ; pour les seconds il faut créer un véritable enseignement spécialisé.

François de Neufchâteau estime que, grâce à ce projet, la production agricole sera multiplié par deux et pourra assurer la nourriture de 60 millions de personnes. Cependant, le plan n’est pas accepté par les dirigeants politiques. Bien que ces projets ne soient pas mis en œuvre par l’État, ils influencent les réalisations qui vont voir le jour au début du XIXe siècle.

Créé avant la Révolution, l’enseignement vétérinaire est l’enseignement supérieur d’État qui peut assurer la formation d’un certain nombre de spécialistes pour l’agriculture. En 1806, la chaire d’économie rurale de l'École vétérinaire d'Alfort est réorganisée, son programme modifié :

« Le cours comprendra des notions élémentaires de botanique économique et de physique végétale appliquées à l’Agriculture, la théorie des engrais, celle des assolements, des irrigations, des défrichements et du dessèchement, l’art des constructions rurales, la construction et l’emploi des instruments aratoires, l’éducation des bestiaux et autres animaux domestiques, l’emploi des produits de l’agriculture, l’arpentage, les prairies naturelles et artificielles, les plantations et la culture des arbres, la tenue des registres ruraux, les principes du code rural et en général toutes les connaissances d'Économie Rurale qui ne sont pas déjà spécialement enseignées à l’École. Le cours durera une année. Les élèves seront tenus de suivre et d’aider le professeur dans tous les travaux de la terre relatifs à ses démonstrations ».

Le programme couvre l’ensemble des connaissances utiles à l’agriculture. Ceci explique que la chaire soit couramment appelé « École d’Agriculture » et qu’elle fonctionne pratiquement comme un établissement annexé à l’École vétérinaire. Elle admet d’ailleurs des élèves agriculteurs, soumis à la même discipline que les élèves vétérinaires mais logés séparément. Ces élèves paient leur études, mais il y a six élèves boursiers de la Société d'Encouragement pour l’Industrie Nationale et deux de la Société Impériale d’Agriculture.

Par décret de 1813, l’enseignement de la chaire est intégré à l’enseignement de l’École vétérinaire, mais celle-ci continue à recruter également des élèves uniquement pour les cours de la chaire. Ces élèves sont « des hommes assez jeunes, fils de fermiers ou de propriétaires, ayant satisfait aux lois sur la conscription, sachant bien lire et écrire et ayant une teinture de la culture des terres, appelés à se consacrer, par la suite, entièrement à la profession ». La fin des études est sanctionnée par un brevet d’agriculture. Cette formation cesse en 1830, et la chaire est supprimée ; une véritable école d'agriculture a, entre-temps, été créée à Grignon en 1826, ce qui explique certainement cette disparition. Pourtant, en 1836, le Conseil général de l'agriculture émet le vœu que soit créée dans chaque école vétérinaire une chaire d'agriculture, c'est chose faite à Alfort en 1838.

Par ailleurs, l’État pour former ses cadres a créé en 1823 l’École des Haras du Pin (Orne), en 1824, l’École Royale Forestière à Nancy qui est sous la tutelle du ministère des Finances, en 1825 l’École vétérinaire de Toulouse.

Les instituts agricoles

En quelques années, cinq établissements de formation de cadres pour l’agriculture vont voir le jour, sur des initiatives privées. Nous les situerons au niveau supérieur dans la mesure où ils forment des cadres

  • Roville

En 1818, en Lorraine, un agronome, Christophe - Joseph - Alexandre Mathieu de Dombasle, propose de créer une « ferme exemplaire », destinée à faire connaître les techniques nouvelles. Mathieu de Dombasle, grâce à l'argent recueilli par une souscription nationale, peut louer un domaine situé à Roville-devant-Bayon, dans le département de la Meurthe, à une trentaine de kilomètres de Nancy. Son ambitieux programme est le suivant : « L'établissement agricole de Roville est destiné à présenter aux propriétaires et aux cultivateurs le modèle d'une exploitation dirigée d'après de meilleurs principes que ceux qui servent de base à la culture générale du pays ; à leur donner l'exemple d'assolements raisonnés, de l'emploi d'instruments perfectionnés qui, tout en donnant à la terre des cultures plus parfaites, diminuent les frais de main-d'œuvre, en augmentant ainsi les produits nets du sol ; à leur faire connaître l'emploi, comme engrais, de la marne et autres substances propres à l'amendement des terres ; les bonnes méthodes de culture de prairies artificielles ainsi que d'autres pratiques qui tendent à augmenter et surtout à varier les produits du sol. En conséquence, M. de Dombasle s'engage à introduire dans l'exploitation du domaine de Roville toutes les améliorations dont il lui paraîtrait susceptible, ainsi qu'à faire toutes les expériences qui lui sembleront de la plus grande importance pour l'amélioration générale de l'agriculture du pays. »

Malgré les conditions difficiles, 150 hectares de terres de qualité médiocre et surtout en mauvais état, et des bâtiments mal adaptés, l’exploitation modèle connaît un vif succès, les visiteurs affluent dès son ouverture en 1822. Des jeunes gens participent aux travaux du domaine et se forment en observant, mais il convient d’aller plus loin en créant un Institut à côté de la ferme exemplaire.

Lorsqu'il ouvre en 1826, l'Institut accueille pour une période deux ans des jeunes gens qui doivent payer une somme assez élevée pour suivre l'enseignement et prendre pension à l'extérieur de l'institut. « Dans le courant de l’été dernier, dix-neuf élèves ont pris part à l’instruction agricole ; ce sont pour la plupart des fils de propriétaires aisés ou de jeunes gens qui sont envoyés par de grands propriétaires qui les destinent à diriger l’exploitation de leurs domaines ». Pour Dombasle, l’objectif de son établissement est de permettre aux élèves de réussir dans l’agriculture, c’est-à-dire de faire des profits. Il affirme, en effet, que « l’agriculture est une industrie qui a pour but le profit ».

Ainsi que le précise son fondateur, c'est un établissement « où l'on enseigne les théories d'agriculture au sein d'une exploitation rurale fonctionnant dans les conditions d'une ferme ordinaire ». Son enseignement, essentiellement oral, comprend un apport de connaissances théoriques, et l’observation de la mise en application de ces connaissances, ce qu’il appelle la « Pratique intellectuelle ».

Dombasle distingue en effet pratique manuelle et pratique intellectuelle. La première « consiste dans l'habileté que l'on acquiert par l'habitude dans l'exécution mécanique des diverses opérations. » Pour labourer, semer, manier la faux, lier les gerbes, « il faut une habitude que l'on ne peut acquérir que dans un assez long espace de temps ; et c'est là que se constitue la pratique manuelle des opérations de culture. » La seconde est « l'habitude de l'application des théories. » C'est par l'habitude que le cultivateur peut prévoir les effets de la culture de telle plante dans tel sol, en utilisant certaine succession de cultures, en employant telle méthode pour l'amélioration du bétail, pour son élevage, etc. C'est également par l'habitude que le chef d'exploitation apprend à diriger celle-ci, à organiser le travail, à vérifier la qualité du travail manuel des ouvriers, à gérer et administrer.

Lorsque le même homme « dirige les opérations et les exécute de ses mains, la pratique manuelle et la pratique intellectuelle sont réunies dans le même individu. Mais dans la moyenne et la grande culture, lorsque le maître dirige les travaux qu'il fait exécuter par des agents salariés, la pratique intellectuelle est la part du chef de l'exploitation, et la pratique manuelle est réservée aux hommes qui exécutent les ordres qui leur sont donnés. » Parmi les chefs d'exploitation, qu'ils soient propriétaires ou fermiers, il y a « d'habiles praticiens » qui ne réalisent jamais de leurs mains des travaux de culture. Et Dombasle résume sa pensée en une phrase : « le maître qui fera faire chez lui les meilleurs labours, sera celui qui saura le mieux diriger le travail de ses gens, et en aucune façon celui qui sera lui-même le plus habile laboureur. »

La méthode d'enseignement utilisée est celle de l'observation, puis de la répétition, elle apparaît dans le prolongement des méthodes anciennes d'apprentissage des métiers. Mais il s'agit de rationaliser et de rendre plus efficace cet apprentissage, ainsi que le souligne, lui-même, Mathieu de Dombasle dans de nombreux textes. Dans l'Institut agricole, « on peut, avec une organisation convenable des études, mettre les élèves à portée de comprendre les rapports de la théorie avec la pratique, en leur faisant connaître les motifs qui ont déterminé à exécuter telle opération, ou à le faire de telle manière, et en leur en faisant observer les effets. [...] C'est là ce que l'on peut appeler la clinique de l'agriculture ». Dombasle pense, en effet, que, tout comme pour former des médecins, il est essentiel d'insister sur l'importance et les difficultés de l'application des théories dans la pratique agricole.

L’objectif est de former des dirigeants d’exploitation, et les conceptions ainsi transmises peuvent être résumées en ces termes : « Les élèves constatent l’unité dans le pouvoir et dans la responsabilité. Ils voient que chacun n’a d’ordre à recevoir que d’un seul, et que, pour chaque opération, la responsabilité de l’exécution des ordres repose sur un seul. La nécessité leur apparaît d’une direction centrale énergique, qui fasse concourir tous les efforts vers un but commun. Ils apprennent combien est déplacée la dureté dans le commandement, et comment un chef, doué de fermeté de caractère, obtient le maximum par la douceur et l’indulgence. Alors les opérations semblent marcher, en quelque sorte d’elles-mêmes, sans conflit d’autorité parce que chacun sait nettement à qui il doit commander, à qui il doit obéir ».

Mathieu de Dombasle se retrouve en situation difficile en 1828, époque du remboursement partiel des actions souscrites à la création de Roville. le gouvernement de Louis-Philippe lui accorde une aide financière en février 1831. Les années suivantes, il assure le paiement des professeurs de l’institut dont l’enseignement devient ainsi gratuit.

En 20 ans, Roville a formé environ 300 élèves qui vont diffuser les conceptions d’une agriculture moderne conçue comme devant utiliser les sciences physiques et naturelles. Parmi les élèves de Roville se retrouve toute une génération d'agronomes. La diffusion de plus de 6 000 charrues et gros instruments a participé à l’évolution des techniques de travail dans les grandes exploitations. Par ailleurs, les Annales de Roville ont répandu « une connaissance plus exacte des lois des assolements et des amendements, des soins plus intelligents donnés à la nourriture et à l’élève du bétail ainsi qu’à l’amélioration des races, les règles et le modèle d’une comptabilité rigoureuse appliquée aux opérations de l’agriculture ». L’impact de ce seul établissement est donc certain, pourtant le gouvernement n’a pas voulu prendre en charge Roville et a refusé d’étendre l’expérience. Ceci n’a rien d’étonnant puisqu’au début du siècle, dirigeants du pays, comme économistes, considèrent que l’agriculture n’a pas une influence primordiale dans le développement national.

  • Grignon

Ce sont Auguste Bella et Antoine-Rémi Polonceau qui sont à l'origine de la création de Grignon. Ils rendent visite, en 1825, à Mathieu de Dombasle afin d'étudier ses réalisations.

Les deux amis veulent créer un institut comparable à celui de Roville, dans la région parisienne. Polonceau qui est ingénieur en chef du département de Seine et Oise, souhaite créer une association pour démontrer la possibilité, avec des capitaux assez importants, de transformer rapidement un domaine aux terres médiocres en exploitation modèle en utilisant les méthodes culturales les plus perfectionnées. Il veut, en outre, organiser sur le domaine un enseignement scientifique et pratique de l’agriculture.

Bella est, lui aussi, partisan d’une agriculture utilisant un volume important de capitaux, permettant une amélioration rapide de la productivité des terres, alors que Dombasle, compte tenu de ses moyens limités, insiste, lui, sur la lenteur des améliorations possibles.

« Il importait qu'un tel établissement fût à une distance de Paris qui permît des relations fréquentes avec les sources d'instruction qui y abondent, et pour qu'il pût être visité facilement par les hommes instruits, par les amateurs et par les propriétaires éclairés qui habitent la capitale, ou s'y rendent de toutes les parties du royaume; mais il fallait aussi qu'il en fût assez éloigné pour ne pas être compris dans la culture particulière et toute spéciale des environs de Paris, et pour éviter l'affluence des visites de pure curiosité. »

C’est l’agriculture des grandes exploitations modernes, à capital important, qui est ici concernée, et Polonceau obtient l’appui d'agriculteurs de la région parisienne, ainsi que celle de Charles X lui-même qui, le 24 juin 1826, acquiert le domaine de Grignon.

Bella décide d'entreprendre un voyage agronomique en Allemagne afin de trouver le modèle d'établissement idéal : « L'Allemagne abondait de ces établissements qui manquaient à notre patrie. Les princes et les particuliers réunissaient leurs efforts pour offrir aux cultivateurs des exemples de perfectionnement agricoles, à la jeunesse une nouvelle source d'activité et de richesse, et aux classes pauvres une instruction solide et une éducation morale. »

Le 23 mai 1827, le Roi signe l’ordonnance « portant autorisation sous la dénomination d’institution royale agronomique de la société anonyme fondée à Paris dans le but de convertir le domaine de Grignon en ferme-modèle' Celle-ci doit, durant le bail, réaliser pour 300 000 francs d’améliorations foncières, appliquer une « culture perfectionnée et instructive » et enfin « organiser un enseignement scientifique et pratique de l’agriculture ». Le domaine a 467 hectares dont 291 clos de murs, et les conditions du bail sont extrêmement favorables.

La société de 70 actionnaires décide de souscrire un capital de 600 000 francs, sous forme de 500 actions de 1200 F., pour faire fonctionner l’école et l’exploitation agricole.

La première partie du capital est souscrite immédiatement, la deuxième ne pouvant être encaissée qu'après accord du gouvernement, au vu des résultats obtenus. Cette autorisation fut donnée à la fin de 1830, mais la situation politique et économique ne permit d'y donner suite qu'en 1832. Malgré l'aide du roi Louis-Philippe qui souscrivit 40 000 francs, le capital ne fut jamais complété, ce qui gêna l'organisation de l'enseignement.

La priorité est à la formation de niveau élevé pour répondre aux besoins des grands propriétaires et exploitants. Les premiers élèves entrent en 1828, ils ne sont que 5, payant une pension de 100 francs par mois. Alors que les candidats deviennent plus nombreux, un premier programme est publié en 1831. Le fonctionnement ne devient normal qu’à partir de 1832 avec des études d’une durée de deux ans pour des élèves internes de plus de 15 ans et des élèves libres de plus de 20 ans, l'entrée se faisant sans condition de connaissances. Les cours et études commencent à 6 heures en été et à 7 heures en hiver, l'après-midi du samedi et la matinée du lundi sont réservés à des « instructions pratiques ». Il y a trois ou quatre cours par semaine, consacrés à l'agriculture pratique et raisonnée, l'économie rurale, la comptabilité, la botanique, l'arboriculture fruitière et l'art vétérinaire.

En 1832, on augmente les « services de surveillance » assurés par les élèves, qui « sont employés dans la ferme comme des fils de fermier le seraient dans leur famille : l'un surveille les travaux, l'autre la vacherie, celui-ci la bergerie, celui-là la porcherie; la comptabilité, les services divers, les fabrications (féculerie, instruments) leur sont tour à tour confiées. »

C'est en 1828 que Bella décide de fonder son propre journal, les Annales de l'Institution royale agronomique de Grignon. Dix-huit livraisons paraissent entre 1828 et 1848, avec un nombre de pages très variable ; il s'agit essentiellement d'un journal d'école, expliquant les systèmes de culture et leurs résultats dans les années 1830, puis, dans les années 1840, se consacrant à l'aspect scolaire de l'institution.

Mais, deux problèmes freinent le développement de l’établissement. Les cours ne couvrent pas l’ensemble des domaines utiles à l’agriculture moderne que veut promouvoir Bella. Les prix élevés de la pension des internes (1 300 francs) et de l’enseignement pour les externes (1 500 francs) ne rendent « l’école accessible qu’à un très petit nombre de sujets ». La Société, qui ne peut accroître le nombre de cours et diminuer les frais de pension et d'étude, s'adresse donc à l'État, et lui demande de prendre à sa charge les traitements des professeurs, de pourvoir à tous les frais de l'enseignement et d'entretenir un nombre suffisant d'élèves à Grignon par la création de bourses et de demi-bourses.

L'Administration oppose d'abord un refus à ces demandes, puis, devant les bons résultats obtenus, elle décide d'aider la Société agronomique en subventionnant l'Institut. Mais la Société refuse, prétendant qu'un établissement agricole subventionné s'écarterait des conditions normales dans lesquelles il doit fonctionner. L'Etat crée alors 3 bourses d'études de 1 000 francs, que Thiers en 1833 porte au nombre de 8.

En 1836, l'entrée à l'Ecole a lieu sans condition de niveau, généralement après 20 ans. La durée normale des études est de 2 ans mais un grand nombre d'élèves ne demeurent à Grignon que 6 mois à un an ; ils doivent, en effet, passer des examens pour être admis en deuxième année. L'enseignement est assuré par sept professeurs, dont Auguste Bella pour l'agriculture, sous forme de 12 à 14 cours par semaine, moitié aux nouveaux, moitié aux anciens. Seuls trois professeurs habitent Grignon, les autres viennent de Paris ou Versailles une fois par semaine. L'emploi du temps des élèves est le suivant : lever à 4 heures en été, 5 heures en hiver; coucher à 9 heures en été, 8 heures en hiver; premier déjeuner à 6 heures en été, 7 heures en hiver; deuxième déjeuner à 11 heures et dîner à 7 heures. Dans la matinée, études et cours; l'après-midi, cours et visites dans les champs.

Les élèves sont également chargés d'un service spécial, deux par deux durant une semaine. « Le premier des services était le service général, c'est-à-dire le service comprenant toutes les opérations de la ferme; les élèves qui assuraient ce service devaient assister au rapport du directeur par les chefs de culture et de main-d'œuvre, le matin à 4 ou 5 heures suivant les saisons, le soir à 8 ou 7 heures. Les chefs recevaient du directeur les ordres pour les travaux, et rendaient compte le soir de ce qui avaient été effectué dans la journée. D'autres services, aux chevaux, aux bœufs, à la vacherie, à la bergerie, etc...existaient également. [...]. Les élèves étaient admis à manœuvrer tous les instruments, à prendre part aux divers travaux de la ferme, à suivre les manipulations de la laiterie (fabrication du fromage de gruyère). »

C'est à cette époque que l'on songe à l'utilité d'un diplôme « constituant une récompense pour le jeune homme qui, par son zèle et son application, s'était fortement préparé à la pratique de son art ». En 1836, est créé le diplôme de l’École, il est délivré après soutenance d’un mémoire. Il s’agit pour l’élève de présenter « un plan raisonné et détaillé de culture » pour un domaine dont les enseignants lui ont fourni la description. L’élève a trois mois pour faire ce travail, « puis il expose ses idées, les discute devant ses condisciples et les professeurs ». Un petit nombre d'élèves seulement préparent et passent cette "thèse".

Bella qui assure l’enseignement, veut ainsi former « des ingénieurs agricoles, semblables à d’autres ingénieurs, sachant tracer le plan des systèmes de production et de culture qu’il est convenable d’établir dans des circonstances données et qui [peuvent] diriger l’exécution de ce plan jusque dans les moindre détails ».

Il ne s’agit donc pas de former des exploitants agricoles, comme le fait Mathieu de Dombasle, mais des ingénieurs, en s’inspirant de l’industrie. Le modèle de développement de l’agriculture est celui des grandes exploitations capitalistes allemands et anglaises : le propriétaire de la terre, ou le grand fermier, fait appel à un technicien hautement qualifié pour faire fonctionner l’exploitation agricole.

En 1837, le Ministre du Commerce et de l'Agriculture décide de prendre en charge les appointements des professeurs, qui touchaient annuellement 3 000 F., et les frais matériels d'instruction. Après avis du Conseil Général d'Agriculture, et négociation avec le Conseil d'Administration, un arrêté ministériel du 31 mars 1838 décide l'attribution d'une subvention annuelle de 33 000 francs. En contrepartie, le programme des études est modifié, la nomination des enseignants doit être approuvée par le Ministre, les prix des études et des pensions sont diminués. Enfin, l’institution s’engage à recevoir 100 élèves, « dont 15 en chambres, 50 au dortoir et 35 externes et à construire un dortoir et une salle d'études pour placer, indépendamment de ces cent élèves, 20 élèves de troisième année ». De plus, une somme de 25 000 F. est affectée annuellement au paiement de bourses et de demi-bourses. L'entrée a lieu à 18 ans, après un examen devant le directeur et les professeurs.

En 1837, il y a 80 élèves à Grignon. La subvention de l'État permet à l'établissement de devenir plus conforme au projet de départ, avec une programme d'enseignement appliqué plus régulièrement et un meilleur équilibre entre théorique et pratique. En 1841 ce sont neuf professeurs qui interviennent, assistés de deux répétiteurs. De 1828 à 1841, 37 élèves ont obtenu le diplôme de fin d'études, et en 1842 tous les élèves se présentent à l'épreuve terminale. A partir de 1843, l'importance de Grignon croît en raison de la disparition de Roville. A la rentrée de 1844, la durée des études est portée à trois ans, il y a alors 65 élèves, dont 30 boursiers.

La réussite de Grignon est due à l'appui et aux moyens qu'il reçoit de l'État et qui lui sont indispensables. L'expérience de Grignon conduit donc à affirmer que seul l’État peut assurer le fonctionnement d’un enseignement agricole véritable. Cependant il existe une importante difficulté : l’État, bien qu’ayant la charge de l’École n’en a pas la direction. De cette dualité de responsabilité « résulte une situation difficile pour la direction de l’école, fâcheuse pour l’autorité ministérielle, et préjudiciable aux progrès de l’enseignement comme maintien de la discipline ».

S'étant engagé dans le soutien de Grignon, en prenant en charge les salaires des enseignants, le Ministre crée, en 1844, un diplôme de capacité agricole indispensable pour être nommé professeur salarié de l'État. Les directeurs ne sont obligés de posséder ce diplôme que s'ils enseignent. Peuvent se présenter à l'examen, les élèves des instituts ayant terminé leurs études, et toute personne ayant obtenue du ministre l'autorisation de se présenter.

A la fin de cette première période, le bilan de Grignon est important, puisqu’en 1850, 700 élèves y sont passés, dont une centaine d’étrangers, et 140 ont obtenu le diplôme.

  • Grand-Jouan

C'est de la rencontre entre un propriétaire dynamique, Charles Haentjens, et un jeune agronome de talent, Jules Rieffel, que naît l'Institut agricole de l'Ouest à Grand-Jouan. Rieffel entre à l'Institut de Roville en 1827, et en sort premier de sa promotion deux ans plus tard.

En 1822, Charles Haentjens, négociant à Nantes, secrétaire de la section agricole de la Société académique de la ville, inventeur de plusieurs instruments aratoires, achète le domaine des "Landes de Grand-Jouan" situé près de Nozay en Loire-Inférieure. Il s'agit de terrains difficiles, les quatre cinquièmes des 500 hectares sont en friche, couverts de genêts, joncs, ronces et bruyères. Haentjens comprend qu'il ne peut conduire seul ce grand domaine. Il a besoin d'un collaborateur jeune et compétent, disposé à s'installer sur place, ce sera Jules Rieffel, alors âgé de 23 ans.

Pour trouver les capitaux nécessaires à la réalisation de son projet, Haentjens décide de créer une société avec Rieffel et quelques amis. Il s'agit d'une société de capitaux en commandite, avec appel public à l'épargne. L'objet de la société est de « fonder sur le domaine de Grand-Jouan [. . .] un établissement agricole exemplaire semblables à ceux existant à Roville, […] ».

Le projet, influencé par les réussites de la grande industrie qui a inventé la division du travail pour être plus efficace, est de créer un vaste complexe agro-industriel et l'enseignement doit y jouer un rôle important car il faut former un personnel d'encadrement. Comme le soulignera Rieffel à plusieurs reprises, « Il manque à l'agriculture française cette classe d'hommes précieux, placés à l'armée entre l'officier et le soldat; dans l'industrie manufacturière, entre l'ouvrier et le fabricant. Là, courageux sous-officiers, connaissant leur école de peloton; ici, contre-maîtres actifs et intelligents; tous habiles et forts dans leur partie. » Il s'agit, donc, dans l'agriculture de copier l'organisation du travail existant dans les manufactures

A la suite de plusieurs échanges et rachats de parts, l'entreprise est devenue familiale et, en 1837, la société est liquidée. La famille décide de diviser le domaine en quatre lots et Rieffel devient fermier des trois autres propriétaires en 1838.

En quelques années, Rieffel a défriché, aménagé en dessinant un nouveau parcellaire et en construisant des chemins, planté des haies et des arbres, amélioré la circulation des eaux, enfin, enrichi le sol par des labours profonds et des apports d'engrais.

Pour stabiliser la main-d'œuvre des journaliers, Rieffel leur fait construire des maisons et leur concède une parcelle pour faire un jardin potager, le tout pour un loyer fixe et l'obligation de ne pas aller travailler ailleurs sans permission. En 1840, il y a 164 habitants domiciliés à Grand-Jouan et vivant du produit de son sol. Puis Rieffel divise le domaine en 18 exploitations dont 16 métairies d'une surface moyenne de 22,75 ha, une exploitation de 3 ha attribuée à une famille d'ouvriers agricoles, et une exploitation de 77 ha qu'il exploite directement..

Jules Rieffel a donc réussi à créer un complexe agro-industriel où s'expérimentent de nouvelles techniques, de nouvelles cultures, des croisements de races animales, mais aussi de nouveaux rapports sociaux, allant du salariat au métayage, associant le capital, les connaissances techniques et le travail semi-indépendant. Il n'a pas pour autant délaisser l'autre objectif inscrit dans les statuts de la Société, l'enseignement, il s'agit du « projet d'établissement d'une ferme exemplaire, fabrique d'instruments aratoires perfectionnés et d'un institut agricole ».

Dès 1830, il organise sur le domaine une École primaire d’agriculture, ainsi qu’il la nomme. C’est un centre d’apprentissage pour « former des ouvriers capables, de véritables contremaîtres ayant des connaissances élémentaires sans doute, mais suffisantes pour mener à bien les travaux des champs ». Le 22 juin 1833, 18 jeunes de 15 à 20 ans, sur les 20 recrutés par les sous-préfets du département, arrivent à Grand-Jouan.

L’École primaire d’agriculture servira de modèle aux Fermes-Écoles qui se développeront ultérieurement. A la demande de Rieffel, l'établissement est transformé en ferme-école par un arrêté du 11 novembre 1847. La durée de l'apprentissage passe à quatre ans, le programme est défini nationalement, le recrutement se fait par concours, l'État verse 250 F. pour chacun des huit élèves reçus annuellement. L'école est ainsi consolidée.

Rieffel est également attaché à son projet de faire de Grand-Jouan un nouveau Roville en créant un Institut. Celui-ci est destiné à accueillir des jeunes ayant reçu une instruction primaire et dont les familles peuvent payer la pension, c'est-à-dire des fils de propriétaires et de riches fermiers. Il obtient, en 1838, l'accord du Ministre de l'Agriculture et du Commerce.

Mais, les réticences du préfet et du Conseil général, ralentissent le projet. Au cours de l'été 1841, le préfet et plusieurs élus départementaux visitent à nouveau Grand-Jouan et, ne comprenant toujours pas les conceptions de Rieffel, s'inquiètent de « l'absence de luxe » de l'établissement. La philosophie de Rieffel est claire et nous la retrouverons dans la conception des établissements mis en place en application du décret d'octobre 1848. Il s'agit d'assurer une formation professionnelle et de préparer l'insertion des jeunes dans la société rurale, en les isolant des dangers de la ville. Rieffel réaffirme également les valeurs traditionnelles attachées au travail des paysans, notamment la « simplicité » des conditions de vie et « l'impérieuse nécessité » d'un travail pénible.

Finalement le Ministre décide de verser, sur les fonds d'encouragement à l'agriculture pour 1840, la somme de 5 000 F. que le Conseil général refuse toujours de payer. Rieffel peut ouvrir provisoirement l'Institut avec 8 jeunes « ayant fini toutes leurs études littéraires » et les meilleurs apprentis de l'École primaire d'agriculture.

Devant le manque de moyens, Rieffel demande au Ministre de convertir l'établissement en Institut régional, l'État prenant à sa charge les traitements des professeurs, les frais d'enseignement et en assurant un certain nombre de bourses. Le Ministre, par arrêté du 9 mars 1842, procède, comme il l'avait fait en 1838 pour Grignon, à l'organisation de l'Institut qui prend le nom d'Institut Agricole de l'Ouest.

Le personnel d'enseignement se compose du directeur, de quatre professeurs, d'un maître irrigateur, d'un maître berger ; la durée des études est fixée à deux ans. Le ministère s'engage à payer le directeur et les enseignants, soit 11 700 F., les frais d'expérience et de collections, 3 000 F. et 24 bourses de 500 F., soit au total 26 700 F. L'arrêté prévoient diverses dispositions permettant d'éviter les inconvénients connus à Grignon. Elles ont pour but de permettre à l'administration un contrôle direct et efficace sur l'établissement. Ainsi, le programme des cours, le cadre de l'enseignement pratique et théorique, les règlements de discipline sont fixés par une annexe à l'arrêté. Il ne peut y avoir de changement qu'avec l'accord du ministère qui nomme aussi les enseignants. Le directeur doit rendre compte en permanence des travaux conduits sur l'exploitation et de leurs résultats, de la situation financière, de même que du fonctionnement de l'Institut.

Rieffel cultive le domaine à ses risques et périls, sans aucune subvention pour l'exploitation. De plus, il s'engage à ce que l'exploitation soit considérée comme modèle, assurant des revenus au moins égaux à ceux des domaines analogues de la région, sinon l'aide de l'Etat serait supprimée.

Le nombre d'élèves recrutés est de 30 en 1844 et de 35 en 1846, ils sont recrutés à partir de 17 ans, par un examen écrit et un oral, afin de vérifier leurs connaissances de base. La durée des études est de 3 ans, l'année scolaire commençant au 15 octobre et se terminant au 15 septembre.

L'enseignement est fortement orienté vers la pratique : maniement des outils et des attelages durant la première année, ''pratique raisonnée'', c'est-à-dire initiation à la prise de décision concernant l'exploitation, en deuxième année, ''pratique spéciale sur les animaux'', c'est-à-dire élevage et conduite des troupeaux, en troisième année. Les élèves ont également à leur disposition une ferme expérimentale de 21 ha, située au sein de la réserve du directeur, elle est orientée vers l'élevage du bétail de rente. L'un des élèves de deuxième ou troisième année est nommé régisseur de cette exploitation. Ses camarades de promotion assurent le suivi d'une des exploitations en métayage. Ils apprennent ainsi leur principale tâche de fils de propriétaire : diriger des métayers.

Soucieux de faire connaître ses réalisations, Rieffel, comme Mathieu de Dombasle à Roville et Bella à Grignon, fonde son propre journal : l'Agriculture de l'Ouest de la France. Cette revue trimestrielle est publiée sous sa direction entre 1839 et 1848, avec une interruption en 1841 et 1842. Le principal rédacteur de la revue est Rieffel lui-même. En 1848, le journal devient mensuel, mais seules les livraisons de janvier et février sont publiées, puis le journal disparaît.

Incontestablement, Rieffel a diffusé des idées nouvelles, rompant avec la conception d’un bouleversement rapide de l’agriculture française, et insistant sur les questions économiques. « Il a écrit, il a prouvé qu’il y avait une agriculture de transition à enseigner et pratiquer à Grandjouan. Il a posé résolument la question du produit net. Bref, il a considérablement, utilement, opportunément, élargi le champ de la science en y introduisant la notion de la valeur, la notion des milieux économiques, la notion des frais de production comparés aux résultats financiers ».

  • La Saulsaie

Césaire Enthelme Alexis Nivière, après des études de droit, décide d'exploiter la propriété de sa famille à Peyzieu dans l'Ain. Il semble avoir suivi une formation à l'école de Roville ou, tout au moins, avoir été influencé lui aussi par l'exemple de Mathieu de Dombasle. Il réalise des expériences agricoles dont il rend compte à la Société royale d'Agriculture de Lyon, soulevant des controverses par l'originalité de ses travaux. Une commission d'enquête désignée par la Société royale visite son exploitation, le 7 août 1838, et rend un rapport élogieux : « En définitive, nous restons persuadés que ce domaine peut passer aujourd'hui pour une ferme modèle très remarquable, où l'on peut se livrer à toutes espèces de cultures. [. . .] En somme, il y a un tel ensemble chez M. Nivière, qu'il pourrait maintenant établir dans sa ferme une école d'agriculture ; son éducation et son instruction théorique et pratique en agronomie peuvent en faire un directeur et un professeur très distingué. »

Ainsi reconnu, Nivière, avec l'appui du comte de Gasparin, alors Ministre par intérim de l'Agriculture, réalise un voyage agronomique en Allemagne de juillet à septembre 1839. Il devient, par arrêté du 28 mars 1840, le premier titulaire de la chaire d'enseignement public et gratuit d'agriculture instituée à Lyon.

En 1840, Césaire Nivière décide de s’installer dans l’Ain, sur le plateau de la Dombes, afin de mettre en valeur un territoire où l’agriculture connaît des difficultés particulières. La zone choisie est en effet couverte par de nombreux étangs artificiels, créant un climat insalubre.

La propriété de la Saulsaie comprend 1 100 hectares, avec 32 étangs. Lors de sa vente par lots, Nivière acquiert 340 hectares, entourant l’habitation principale, et passe accord avec les propriétaires des 760 hectares restant pour qu’ils assèchent leurs étangs. Son projet, qu'il expose à l'occasion du Congrès scientifique de France, tenu à Lyon en septembre 1841, est de montrer l'intérêt économique de la grande exploitation agricole.

Pour autant Nivière ne souhaite pas la disparition des petites exploitations et il expose sa conception du développement de l'agriculture: « Que l'on se garde de penser que ce soit l'extension de la grande propriété aux dépens de la petite qui importe à la prospérité de la France : cette prospérité sera toujours le résultat du maintien d'un juste équilibre entre le développement de l'une et de l'autre. [. . . ] Mais cet équilibre, [. . .], ne commencera à s'établir que le jour où les grandes terres de la France auront adopté les fourrages pérennes, pâturés ou fauchés, comme base de leur culture céréale. Dans ce système, la production de grains plus que doublée, grâce à des engrais animaux et végétaux abondants, est cependant diminuée dans son prix de revient, non seulement de la somme de toutes les valeurs crées avec les fourrages, mais encore de celle de tous les frais de labours et sarclages devenus inutiles dans un mode de culture qui donne une large place à la production, après laquelle la terre est plus propre et plus riche pour le blé qui la suit, que si elle eût été fumée, labourée et sarclée à grands frais. »

Pour parvenir à atteindre cet objectif, il convient de former les hommes nécessaires ce qu'il commence à faire, avec 6 jeunes élèves : « L'exploitation agricole de La Saulsaie a été établie en Dombes, 1° pour démontrer, avec quelle facilité, au moyen de quel capital, dans quel délai et avec quels profits la culture céréale, basée sur celle des fourrages d'une durée de plusieurs années, pouvait être substituée à la culture céréale basée sur la jachère d'eau, 2° pour former des hommes qui puissent propager ce système de culture, soit comme régisseurs, soit comme fermiers. »

Désireux d’installer un institut agricole, Nivière adresse un mémoire au Ministre de l’Agriculture et du Commerce, le 10 février 1842 afin d’obtenir qu’il rende La Saulsaie École de l’État autant qu’il sera possible' ». Il souhaite former des directeurs pour la grande agriculture, car celle-ci: « a surtout besoin de directeurs qui, appelés à conduire de vastes entreprises, à l’aide d’un capital considérable, devront s’aider de toutes les ressources de la science pour créer, réformer, suivant les circonstances si diverses de sols, de climats, de situations, etc. ». Et ces directeurs devront s’occuper des « 15 millions d’hectares soumis encore aujourd’hui à la grande culture, et qui seuls peuvent fournir à la consommation du pays le bétail qui lui est nécessaire ».

Mais pour faire un enseignement de qualité, Nivière considère que son école ne doit avoir que peu d’élèves, 6 à 8 par an pour une durée totale de quatre ans. Cela seul peut permettre une réelle formation pratique associée à l’acquisition de connaissances théoriques. Contrairement à Mathieu de Dombasle, en effet, Nivière insiste sur la nécessité de la formation pratique de ces futurs directeurs. A l'inverse de Roville où « les règlements défendent de toucher aux instruments et de se mêler aux travaux de la ferme autrement que comme spectateur », il ne veut admettre que des jeunes gens « qui, doués d'une grande énergie de volonté, pourrait soutenir tout le travail de la ferme, qui sera pour eux non pas facultatif, mais tyrannique, si je puis m'exprimer ainsi, de quatre heures du matin à huit heures du soir. » Pour autant, il n'est pas questions que les élèves, issus de « la classe où se recrutent les hautes industries manufacturières et commerciales, la magistrature, le barreau et les divers services publics », aient les même conditions de nourriture et de logement que des maitres-valets !

Ces conditions le conduisent donc à demander l’aide de l’État. « En effet, comment obtenir de l’intérêt privé qu’après avoir réuni professeurs et laboratoires, disposé les bâtiments et les cultures, acquis les meilleures races d’animaux, il n’appelle pas le plus grand nombre d’élèves possible à des prix de pension élevés, facilement consentis, parce qu’on n’aura à les payer que pendant une année ou deux ? Comment éviter alors qu’il y ait vingt élèves pour une charrue, dix chefs pour un service, et dès lors que la théorie soit incomplète, par cela qu’elle n’aura eu pour base que des faits entrevus rapidement, mais jamais étudiés longtemps dans des circonstances diverses ? » Et Nivière ajoute que chacun sait que l'tat est « en mesure de pouvoir accorder [. . .] l'enseignement le meilleur et le plus complet qu'il se puisse donner, le seul auquel les emplois lucratifs et les capitaux ne manqueront jamais après les temps d'épreuve. Aussi les écoles de l'État fournissent-elles chaque année au pays des hommes immédiatement utiles, tandis qu'ils n'en sort que d'incomplets des établissements particuliers. »

Le Ministre de l’Agriculture accepte d’aider Nivière, un arrêté du 2 mars 1842 accorde à l’Institut agricole de La Saulsaie une subvention destinée à payer les traitements du directeur et des professeurs, l'entretien des élèves (400 F. par an) et les frais d'enseignement et d'expérience. Nivière cultive sa propriété à ses risques et périls, sans aucune subvention pour l'exploitation. Il s'engage à ce que l'exploitation soit considérée comme modèle, ou donnant des revenus au moins égaux à ceux des domaines analogues de la région, sinon l'aide de l'État à l'Institut serait supprimée.

Le programme des cours, le cadre de l'enseignement pratique et théorique, les règlements de discipline sont fixés par une annexe à l'arrêté. Il ne peut y avoir de changement qu'avec l'accord du ministère qui nomme aussi les enseignants. Le directeur doit rendre compte en permanence des travaux conduits sur l'exploitation et de leurs résultats, de la situation financière, de même que du fonctionnement de l'Institut.

L’Institut reçoit chaque année 8 élèves, âgés de 17 à 23 ans, avec de bonnes connaissances en français, arithmétique, géométrie et physique, pour une durée de quatre ans. Les deux premières années sont consacrées principalement à la formation pratique, avec un jour sur deux des études dans les matières scientifiques et techniques. Pendant les deux autres années, le programme fait place à des études théoriques, durant les semestres d'hiver ; le semestre d’été de la troisième année est consacré aux labours et récoltes, celui de la quatrième année permettant d’assurer la direction de divers travaux. Après les quatre ans d’école, l’élève assure, pendant deux années supplémentaires, la gestion rémunérée d’une exploitation dite ferme d’application. Les fermes d’application d’une cinquantaine d’hectares chacune, seront affermées par Nivière. C'est seulement à l’issue des six ans qu’est délivré le diplôme de l’École.

L'arrêté précise qu'il n'y a que quatre personnes pour assurer le fonctionnement de l'établissement : Nivière, directeur, assure les cours d'économie rurale et la revue des travaux de la semaine ; le sous-directeur, tient la comptabilité et l'enseigne ; l'inspecteur des travaux, est chargé de la formation pratique ; enfin, le principal des études, veille à la discipline générale, et enseigne les mathématiques, la physique, la chimie et les sciences naturelles de niveau élémentaire. D'autres professeurs seront recrutés ultérieurement.

A plusieurs reprises dans ces écrits, Nivière fait référence à l'École Polytechnique, révélant ainsi ses conceptions sur la formation de cadres pour l'agriculture. Rejoignant Bella, il insiste sur la nécessité de former de véritables ingénieurs agricoles. Suivant en cela le Comte de Gasparin, il écrit « si nous voulons en France un développement de richesses agricoles pareil à celui de ses richesses industrielles ; si nous voulons surtout, pour arriver à ce développement, les capitaux nécessaires, il nous faut former nous-mêmes nos ingénieurs agricoles spéciaux, et les enrichir, je le répète, d’un savoir spécial si complet, que ce savoir leur soit une puissance pour faire venir, pour susciter le capital, seul capable de donner la vie à toute grande entreprise.”

Comme les directeurs des autres instituts, Roville, Grignon et Grand-Jouan, Nivière s'attache à diffuser les acquis de ses expériences. Il crée les Annales agricoles de La Saulsaie en 1840, et dans le premier numéro publie son « Rapport à M. le ministre du Commerce sur un voyage entrepris dans l'Allemagne du Nord' ». L'introduction à ce premier numéro annonce la publication prochaine d'un second volume qui semble n'être jamais paru.

En quelques années, Nivière a apporté des changements importants dans la région de la Dombes, en convainquant plusieurs agriculteurs de l'intérêt économique de son mode de production, mais également en prouvant que l'assèchement des étangs faisait disparaître l'insalubrité, chose essentielle dans une zone durement frappée par les fièvres.

Mais, Nivière supporte seul les frais de culture et connaît des difficultés de plus en plus importantes. Pour s'occuper à temps plein de son exploitation, il confie entièrement l'enseignement aux Frères de la Doctrine Chrétienne. Pourtant, le 27 avril 1847, Nivière est obligé de vendre La Saulsaie, soit l'habitation et 155 ha, à Antoine Jean Baptiste Dugas de la Catonnière pour la somme de 250 000 F. Les expériences agronomiques se soldent donc par un échec économique. Pour que la formation dispensée à l'Institut demeure crédible, il est essentiel de ne pas ébruiter l'affaire, on s'y emploie. Nivière passe du statut de directeur propriétaire à celui de directeur-fermier.

II - Le décret du 3 octobre 1848

  • Des écoles régionales aux écoles nationales

Situées au second degré de l'enseignement professionnel agricole, les écoles régionales sont destinées à « l’instruction des chefs d’exploitation, propriétaires ou fermiers ». Dans l’exposé des motifs de la loi, le Ministre Tourret, précise que c’est l’Institut agricole de Grandjouan qui sert de modèle pour l'organisation des écoles régionales. A la différence des fermes-écoles, les écoles régionales sont entièrement prises en charge par l'État.

L'école régionale qui assure un enseignement théorique et pratique, doit réaliser des expérimentations. A la formation professionnelle s'ajoute donc les expérimentations pour l'agriculture, l'élevage et la transformation des produits agricoles. Un tel établissement ne peut « être à la charge de l'industrie privée, qui ne doit pas plus qu'elle ne peut s'exposer à des mécomptes. L'État seul peut s'en charger. » L'expérience des trois instituts agricoles a conduit à ce choix.

Ces établissements doivent rayonner chacun sur une région agricole « ayant une culture ou des cultures principales bien tranchées ». A l’école régionale seront annexées quelques industries agricoles propres à la région, ainsi que des ateliers de charronnage et de maréchalerie pour former des ouvriers qualifiés.

Le ministre prévoit l’implantation de 20 écoles régionales, recrutant parmi « les jeunes gens qui se destinent à diriger l’exploitation du sol, soit pour leur propre compte, soit pour le compte d’autrui ». Les élèves, admis après examen, seront en moyenne 40, recrutés entre 16 et 18 ans, la durée des études est de trois ans. Il s’agit de former, comme à La Saulsaie, des ingénieurs agricoles.

En résumé, les écoles régionales doivent favoriser le progrès de l’agriculture « Par l’enseignement, en formant des agriculteurs éclairés ; Par l’exemple, en offrant le modèle d’une agriculture perfectionnée et progressive ; Par l’expérience, en faisant des essais et des tentatives pour améliorer l’industrie rurale ».

Les deux composantes de l'établissement, l’exploitation agricole et l’école, sont tenues en régie pour le compte de l’État ; celui-ci est fermier du domaine pris à bail. Il faut donc affermer, pour le compte de l'État, le domaine nécessaire à l'école régionale en traitant avec les directeurs eux-mêmes pour l'acquisition du matériel d'enseignement et d'exploitation qui leur appartenait. Ceci se traduit donc par des expertises et négociations pour chaque établissement avant que celui-ci puisse être organiser selon les règles.

Le directeur est responsable de l'ensemble de l’établissement, un sous-directeur l’assiste en dirigeant soit l’école, soit la ferme.

L’école et son enseignement :

Afin de former des dirigeants d'exploitations agricoles, il faut initier les élèves « à la science de l'administration rurale, c'est-à-dire à l'application raisonnée de toutes les opérations de la culture et à leur mise en rapport avec les différentes circonstances dans lesquelles une exploitation rurale peut se trouver placée ».

L’exploitation agricole

Elle sert à l’enseignement, mais doit être également un modèle pour l’agriculture régionale. Le domaine doit être suffisamment étendu et offrir les diverses cultures locales, ainsi que les divers animaux d’élevage. En annexe, est installée une fabrique d’instruments agricoles, ainsi que des industries agricoles de la région: huilerie, fromagerie, distillerie, scierie, etc.

Les études sont réparties sur trois ans, divisés en semestres. L’épreuve de sortie consiste en la soutenance, devant les professeurs de l’Ecole et un inspecteur général de l’Agriculture, d’un mémoire préparé en trois mois, sur un projet de culture.

 

En application du décret du 3 octobre 1848, les Instituts Agricoles de Grignon, Grand-Jouan et La Saulsaie sont transformés en Écoles Régionales, l'État louant les domaines à bail. Les professeurs en poste sont maintenus, le principe du recrutement des enseignants par concours devant entrer en application à la fin de 1850.

Dans l’exposé des motifs du décret, le ministre annonçait son intention d’organiser avant la fin de 1849 au moins 5 écoles régionales, puis 3 ou 4 par an.

A la fin de 1849, il n’y a que quatre écoles régionales :

  • Grignon, créée en 1827, réorganisée en octobre 1849, qui a un domaine de 300 ha, et 58 élèves, sa circonscription comprend les départements de Seine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne, Oise, Eure-et-Loir,

  • Grand-Jouan, créée en 1830, réorganisée en décembre 1848, avec un domaine de 300 ha, et 29 élèves, sa circonscription s'étend sur la Bretagne : Loire-Inférieure, Ille-et-Vilaine, Morbihan, Finistère, Côtes-du-Nord,

  • La Saulsaie, créée en 1842, réorganisée en décembre 1848, avec un domaine de 155 ha, et 20 élèves, sa circonscription comprend l'Ain, le Rhône, la Loire et la Saône et Loire,

  • Saint-Angeau, créée en octobre 1849, dans l'arrondissement de Mauriac, Cantal, son domaine est de 899 ha, et il n’y a pas encore d’élèves. La circonscription qui lui est dévolue comprend les départements de l'Aveyron, de la Lozère, de la Haute-Loire, du Cantal et du Puy de Dôme. C'est la seule école régionale créée en application du décret du 3 octobre 1848.

La mise en place des écoles s'accompagne d'une réforme des programmes. En 1850, le programme d’admission de Grignon indique : « Les écoles régionales sont des écoles d’application pour l’industrie rurale ; l’enseignement doit donc être dirigé vers la pratique de l’agriculture. Cet enseignement ne devra demander aux sciences accessoires que ce qui est directement utile à l’industrie rurale. La science agricole elle-même doit se dépouiller des théories abstraites pour donner plus de temps à la reproduction des faits et à leur discussion. Il ne faut pas perdre de vue que les écoles régionales ne sont pas destinées à donner la théorie abstraite pour conduire à la pratique mais bien au contraire le but que l’on se propose consiste à montrer la pratique et à apprendre à la raisonner ».

Il s’agit, très nettement, d’une volonté de limitation de la formation scientifique. Ainsi, à Grignon, le professeur de chimie doit supprimer l’étude de tous les corps étrangers à l’industrie agricole, le professeur de génie rural doit éviter l’étude des mathématiques, etc. L'enseignement scientifique de haut niveau sera assuré par l'Institut National Agronomique qui s'installe à Versailles.

L’arrivée au pouvoir de Louis-Napoléon, le climat d’ordre moral et de lutte contre l’école, la conviction que l'agriculture n'est pas un secteur prioritaire pour le développement économique du pays, vont avoir des conséquences néfastes pour les écoles régionales qui connaissent des restrictions budgétaires Ainsi en 1853, le nombre de répétiteurs est ramené dans chaque établissements de six à trois. Les établissements, devenus Écoles impériales d’Agriculture, propose donc un enseignement plus pratique.

En 1855, une circulaire du 24 avril du ministre de l'Agriculture, du Commerce et des Travaux publics, présente aux préfets le nouveau programme d'admission aux écoles impériales d'agriculture. Le ministre insiste sur le fait que ces établissements ont pour vocation de former des propriétaires et des fermiers et « nullement [. . .] de conduire à des fonctions administratives ». Il importe donc que les candidats, outre la possession d'une bonne formation générale, soient surtout « en mesure de trouver, à leur sortie de l'école, dans leurs relations de famille ou autres plus ou moins directes, des terres à faire valoir, soit comme propriétaires ou fermiers, avec les capitaux nécessaires pour les exploiter dans de bonnes conditions, soit comme administrateurs ou régisseurs ». Et le ministre souligne : « cette définition indique assez de quel milieu social doivent plus particulièrement sortir les candidats […] ».

Le 15 juillet 1870, un arrêté du ministre de l'Agriculture et du Commerce institue un diplôme d'ingénieur agricole. Les élèves des écoles impériales subissent tous un examen du premier degré qui donne droit à un certificat d'études ; les élèves ayant obtenu une moyenne déterminée peuvent passer l'examen du second degré, qui consiste en la soutenance d'un mémoire rédigé entre le 15 août et le 15 octobre sur un domaine, une industrie ou une localité. L'examen se déroule devant un jury composé de professeurs et d'agriculteurs et les candidats l'ayant subi avec succès obtiennent le diplôme d'ingénieur agricole.

En 1871, douze candidats se présentent à la première session de cet examen du 2e degré, trois seulement sont admis, le premier étant un élève de Grignon, Foëx qui deviendra plus tard, directeur de l'École nationale d'agriculture de Montpellier. En 1873, après publication d'un nouvel arrêté ministériel précisant les conditions de l'examen, il y a deux sessions et le titre d'ingénieur agricole est accordé à deux, puis quatre candidats. Le diplôme d'ingénieur agricole est supprimé en 1877 car les autorités estime qu'il fait double emploi avec le diplôme de l'Institut national agronomique.

Après la guerre de 1870 et la chute de l’Empire, les écoles impériales deviennent Écoles Nationales. L’École de La Saulsaie qui n’avait que peu d’élèves, est transférée à Montpellier, par arrêté du 2 juillet 1870 Le nouvel établissement ouvre ses portes le 22 novembre 1872. Une lacune est ainsi comblée, l’agriculture et la viticulture méridionales ont leur école nationale, sur un domaine de 22 ha.

Un nouveau programme, établi après consultation des directeurs des trois écoles, est publié en mai 1872. Il ramène l'âge d'entrée à 17 ans, allonge la durée des études à deux ans et demi, et détaille également les enseignements spécifiques à chacune des écoles. L'école de Grignon est orientée vers l'enseignement des grandes cultures du Nord de la France ; Grand-Jouan s'attache à la mise en valeur des landes, à l'élevage et à l'agriculture de l'Ouest de la France ; Montpellier se consacre à l'agriculture du Sud de la France, à l'horticulture, la viticulture et la sériciculture.

Reprenant des propositions de la commission de 1866, les responsables de l'Administration estiment qu'il est nécessaire de donner une place plus large à l'enseignement des sciences, avec la création de nouvelles chaires, mais aussi à la pratique scientifique. Les travaux de laboratoire se développent, des champs d'expérience sont implantés, une station agronomique est installée à Grignon, une station séricicole une station viticole et une station météorologique, à Montpellier. Les écoles agrandissent leurs bâtiments.

A partir de 1893, le recrutement se fait par un concours commun aux trois écoles nationales, les épreuves se passant en-dehors des établissements ; en 1895, la durée des études est ramenée à deux ans. Les effectifs d'élèves augmentent sensiblement, ainsi en 1893, le nombre de candidats aux trois écoles est de 354, parmi eux 237 sont recrutés, soit 36 à Grand-Jouan, 87 à Grignon et 114 à Montpellier.

Pour l'école de Grandjouan, le recrutement apparaît donc très difficile, l’approche de la fin du bail amène à se poser la question de son transfert afin de trouver un meilleur environnement scientifique. Le 12 août 1896 a lieu l’inauguration de la nouvelle école installée sur la commune de Rennes, avec un domaine de 30 ha.

Durant toute cette période, le nombre de diplômés sortant des écoles nationales demeure faible, et nettement inférieur au nombre des inscrits.

A Grignon, de 1850 à 1870, il y a 557 élèves et 213 diplômés, soit 38%. De 1870 à 1890, il sort 16 diplômés par an ; en 1894 il y en a 40.

A Grand-Jouan, de 1849 à 1892, 789 élèves ont suivi la formation et 345 ont été diplômés, soit 43,7%.

A Montpellier, sur les 26 premières promotions, de 1872 à 1899, ce sont 605 diplômés qui sortent de l’école, pour 1 264 admis, soit 47,8% .

Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire

C’est donc après 1880 que le flux des diplômés des ENA augmente régulièrement. Il faut y voir la conséquence des orientation données à l’enseignement agricole à partir de 1875. En particulier, la création des écoles pratiques, des professeurs départementaux, l’ouverture de laboratoires et stations agronomiques appellent un nombre accru de diplômés des ENA.

En 1908, par un arrêté du 5 février, les élèves diplômés des ENA obtiennent à nouveau le titre d’ingénieur agricole. La sélection à l’entrée est sérieuse, puisqu’en 1909, sur 193 candidats, il n’y a que 108 admis (56%), soit 39 par école.

Trois lois vont influencer nettement le recrutement des ENA :

  • la loi militaire de 1872 institue le volontariat d'un an de service militaire, notamment pour les jeunes gens admis dans les ENA. Ceci entraîne un accroissement des effectifs,. mais nombre de ces jeunes, après leur admission ou quelques mois plus tard, partent au régiment et, leur volontariat accompli, ne reprennent pas leur études. Par exemple, 50 garçons rentrent à Grignon en octobre 1884, ils ne sont plus que 41 à l'issue du premier semestre scolaire, en mars 1885, et seuls 21 poursuivent jusqu'au diplôme final.

  • la loi du 15 juillet 1889 accorde la dispense du service militaire pour les diplômés des écoles, le recrutement augmente rapidement, le flux de sortie dépassant 140 personnes.

  • la loi de recrutement de 1905 supprime les dispenses de service militaire, entraînant une baisse notable du recrutement. Ceci se traduit sur le flux de sortie à partir de 1908. Le phénomène est cependant masqué par la présence d’étudiants étrangers.

Une autre raison paraît expliquer la stagnation des effectifs, puis la baisse du recrutement : le niveau des ENA n’est pas très nettement situé, entre les écoles pratiques et l’Institut national agronomique. Celui-ci attire tout naturellement les candidats sortant de l’enseignement secondaire, en raison des débouchés plus nombreux qu’il offre. Par contre, les fils d’agriculteurs cherchant une formation plus professionnelle s’orientent vers les écoles pratiques. “Le type Ecole Nationale donne un enseignement qui n’est ni assez supérieur (à cause de l’instruction générale insuffisante des élèves), ni assez pratique”.

La baisse du nombre des candidatures aux ENA, conduit à une diminution de la sélection à l’entrée. Ce phénomène ne permet pas de préjuger de la qualité des ingénieurs formés, bien sûr ; mais il conduit à un malaise certain parmi les enseignants des ENA. L’ENA de Grignon assure la sortie des promotions les plus importantes, et apparaît comme l’établissement le plus “coté” ; ceci se reflète dans le fait qu’il n’est pas fermé pendant la Première Guerre Mondiale.

L’impact des ENA sur l’évolution de l’agriculture ne peut être appréhendé que par des études concernant chacun des établissements. Nous nous en tiendrons ici à quelques éléments d’appréciations, tel que le devenir des anciens élèves, données limitées cependant par l'insuffisance des sources.

Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire
Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire
Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire

A Grignon, l’orientation vers l’agriculture cède la place progressivement à l'orientation vers le commerce et les industries agricoles. La part d'élèves travaillant dans l'agriculture est nettement moins importante qu’à Montpellier., Dans cette école, il est probable que la majorité des élèves sont fils d’agriculteurs, alors qu’à Grignon les origines sociales sont plus variées.

Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire

Ces données indiquent que l’objectif assigné aux ENA, à savoir former prioritairement des agriculteurs et des enseignants, a été atteint.

Les ENA sont incontestablement liées au milieu agricole de leur région. Elles jouent un rôle certain pour la diffusion des innovations tant par la formation d’ingénieurs que par leurs contacts directs avec les producteurs.

En 1912, le ministère implante à Grignon l’École supérieure d'enseignement agricole et ménager, où notamment sont formées les directrices et les professeurs des écoles agricoles et ménagères, elle y demeure jusqu'en 1923.

Durant la Première Guerre mondiale, l'enseignement continue à Grignon, l'établissement accueillant des élèves des Écoles de Montpellier et de Rennes qui sont fermées afin de recevoir des blessés. L'enseignement reprend normalement en octobre 1919.

Le départ à la retraite de Rieffel, en 1881, et les difficultés du recrutement, font que l'on pense à transférer l’École près d'une grande ville, site plus favorable à l'enseignement supérieur. En août 1882, le ministre de l'Agriculture écrit au préfet de Loire-Inférieure : « L'école d'agriculture de Grand-Jouan ne se trouve plus dans les conditions nécessaires pour assurer à son enseignement le caractère scientifique qu'il doit avoir. »

Au même moment, le Conseil général d'Ille-et-Vilaine émet le vœu que l’École de Grand-Jouan soit transférée à Rennes, car « les services rendus ne sont pas en rapport avec les sacrifices » qu'elle entraîne. Deux éléments vont peser lourd dans la décision de transfert : d'une part les conditions financières offertes par Rennes et, d'autre part, l'hostilité politique de la majorité du Conseil général de Loire-Inférieure aux orientations de Grand-Jouan.

Rennes est une ville universitaire, un centre important des industries du beurre et du cidre, au cœur d'une région d'élevage, avec des sociétés d'agriculture bien implantées. Mais, surtout, la municipalité de Rennes et le département d'Ille-et-Vilaine offrent à l'Etat un domaine de 30 ha, à deux kilomètres du centre ville, à proximité de deux écoles pratiques d'agriculture, celle de Coëtlogon, pour les jeunes filles, et celle des Trois-Croix.

La convention entre le département d'Ille-et-Vilaine et l’État est signée en mai 1893, et approuvée par décret du Président de la République le 9 octobre suivant.

L'arrêté de transfert est signé par le ministre de l'Agriculture le 26 juillet 1895, il indique, et c'est une grande nouveauté, que le régime de l'école est l'externat. La durée des études est ramenée à 2 ans.

  • De La Saulsaie à Montpellier

La situation financière de l'établissement demeure mauvaise, en 1850. L'arrivée du Second Empire limite les subventions pour l'enseignement agricole et Nivière ne peut plus redresser l'établissement.

Le 4 février 1853, l'agent comptable de l'Ecole est démis de ses fonctions et le 17 février, le ministre de l'Intérieur, de l'Agriculture et du commerce accepte la démission de Nivière. La faillite financière de celui-ci est grave, son second domaine de 120 ha est mis sous séquestre judiciaire et la propriété familiale de Peyzieu doit être vendue. Le ministre résilie les divers baux entre 1867 et 1869

Pourtant de 1863 à 1869, l'exploitation a atteint l'équilibre financier et les élèves continuent de venir, l'effectif maximum de 54 est atteint en 1866-1867, en 1869-1870, ils sont encore 29. Ces effectifs correspondent au choix qui avait été fait par Nivière et poursuivi ensuite, de limiter le nombre d'élèves par promotion à 20. Le ministre annonce que l’École sera déplacée à Montpellier.

Cette décision apparaît comme la conséquence du manque d'intérêt du Second Empire pour l'enseignement agricole de niveau supérieur. On accuse La Saulsaie d'insuffisance, on ferme l'établissement et on peut ainsi répondre à moindre coût à la demande du département de l'Hérault. Le 2 juillet 1870, le ministre signe l'arrêté transférant l’École impériale d'Agriculture de La Saulsaie à Montpellier. Il s'agit d'ouvrir un établissement orienté vers l'agriculture méditerranéenne, la viticulture, la sériciculture, et la pratique de l'irrigation.

L'Inspecteur général de l'agriculture Victor Rendu, chargé par le ministre de faire un rapport sur le transfert, écrit : « On doit renoncer aux vastes domaines, comme ceux de Grandjouan ou de Grignon, dont l'exploitation coûte cher et qui ne donnent pas toujours les résultats escomptés, surtout si, comme à La Saulsaie, ils se trouvent en pays peu peuplé et dans une situation isolée. » Dans la nouvelle école deux principes doivent être mis en application : « d'abord aller étudier l'agriculture là où elle réussit le mieux », ensuite, réaliser « un enseignement scientifique fortement constitué. »

Il faut « abandonner la ferme-école pour l'école-faculté, créer une faculté d'Agriculture. »

Malgré de nombreuses difficultés financières et matérielles, l’École est ouverte le 3 novembre 1872, sans inauguration officielle. Il n'y a pas d'internat et les élèves doivent se loger en ville.

Les débuts sont difficiles, de 1873 à 1876, il n'y a au total que 11 à 13 élèves dans l'établissement au 1er janvier, il faut attendre octobre 1878 pour que rentre une promotion de 26 élèves. Les viticulteurs du bas Languedoc, « justement fiers des résultats auxquels ils étaient arrivés par leur intelligente initiative, ne pouvaient pas avoir beaucoup à gagner à la fréquentation d'un établissement nouveau et qui n'avaient pas faits ses preuves ; aussi les élèves n'y vinrent d'abord qu'en petit nombre, et l'action exercée sur l'agriculture de la région fut peu considérable. » La situation change avec l'invasion du phylloxera qui sévit durement dans les années 1875-1880.

L’École mobilise ses moyens au bénéfice de la lutte contre le phylloxera. Elle appuie la Société centrale d'agriculture, forme les viticulteurs à l'utilisation des nouvelles technologies, développe des recherches au bénéfice de la viticulture, constitue une collection de cépages américains. L’École nationale se fait ainsi rapidement connaître et apprécier par ses activités de recherche, d'expérimentation et de vulgarisation au bénéfice de la viticulture régionale.

La qualité de ces actions, la reconnaissance de leur utilité pour la région, attirent des candidatures d'élèves en plus grand nombre, les effectifs à l'entrée s'élèvent de 26 en 1878 à 68 en 1884, ils atteindront 114 en 1893. C'est à ce moment que le ministère élève le niveau de l'examen d'entrée, rend les épreuves communes aux trois Écoles nationales et limite le nombre de places pour chacune d'entre elles. Les effectifs des promotions entrantes diminuent progressivement de 79 en 1894 à 63 en 1899.

De 1872 à octobre 1899, l’École a accueilli 1470 élèves dont 605 sont sortis diplômés, il y a eu en outre 635 auditeurs libres.

Durant la période 1876-1896, l’École s'est donc considérablement développée, des bâtiments pour l'enseignement et la recherche ont été construits, l'internat a été agrandi à 102 chambres, les élèves sont de plus en plus nombreux. A partir de 1897, le phylloxera n'est plus un problème économique, le vignoble est pratiquement reconstitué. Gustave Foex quitte alors ses fonctions pour devenir Inspecteur général de viticulture et sériciculture.

De 153 élèves présents dans l'établissement en octobre 1899, on atteint 176 en 1900, puis l'effectif se situe entre 113 et 166 jusqu'en 1914.

Dès le début de la Grande guerre, la Gaillarde est fermée pour accueillir des blessés dans un Centre de Rééducation Agricole, comme l’École de Rennes. Elle ouvre à nouveau le 18 novembre 1919.

 

  • L’Institut National Agronomique

L’INA est l’établissement qui doit couronner l’ensemble du système d’enseignement professionnel agricole. Il s’inspire du projet de François de Neufchateau au moment de la Révolution, et des demandes du Conseil général de l’Agriculture en 1846.

Dans l’exposé des motifs du décret, le ministre indique que l’Institut « constituera l’école normale de l’agriculture, les écoles régionales et l’administration y trouveront, les unes leurs professeurs ; l’autre, des employés capables et instruits, les hommes spéciaux dont elle a toujours besoin ». Le ministre ajoute qu’il s’agit également de former des ingénieurs pour « l'industrie rurale ».

Afin que « le corps enseignant se recrute parmi les sommités de la science » et que l’agriculture bénéficie ainsi des résultats de leurs recherches, le projet prévoit que l’INA s’installera près de Paris. Le site retenu est celui de Versailles, relié à la capitale par « une voie de communication rapide ». Les anciennes propriétés royales paraissent adaptées à cette implantation. Il sera en effet possible d’utiliser le potager dit du Roi, de 9 ha, pour une école d'horticulture, une exploitation du Parc servira de ferme-école, les pépinières de Trianon et de Saint-Antoine, d'une superficie de 30 ha, et un haras répondront aux besoins de l'enseignement et de l’expérimentation.

Le ministre insiste sur l’importance du projet : « il faut que rien ne soit refusé à l’Institut National Agronomique aussi bien au point de vue théorique qu’au point de vue pratique ; il devrait réunir, outre une exploitation rurale étendue, les jardins et pépinières que réclame l’horticulture, les forêts nécessaires aux études sylvicoles, une école d’irrigation qui manque complètement en France, et enfin, des animaux domestiques de toutes les espèces, soumis à des essais d’amélioration et de perfectionnement. A côté de cela, des expériences seraient faites sur l’introduction et l’acclimatation, dans nos contrées, de nouvelles espèces végétales ou animales étrangères à notre sol et à notre climat. Ces essais seraient poursuivis au double point de vue de la science et de l’économie ». Établissement d’État, l’INA sera « organisé comme les facultés de droit et de médecine ».

Richard, au nom du Comité d’Agriculture de l’Assemblée nationale, souligne l’importance de l’INA. Rappelant le retard de la France dans plusieurs domaines, notamment élevage et « chimie agricole », il affirme que l’Institut va « faire opérer une véritable révolution dans les sciences appliquées à l’agriculture ». La preuve en est « qu’il a été démontré que toutes les industries qui ont un enseignement professionnel supérieur ont progressé dans des proportions incalculables dans un temps très court, comparées à ce qu’elles avaient été avant le secours du savoir ».

Une nouvelle fois, c’est l’exemple de l’industrie qui sert à organiser l’enseignement agricole. Richard ajoute d’ailleurs : « L’agriculture aurait ainsi, comme les ponts et chaussées, les travaux publics, les mines, les arts, les diverses armes d’élite de l’armée, ses hommes spéciaux. Ils jugeraient, d’après les profondes études qu’ils auraient faites, les moyens propres à faire réussir toutes les grandes conceptions en industrie rurale ».

Mais, outre les effets de leur compétence pour améliorer les productions, les diplômés de l’INA auront un rôle essentiel : « ces agriculteurs,[. . .], qui commanderont la confiance par leur savoir et les preuves qu’ils auront données de leur habileté à bien diriger des entreprises lucratives, attireront vers l’industrie rurale les capitaux qui auraient continuer de s’en éloigner toujours ».

Organisation et fonctionnement de l’INA

Contrairement aux autres types d’établissements, l’INA n’a aucun précédent en France, et il faut donc le créer complètement.

L’INA doit être à la fois :

« • une faculté des sciences agronomiques,

une école normale supérieure pour l’agriculture,

un haut institut complémentaire d’enseignement agricole ouvert aux administrateurs et aux propriétaires ».

Pour satisfaire à ces missions, il doit disposer d'une grande exploitation agricole permettant l’observation de la mise en pratique des connaissances scientifiques, ainsi que d'un domaine expérimental. L’exploitation de l’INA doit être suffisamment vaste pour répondre à ces deux besoins. A Versailles, le domaine couvre 1 460 ha, dont 511 ha de forêts.

L’enseignement est organisé en neuf chaires, cinq pour l’agriculture et quatre pour les sciences appliquées à l’agriculture. Les neuf professeurs sont recrutés par concours, ils ont à assurer des cours à l’amphithéâtre, et à réaliser des recherches et expériences afin de faire de l’Institut National Agronomique « le centre du mouvement agricole de l’Europe ».

Les élèves ne doivent pas être employés aux travaux de l’exploitation, mais ils doivent observer les applications de ce qu’ils ont appris à l’amphithéâtre. C’est l’instruction appliquée. Une véritable instruction pratique est sans utilité, car une partie des élèves viendra des écoles régionales où ils ont appris cette pratique. Les autres « appartiennent à cette classe de grands propriétaires et de capitalistes qui ont surtout pour but d’apprendre à diriger et à administrer une exploitation rurale ».

Il faut aménager le siège de l'Institut, qui est fixé à l’hôtel des Grandes-Écuries du château de Versailles. Ce n’est que le 11 juillet 1849 qu’un décret du Président de la République y établit le siège de l’INA. L’ouverture de l’établissement est donc retardée d’une année. Confrontée aux délais mis à ouvrir l'Institut, l'opinion des membres de l'Assemblée législative et des responsables du pays est devenue peu favorable à l'établissement.

Le ministre cherche l'homme qui peut éviter l'arrêt du projet, et le trouve enfin. Le 4 avril 1851, le comte de Gasparin, qui a refusé la direction, est nommé « commissaire général, chargé provisoirement de la direction », avec pour mission de réorganiser l'établissement qui, depuis sa création, a pâti du manque d'orientations précises.

Gasparin organise l'établissement et l'enseignement, en considérant que : « Aucune école existante, en aucun pays, ne peut lutter avec l'Institut pour les moyens d'instruction qu'il possède ; et l'avenir prouvera tout le fruit que la France peut en tirer. » Il insiste sur l'importance de la science et des « savants professeurs » qui vont permettre de « conserver, accroître, et répandre la doctrine agricole dans son état d'avancement actuel. » Les objectifs sont ambitieux, mais l'homme est à même de le tenir.

L’établissement est enfin ouvert le 20 novembre 1850, avec 47 élèves, dont 13 étrangers et 159 auditeurs libres. La deuxième promotion compte 33 élèves, dont 2 étrangers. L'Institut est « spécialement consacré à l'étude des questions, si pleines d'actualité, qui se rattachent à l'économie du bétail. » Le domaine de l'Institut est donc orienté vers l'élevage, il est divisé en trois fermes, l'une consacrée à l'amélioration des bovins et des porcs, la seconde, aux chevaux, la dernière aux moutons.

Un arrêté ministériel, du 15 mars 1852, précise les conditions d'admission et le programme de l'Institut. Rédigé par Gasparin, il allonge l'enseignement à trois ans, les élèves passant cette dernière année « dans les fermes [ de l'Institut ] où ils remplissent, à tour de rôle, toutes les fonctions d'une haute exploitation agricole. »

L'Institut national agronomique commence enfin à fonctionner normalement, lorsque le changement politique conduit à sa fermeture pure et simple, par un décret du Président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte, en date du 7 septembre 1852, alors que la deuxième promotion commence sa seconde année de formation. Les motivations du décret méritent d'être cités intégralement : « considérant que l'Institut agronomique de Versailles entraîne des dépenses supérieures aux avantages qu'il est possible d'en espérer ; que, d'une part, son enseignement trop élevé est en disproportion avec les besoins réels de notre agriculture, et que, d'autre part, l'institut ne pourrait donner une plus large place à la pratique sans tomber au rang d'une école régionale, et faire, par conséquent, double emploi avec l'enseignement du second degré ; considérant, d'ailleurs, que le séjour à Versailles offre des inconvénients graves pour de jeunes agriculteurs auxquels il importe de donner une éducation approprié aux goûts simples et à la vie modeste des campagnes ; considérant que la suppression de l'Institut agronomique fortifiera l'enseignement professionnel de l'agriculture, en permettant au gouvernement de répartir entre les écoles régionales les collections, les machines et les animaux remarquables que renferme cet établissement ; considérant, enfin, que les économies ainsi réalisées fourniront au gouvernement le moyen de venir plus utilement en aide aux associations agricoles, et d'encourager leurs efforts par des subventions plus larges et plus efficaces, décrète [. . .] l'Institut agronomique de Versailles [. . .] est et demeure supprimé. »

Les élèves qui devaient entrer en deuxième année se dispersent, ceux qui avaient achevé leur deuxième année sont placés pour une année de formation pratique dans des fermes-écoles, des bergeries, des vacheries.

Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire

Il s'agit de fils de la noblesse et de la bourgeoisie qui ne choisiraient pas d'aller en école régionale, et qui ne sont probablement pas dépaysés à Versailles. Quant au coût de l'établissement, il est certain qu'il est élevé car il s'agit de l'installation d'un domaine de 1 500 ha, d'autant qu'il a fallu dédommager les fermiers précédents et acheter un bétail important. Il se situe, certes, au-dessus des estimations de Tourret, mais la somme paraît cependant raisonnable compte tenu du rôle confié à l'établissement. Le gouvernement considère qu'il est plus efficace pour obtenir un soutien des agriculteurs de verser des subventions aux associations agricoles que de financer l'enseignement supérieur.

Il est significatif que soit supprimée en même temps l’École d’Administration qui devait « démocratiser » l’appareil d’État. L’orientation réactionnaire de ces premières décisions du nouveau Président de la République est évidente.

Soumis à la pression des anciens élèves qui souhaitent la réouverture de leur établissement d'origine, le gouvernement impérial constitue, en 1866, une Commission chargée d'étudier la réorganisation de l'enseignement agricole. Il est précisé qu'il ne s'agit pas d'y parvenir par la restauration d'une école supérieure, mais par « la modification des programmes des écoles régionales ou mieux par leur transformation. » Après de nombreuses délibérations, la Commission souligne le vide laissé par la suppression de l'INA de Versailles.

Le rapporteur note que l'agriculture, première des industries en France, a le moins bénéficié des acquis de la science, et il écrit : « Le doute, l'obscurité, couvrent encore les questions fondamentales [. . .] on serait tenté de croire que l'agriculture est à ce qu'elle doit être ce qu'était l'alchimie du XVIIIe siècle à la chimie moderne. » Le plaidoyer en faveur du développement de la recherche scientifique au plus haut niveau est particulièrement vigoureux !

La Commission réclame donc la création « d'une école scientifique de premier ordre, d'une sorte d'école polytechnique de l'agriculture comme l'avait été un moment l'ancien Institut agronomique. » Elle ajoute que l'établissement doit être installé à Paris, foyer du mouvement scientifique, disposant d'un champ d'expériences d'une quarantaine d'hectares, précise le contenu et l'organisation des études, et propose que l'enseignement soit payant. Rendu public, le rapport ravive le débat sur la réouverture de l'INA.

En 1872, après la guerre, le groupe des « députés agriculteurs » reprend les conclusions de la Commission de 1866 et présente une proposition de loi. L'Assemblée nationale constitue une commission pour étudier la réorganisation de l'enseignement supérieur de l'agriculture. Le comte de Dampierre présente le rapport le 17 mars 1875, il prévoit la création à Paris d'un « institut destiné à donner l'enseignement supérieur théorique de l'agriculture », sous le nom de « faculté d'agriculture ». La commission estime que cette faculté doit être organisée comme les facultés de droit et de médecine, elle s'inspire en cela de l'exemple des Académies agricoles allemandes dont le célèbre Liebig fut le promoteur.

La loi, enfin votée le 9 août 1876, « crée, à Paris, une école destinée à l’étude et à l’enseignement des sciences dans leurs rapports à l’agriculture. »

Cette école, installée, par souci d'économie, au Conservatoire des Arts et Métiers, à Paris, prend le nom d'Institut Agronomique. Le gouvernement et les élus ont estimé que l’établissement doit être à Paris pour avoir les meilleurs enseignants et disposer de laboratoires de qualité, Versailles étant trop éloigné. En outre, l’avis dominant est que pour former des cadres supérieurs, il n’est nul besoin d’un grand domaine agricole annexé ; des champs d’expériences suffisent. L'Institut doit assurer un enseignement théorique, les élèves acquérant une instruction pratique grâce à des stages dans des exploitations modernes durant les vacances, ainsi qu'à la sortie de l’établissement. En effet, pour les promoteurs de l'institut, l'apprentissage de la direction d'une exploitation agricole, du commandement des hommes, ne peuvent s'acquérir « qu'en vivant plus ou moins longtemps dans une exploitation, qu'en participant, sous les yeux d'un maître expérimenté, à une responsabilité toujours croissante. »

S'inspirant de l’École de médecine, de l’École polytechnique et de l’École centrale, « on commence par l'abstraction et l'on finit par la pratique ». Cette conception est en rupture avec celle qui a présidé à l'élaboration du décret de 1848, et qui insistait sur l'importance de l'apprentissage dans une exploitation agricole, liant enseignement théorique et analyse de la mise en pratique ce qu'on appelait l'instruction appliquée.

L'arrêté ministériel du 3 décembre 1876 précise l'organisation de l'Institut, il est complété par un règlement intérieur approuvé par le ministre et un programme élaboré par la direction de l'Agriculture du ministère. Le programme précise le but de l'établissement : « favoriser le progrès et élever le niveau de la science dans ses rapports avec toutes les branches de la production animale et végétale, en formant :

1° des agriculteurs et des propriétaires possédant toutes les connaissances scientifiques nécessaires pour la meilleure exploitation du sol ;

2° Des administrateurs instruits et capables pour les divers services publics ou privés dans lesquels les intérêts agricoles sont engagés ;

3° des professeurs spéciaux pour l'enseignement agricole et des directeurs de stations de recherches agronomiques. »

L'Institut se compose « 1° de l'école des hautes études de l'agriculture instituée au Conservatoire des Arts et Métiers, qui est le siège de l'enseignement proprement dit ; et 2° d'un grand établissement de recherches et d'expérimentation créé à la ferme de Vincennes. »

L’INA ouvre ses portes le 6 décembre 1876 avec 26 élèves, dont 6 étrangers, recrutés par concours parmi 32 candidats, et 96 auditeurs libres. L’établissement comporte 17 chaires dont les titulaires sont des scientifiques réputés, chacun assisté d’un répétiteur. Parmi les premiers enseignants se trouvent Moll en Agriculture, Becquerel en Physique et météorologie, Léonce de Lavergne et Lecouteux en Économie rurale, Risler en Agriculture comparée, Prilleux en Botanique, du Breuil en Arboriculture, Tresca en Mécanique, etc. La ferme de la Faisanderie, à Joinville-le-Pont, devient champ d’expériences et d’exercices des élèves.

Pour être admis comme élèves réguliers, les candidats doivent être titulaires du baccalauréat ès-sciences ou subir avec succès un examen portant sur les matières scientifiques contenues dans le programme du baccalauréat. La durée des études est de deux ans. Les élèves dont les parents ne sont pas agriculteurs effectuent un stage de deux mois dans une exploitation agricole pendant les vacances entre la première et la seconde année, les autres l’effectuent chez les parents. Les élèves sont externes, il sont à l’École de 8h00 à 16h00 ; le déjeuner, libre, ayant lieu de 11h30 à 13h00. Les deux cours quotidiens ont lieu le matin, l’après-midi étant consacré aux exercices et travaux de laboratoires. Le jeudi est réservé aux visites et excursions.

Les élèves obtiennent le Diplôme de l'enseignement supérieur de l'agriculture, qui dispense de l'examen du volontariat militaire d'un an. En 1892, un arrêté ministériel indique que les titulaires du diplôme prennent le titre d'ingénieur agronome. Les deux premiers reçoivent une mission d’études de trois ans, un certain nombre d’autres sont admis pour un an à se perfectionner dans les laboratoires de l’INA, les premiers d'entre eux bénéficiant d'une allocation. Pour cette troisième année, les jeunes ingénieurs agronomes peuvent également travailler dans un grand domaine en France ou à l'étranger, ils sont alors suivis, depuis l'INA, par un enseignant d'agronomie et rendent compte chaque mois de leur activité au directeur, ils remettent à l'issue de l'année un rapport qui est noté.

Le but de l'établissement est précisé et élargi en 1888, il s’agit de former des spécialistes de haut niveau pour l’agriculture, pour l’Administration et l’enseignement et pour les entreprises de la sphère agro-industrielle qui commence à se développer. C’est l’encadrement technico-économique de l’agriculture qui se met en place et qui va, durant les décennies suivantes, organiser l’évolution de ce secteur .

Les deux premières promotions sont de 27 et 30 élèves, mais elles atteignent ensuite de 40 à 50 élèves. La place manque, en 1883, l'effectif total est de 140 et il est impossible de rester au Conservatoire des Arts et Métiers. Avec l'appui du ministre de l'Instruction publique, Jules Ferry, le ministère de l'Agriculture obtient, le 23 décembre 1882, la propriété du terrain où s'élève l'ancienne École de Pharmacie, rue Claude Bernard à Paris. Afin de respecter les consignes d'économie du ministre de l'Agriculture, de Mahy, les bâtiments anciens sont rénovés et dès le mois d'octobre 1897, les élèves de deuxième année y étudient. En 1889, les travaux s'achèvent, et à la rentrée suivante toute l’École s'installe dans ses nouveaux locaux qui sont inaugurés le 27 novembre 1890. L’Institut ne devait plus en bouger.

Plusieurs stations sont annexées progressivement à l'Institut, elles réalisent des travaux à la demande du gouvernement et sont des centres d'enseignement pratique pour la troisième année des ingénieurs agronomes. En 1884 est créée la station d'essais de semences, puis c'est la station d'essais de machines (1887), le laboratoire de fermentations (1888), la station d'entomologie (1894), le laboratoire de viticulture et d'œnologie (1897), la station expérimentale d'hydraulique agricole.

En 1901, l'INA est doté de la personnalité civile, ce qui s'accompagne de la mise en place d'un Conseil d'administration composé d'un sénateur et d'un député, de trois professeurs de l'institut et de quatre personnalités agricoles ou scientifiques, le directeur en est membre de droit. Cette même année, l'Institut abandonne la ferme de Joinville-le-Pont et l'année suivante le ministère de l'Agriculture passe accord avec un ancien élève qui met à disposition de l'établissement un domaine de 281 hectares à Noisy-le-Roi, près de Versailles.

Le nombre de candidats augmente après les décrets de 1889 et 1892 réservant l’entrée à l’École Forestière et à l’École des Haras aux diplômés de l’INA. Très rapidement, le nombre d’élèves de l’INA est beaucoup plus élevé que celui d’une École nationale, la sélection à l’entrée est également plus sévère. Elle s’accentue au moment où les ENA doivent assouplir la leur pour recruter suffisamment d’élèves.

Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire
Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire
Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire

Présenté en 1876 comme l’école polytechnique de l’agriculture, l’Institut joue un rôle dans la recherche appliquée comme en attestant les travaux de ses enseignants et anciens élèves ; il assure aussi la formation des cadres administratifs et économiques dont manque l’agriculture. Enfin, l’expansion nouvelle de l’enseignement agricole après 1871 offre des débouchés aux ingénieurs agronomes, bien que les salaires faibles de ce secteur ne les attirent que modérément. L’INA est bien un établissement très différent des Écoles nationales, comme le voulait le texte de 1876.

Pour autant, la situation matérielle de l'établissement est loin d'être satisfaisante, comme le dénonce Méline en 1908, lors de la discussion du budget : amphithéâtres insuffisants, installation des instruments de recherches misérable ; des professeurs n'ont pas de laboratoire, d'autres en ont un si bas de plafond que l'on peut à peine s'y tenir debout et si exigu qu'on ne peut y admettre des élèves ; le crédit alloué pour les dépenses de laboratoire est dérisoire. Le ministre, Ruau, reconnaît que ce tableau est au-dessous de la réalité et promet d'obtenir une amélioration pour le budget suivant …

Il y a toujours une grande distance entre les discours à la gloire de l'enseignement agricole et les moyens effectivement engagés par l’État.

  • Les Écoles Nationales

A la fin du XIXe siècle, apparaît un nouveau type d’école nationale, spécialisée dans un secteur particulier et non plus à large vocation comme les Écoles nationales d'agriculture.

Ces écoles se créent au moment où les industries liées à l’agriculture se développent. C’est le cas de l’industrie laitière, et des industries liées aux grandes cultures. En cette période où la situation agricole n'est pas bonne, la concurrence des autres pays européens se fait sentir. Les industriels français de ce secteur que l’on n’appelle pas encore l’agroalimentaire, sentent le besoin d’une main d’œuvre qualifiée et d’ingénieurs spécialisés, capables d’appliquer les découvertes scientifiques en matière de transformation (microbiologie, techniques frigorifiques, …). Mais ces formations demandent des équipements coûteux, et les professionnels vont se tourner vers l’État pour qu’il prenne en charge cet enseignement. Le nombre des diplômés reste faible jusqu’à la Première Guerre Mondiale, le recrutement étant avant tout régional.

  • L’École nationale d’Horticulture (ENH)

Elle est installée en 1874 à Versailles. Auparavant, l’enseignement public de l’horticulture était limité à quelques cours subventionnés par l’État, les départements ou les villes, ou encore par les Sociétés Horticoles. En outre, cet enseignement portait uniquement sur l’arboriculture fruitière.

En 1848, le professeur du Breuil avait adressé au Ministre de l’Agriculture et du Commerce un « Projet de décret relatif à l’enseignement de l’horticulture », qui ne fut pas suivi d’effet. En 1850, la Société nationale et centrale d’Horticulture de France publiait un programme pour l’enseignement de l’horticulture à l’école primaire. En 1852, le professeur du Breuil était chargé d’un « cours nomade d’arboriculture » qui le conduisait à travers de nombreux départements. En 1868, il installait au Bois de Vincennes, sur un terrain de 5 ha, « l’École Municipale et Départementale d’Arboriculture de Paris ».

En 1871, le Conseil général de Seine-et-Oise, puis en 1872, la Société des Agriculteurs de France, souhaitent la création d’un enseignement horticole. Un projet de loi pour l’installation d’une École nationale d’Horticulture dans l’ancien potager de Louis XIV à Versailles est déposé à l’Assemblée nationale le 2 juillet 1872. La loi est votée le 16 décembre 1873.

L’école a pour but de former :

« 1°) des horticulteurs, des pépiniéristes et des marchands grainiers, capables et instruits, possédant de sérieuses connaissances horticoles u double point de vue théorique et pratique ;

2°) des chefs de jardins botaniques, des professeurs d’horticulture, des architectes et des dessinateurs paysagistes, des entrepreneurs de jardins, des conducteurs de travaux, etc… ;

3°) des chefs de culture pour l’enseignement de l’horticulture pratique dans les écoles d’agriculture, dans les écoles normales ;

4°) des régisseurs, des chefs jardiniers et des jardiniers pour les divers services publics ou privés ;

5°) des agents de culture pour les jardins coloniaux et pour les exploitations coloniales ».

Il s’agit donc de former à la fois des praticiens et des enseignants, comme dans les autres écoles nationales.

Les études durent trois ans, elles sont gratuites. Les élèves sont externes. L’entrée a lieu sur examen portant sur les connaissances générales de l’école primaire ; en sont dispensés les titulaires du certificat d’études primaires et les diplômés d’école pratique d’agriculture.

Les cours sont complétés par des exercices ou travaux pratiques. Les élèves assurent l’ensemble des travaux de l’école. Ils apprennent également les métiers annexes à l’horticulture : confection des bâches et châssis, travaux de réparation des serres et instruments, opérations d’emballage, conservation et expéditions des fruits, légumes et plantes, … Les élèves passent successivement par les six sections de l’école : culture des arbres fruitiers, culture des primeurs, culture des plantes de serre, floriculture de plein air et floriculture d’ornement, culture potagère, travail aux ateliers. Malgré son nom, c’est plutôt une école comparable aux écoles pratiques formant des praticiens.

De 1874 à 1898, 1 032 élèves sont passés par l’ENH, soit environ 41 par promotion. Ils viennent essentiellement des département de Seine et Seine et Oise.

 

  • L’École nationale laitière de Mamirolle

C’est un arrêté du 19 juin 1888 qui crée l’École nationale de Laiterie, installée à Mamirolle, près de Besançon dans le Doubs. Il s’agit de répondre aux besoins de l’industrie laitière qui se développe à cette époque : former des ouvriers pour les fruitières et les laiteries, et des industriels ayant de solides connaissances techniques.

L’école est implantée sur un petit domaine, et possède une installation pour la fabrication du fromage, du beurre, du lait stérilisé. Chaque jour sont traités 7 à 800 litres de lait. Un laboratoire d’analyse est annexé à l’école. Les études durent un an, en externat. L’enseignement est à la fois théorique et pratique. Les travaux pratiques étant difficiles, les élèves doivent avoir environ 18 ans à l’entrée. Ce sont eux qui exécutent tous les travaux de l'établissement.

Les promotions sont de 15 à 20 élèves. En 1894, 64 jeunes gens diplômés sont sortis de l’école, ainsi que 58 élèves libres. En 1900, ce sont 142 jeunes venus de 30 départements qui sont passés par l’école.

En 1894, Tisserand considère l’ENL comme équivalente aux écoles régionales : « La région de l’Ouest, c’est-à-dire celle des herbages et du cidre, a son école à Grandjouan, celle des céréales à la sienne, Grignon ; celle de la vigne, du mûrier, de l’olivier, possède Montpellier. Enfin la grande région pastorale et des fruitières de l’Est a l’École de Mamirolle ».

En 1888 est créée l’école départementale de fromagerie de Poligny dans le Jura, puis, en 1906, celle de beurrerie de Surgères dans les Charentes. Poligny devient école nationale en 1892.

 

  • L’École nationale des Industries agricoles et des Cultures industrielles

C’est un arrêté du 20 mars 1893 qui créé l’ENIA, dans la région du Nord « où la culture a une si grande importance, qui possède des industries agricoles considérables, des cultures industrielles du plus haut intérêt ».

L’ENIA s’installe à Douai, dans les locaux laissés libres par le transfert à Lille des Facultés des Lettres et de Droit. Un important crédit permet de construire des laboratoires de recherche, équipés de matériel industriel pour la sucrerie, la distillerie et la brasserie.

L’ENIA doit former deux catégories de spécialistes : des ouvriers et des contremaîtres, d'une part, des « chefs d’industrie », d'autre part.

Pour le premier niveau, les élèves viennent des écoles primaires supérieures des fermes-écoles, des écoles pratiques agricoles ou industrielles. Ils suivent l’enseignement durant deux ans. Les élèves du second niveau sont issus des « Grandes écoles », Institut Agronomique, Écoles nationales d’Agriculture, École Centrale, etc. Leur formations scientifique élevée permet de les spécialiser en une année. Ce sont des « Élèves ingénieurs ».

Le régime de l’école est l’externat. Les cours sont obligatoires pour les élèves du premier niveau, ils sont facultatifs pour les élèves ingénieurs. La division sociale se manifeste clairement dans cet établissement qui prépare à des emplois industriels. La coupure est nette entre ingénieurs et ouvriers ou contremaîtres.

L’établissement possède, en plus des laboratoires, des installations permettant de traiter chaque jour 20 tonnes de betteraves, de fabriquer 10 hectolitres d’alcool et 12 hectolitres de bière.

L’ENIA est donc un établissement très bien équipé, permettant d’assurer une formation de qualité pour les industries agricoles. Il est lié aux entreprises de la région, qui assurent l’emploi des élèves sortant.

En 1913, il y a, selon Chatelain, 20 étudiants à l’ENIA.

 

  • L'enseignement supérieur féminin

En 1910, dans son rapport sur le budget de l'Agriculture, Fernand David souhaite une augmentation des divers types d’écoles féminines agricoles. Il demande la création d’une « école supérieure ménagère agricole » afin de former le personnel des écoles ménagères. C’est en 1912, le 14 mai, que le ministre de l’Agriculture crée l’ « école supérieure d'enseignement agricole et ménager » installée à Grignon. Il s’agit d’une décision importante, le ministère reconnaissant que le développement de l'enseignement agricole féminin est lié à l’existence d’un cours professoral de qualité.

 

  • L’École supérieure d'enseignement agricole et ménager de Grignon

Elle a, en fait, deux missions :

« 1° - former des maîtresses capables de donner un enseignement agricole et ménager très pratique,

2° - donner aux filles de propriétaires, de fermiers, une saine éducation en rapport avec la profession agricole, ainsi qu'un instruction agricole et ménagère ».

La formation est organisée en deux section : la section normale supérieure pour la préparation des professeurs et directrices d’écoles agricoles et ménagères ; la section d’enseignement supérieur pour les jeunes filles d'agriculteurs qui désirent réussir un enseignement ménager ou un enseignement de la laiterie.

Les études ont lieu pendant la période où les jeunes gens ne sont pas présents dans l’École nationale d’Agriculture de Grignon, c’est-à-dire du 15 juillet au 15 octobre.

L’enseignement dans la section normale supérieure est d’un an et demi ; il est théorique et pratique, mais surtout pratique, les élèves ayant au départ des connaissances générales. Le recrutement se fait par concours ouvert aux jeunes filles de plus de 19 ans, ayant le brevet élémentaire. Le programme du concours correspond au programme des écoles normales d’institutrices.

Ceci permet de ne pas faire d’enseignement scientifique de base pendant leur séjour à l’école. Une épreuve orale d’économie domestique a pour but de vérifier que « la candidate s’est déjà occupée d'économie domestique, de ménage, au lieu de se consacrer exclusivement à des travaux intellectuels, dédaigneuse des travaux de la vraie maîtresse de maison, […]. » L’orientation est bien claire, il s’agit de former des monitrices pour un enseignement essentiellement pratique.

La section d'enseignement supérieur reçoit pendant deux sessions de trois mois des filles d’agriculteurs. L’enseignement est essentiellement professionnel, et comparable à celui donné dans l’autre section. L’entrée se fait sur inscription, il y a concours si le nombre de candidates est supérieur au nombre de places. Les élèves doivent avoir au moins 16 ans.

Lors de la première session, du 15 juillet au 15 octobre 1912, l’école reçoit 40 élèves. Puis en 1913, 50 nouvelles élèves viennent à Grignon. Mais en 1914, à la mobilisation, l’école est fermée, et les cours ne reprennent qu’au printemps 1915, avec un nombre réduit d’élèves.

L’année 1912 est donc marquée à la fois par la mise en place d’une formation de monitrices pour l’enseignement ménager et par le doublement du nombre d'écoles ménagères ambulantes. Il s’agit bien là d’une nouvelle politique visant à développer le secteur public d'enseignement agricole. Mais les résultats sont encore très faibles.

  • L’enseignement agricole dans les établissements universitaires

Durant la période étudiée, l’enseignement de l’agriculture se développe dans un certain nombre d’établissements supérieurs dépendant du Ministère de l’Instruction publique.

  • Enseignement supérieur

Les Universités étaient peu orientées vers l’enseignement de professions à caractère technique. outre les formations anciennes, médecine et droit, l’enseignement est de caractère général et le débouché en est souvent le professorat. Pourtant, en 1855, une circulaire ministérielle du 30 novembre, définit le rôle des Facultés des Sciences et insiste sur l’importance de l’enseignement des applications :

« Les Facultés des Sciences ont une double mission : il faut, d'une part, qu’elles exposent les sciences dans leurs principes et qu’elles s’élèvent jusqu’à ces hautes spéculations, jusqu’à ces admirables découvertes où se révèle si bien la puissance de l’intelligence humaine ; mais elles doivent, d’autre part, rattacher à cet enseignement purement scientifique, qui ne saurait convenir qu’à un petit nombre d’auditeurs d’élite, les fécondes applications, qui, en contribuant chaque jour aux progrès des arts et de l'industrie, peuvent exciter à si juste titre l’intérêt d toutes les classes de la société ».

Ce n’est cependant qu’après la réforme universitaire des années 1890 que les facultés vont prendre en compte les problèmes économiques et techniques régionaux. En particulier, l’autonomie des universités leur permet d’adapter les recherches et l’enseignement selon les besoins formulées localement. L’incitation principale est d’ordre financier : de 1890 à 1914, les universités récoltent environ 20 millions de francs de fonds privés, utilisés pour créer de nouvelles chaires et acheter de nouveaux équipements. « Comme les donateurs voulaient voir des résultats pratiques et satisfaire à des besoins économiques spécifiquement locaux, il commença à se développer dans les facultés des sciences une forte tendance à la recherche et à la formation industrielle et agricole ».

Diverses facultés et écoles supérieures sont amenées à assurer des formations en relation avec l’agriculture à partir de la fin du XIXe siècle. Dans deux Universités, Nancy et Toulouse, sont créés des Instituts Agricoles.

* L’institut Agricole de Nancy est installée en 1901. Il s’appuie sur l’expérience de la Chaire de Chimie agricole confiée à Grandeau, créateur à Nancy en 1867, de la première station agronomique française, et fondateur des Annales de la Science Agronomique Française et Étrangère.

L’enseignement a une durée de deux ou trois ans, aucun diplôme n’est exigé à l’entrée des candidats, âgés de 17 ans au moins. Cependant, ceux qui postulent le titre de licencié ès-sciences doivent être bacheliers. Les études sont sanctionnées par le Diplôme d’Études Supérieures Agronomiques avec la mention Ingénieur. La troisième année est réservée aux diplômés souhaitant une spécialisation plus poussée.

* L’Institut Agricole de Toulouse est fondé en 1909, avec le concours des Conseils Généraux de Haute-Garonne, Ariège, Gers, Hautes-Pyrénées, de la ville de Toulouse et des Sociétés Agricoles régionales. La durée des études est de deux ans, pour des candidats ayant 16 ans au moins et satisfaisant à l’examen d’entrée. Les études sont sanctionnées par un Diplôme d’Études Supérieures Agricoles.

L’Université de Toulouse, implantée dans une région agricole, a orienté son activité vers l’agriculture dès 1888 avec l’ouverture d’un cours public de chimie agricole.

 

Le début du XXe siècle voit donc apparaître un certain nombre de formations universitaires liées à l’agriculture. Mais le fait important est surtout la création des Instituts Agricoles de Nancy et Toulouse qui vont se développer après la Première Guerre Mondiale.

 

  • L’enseignement supérieur privé

Au niveau supérieur, deux établissements jouent un rôle important pour former des cadres et des agriculteurs selon les orientations de la droite agrarienne.

  • Institut Agricole de Beauvais,

C’est en 1855 qu’est fondé l’Institut, section spéciale d’une « école normale d’instituteurs » dirigée par les Frères des Écoles Chrétiennes. Cet Institut Agricole est créé par la Société d’Agriculture de Compiègne, le Préfet de l’Oise et le professeur d’agriculture installé à Compiègne, Louis Gossin.

L’Institut assure à la fois la formation d'enseignants agricoles et d’agriculteurs, souvent propriétaires de domaines importants. Les études, théoriques et pratiques, durent trois ans. L’enseignement théorique est assuré par des professeurs religieux et séculiers. L’enseignement pratique a lieu dans 4 fermes annexes, de 200 ha. A la fin de la deuxième année, les élèves passent le brevet de capacité agricole. En troisième année, pour obtenir le diplôme supérieur agronomique ils donnent une leçon et présentent une « thèse agricole » devant un jury constitué avec l’aide de la Société des Agriculteurs de France.

En 1900, Duguay estime que presque tous les anciens élèves de Beauvais font valoir des domaines, des industries agricoles, la plupart comme propriétaires ou directeurs”. Ceci correspond à l’objectif assigné à l’Institut : former “ceux qui veulent gérer eux-mêmes leurs propriétés ou se placer dans une exploitation agricole”.

  • École Supérieure d'Agriculture d’Angers

Elle s'ouvre seulement en 1898 à l’initiative d'une association de propriétaires terriens de l’Ouest et à l’Union des Syndicats agricoles de l’Ouest, afin de « fournir tous les éléments d’une formation professionnelle complète aux jeunes gens désireux de se consacrer sérieusement à la gestion d’un domaine ». L’École relève de l’Université Catholique de l’Ouest.

Les études durent deux ans et aboutissent au diplôme d’ingénieur agricole de l'ESAA. La Société des Agriculteurs de France appuie l’École, et aide à constituer les jurys de fin d’études.

Enfin, l’Union du Sud-Est, avec les Facultés Catholiques de Lyon, organise une “Faculté d’Agriculture” pour former des professeurs pour l’enseignement agricole.

 

  • Tentative d'estimation des flux

En 1870, à la fin du Second Empire, il sort annuellement au niveau primaire 330 jeunes garçons, ainsi que 60 cadres venus des anciennes écoles régionales. A cette époque, la population active agricole est d’environ 7,2 millions de personnes. C’est dire que l’enseignement agricole n’a qu’un impact dérisoire sur les agriculteurs.

En 1894, les flux annuels de sortie sont de 180 au niveau primaire, 400 pour le secondaire et 287 pour le supérieur.

A la veille de la Première Guerre mondiale, le niveau primaire n’est plus que « résiduel » avec un flux annuel de 87 jeunes garçons. Au second degré, l’enseignement saisonnier, notamment féminin, prend de l’ampleur, mais les établissements à temps plein s’essoufflent. Le niveau supérieur s’est diversifié et il forme environ 300 cadres par an, dont 45 femmes. La population active agricole est alors de 8,6 millions de personnes.

 

Il n’y a pas de véritable formation professionnelle agricole en France, 70 ans après le décret instituant cette formation. L’existence d’un enseignement agricole privé ne modifie pas cette situation. La seule formation réelle, dépendant du Ministère de l’Agriculture pour l’essentiel, est celle des ingénieurs.

En 1918, comme au début du XIXe siècle, la formation professionnelle agricole n’existe qu’« au sommet ». La bourgeoisie ne voit aucun intérêt à donner à la masse des agriculteurs une réelle qualification. Le prélèvement de capital et de main-d’œuvre dans l’agriculture demeure en effet essentiel au développement des autres secteurs. L’agriculture, protégée par de nombreuses réglementations douanières, fonctionne avec une faible productivité du travail, et peu « d'investissements intellectuels »

 

III - La loi du 2 août 1918, la « charte de l'enseignement agricole »

Le projet de loi présente un ensemble structuré allant de l'Institut National Agronomique aux cours d'enseignement agricole post-scolaires.

Il faut noter qu'à la différence du décret de 1848, les niveaux ne sont pas clairement distingués, et que le texte les cite par ordre décroissant. Il n'y a plus, comme au milieu du XIXe siècle, une correspondance entre les niveaux de formation et un projet d'évolution de l'agriculture. Il s'agit maintenant de former professionnellement la masse des agriculteurs, et il est nécessaire de faire appel à des cours post-scolaires car la capacité des écoles est limitée.

Autre différence significative, le projet organise également l'enseignement agricole pour les jeunes filles. Il s'appuie sur les premières réalisations d'enseignement ménager faites depuis la fin du XIXe siècle.

Le texte prévoit donc que l'enseignement public de l'agriculture est donné :

« I - Pour les jeunes gens :

1 - à l'Institut National Agronomique qui est l'école normale supérieure de l'agriculture,

2 - dans les écoles nationales d'agriculture de Grignon, de Montpellier et de Rennes qui sont des écoles supérieures d'agriculture,

3 - dans les écoles d'agriculture comprenant : a) les écoles pratiques d'agriculture ; b) les fermes-écoles ; c) les écoles techniques dont l'enseignement a pour objet une spécialité agricole ;

4 - dans les écoles d'agriculture d'hiver ou saisonnière,

5 - dans les cours d'enseignement agricole postscolaire.

L'enseignement public de l'horticulture proprement dite est donné :

1 - à l’École nationale d'Horticulture de Versailles qui est l'école supérieure de l'horticulture,

2 - dans les écoles d'horticulture prévues au paragraphe c (écoles techniques).

II - Pour les jeunes filles

1 - à l'Institut National Agronomique,

2 - dans les Écoles nationales d'Agriculture.

L'une des écoles prévues aux deux paragraphes précédents, comprend une section normale supérieure pour la préparation des professeurs et des directrices de toutes les écoles d'enseignement agricole ménager ;

3 - dans les écoles agricoles ménagères qui peuvent être fixes, temporaires fixes ou temporaires ambulantes et qui prendront le nom : d'écoles agricoles et ménagères, d'écoles agricoles et ménagères temporaires, d'écoles agricoles et ménagères ambulantes,

4 - dans les cours d'enseignement agricole ménager post-scolaires ».

 

C'est le décret du 23 juin 1920 qui organise la mise en œuvre de la loi pour les jeunes gens, ce n'est que le 24 décembre qu'est publié le décret sur l'enseignement féminin. En outre, le 5 août 1920 est promulguée la loi « relative à la création et à la transformation d'écoles d'agriculture » permettant au Ministre de l'Agriculture d'engager, à partir de 1921, les dépenses nécessaires à « l'application intégrale de la loi du 2 août 1918 ». Elle institue, pour ce faire, un prélèvement de 1 %, puis 0,5 %, sur les sommes engagées au Pari Mutuel [sic].

 

 

  • L'Institut National Agronomique

Comme en 1848, la loi de 1918 présente l'INA comme « l'école normale supérieure de l'enseignement agricole ». Mais, le rapporteur Plissonnier ajoute qu'on peut le considérer comme « l'école polytechnique de l'agriculture ». Il est, selon les termes de la loi de 1876, destiné « à l'étude et à l'enseignement des sciences dans leur rapport avec l'agriculture ». Le rapporteur ajoute que l'Institut est « le seul qui donne un enseignement supérieur », ce qui est étonnant puisqu'il a présenté les Écoles nationales comme des « écoles supérieures d'agriculture ».

Ce qui est nouveau pour l'INA, est la volonté de mettre en place des « écoles d'application ». En effet, dit le rapporteur, « il est impossible, dans l'état actuel de nos connaissances scientifiques, d'enseigner à la fois, dans le même temps et le même lieu, la science et le métier. » Après l'étude des sciences à l'INA, il faut étudier le métier. L'expérience a montré que le système du stage chez un agriculteur ou dans une entreprise d'industrie agricole, n'est pas satisfaisant. En général, le stagiaire « est livré à lui-même et doit se contenter de quelques explications du contremaître ou des ouvriers ».

Une école d'application est donc nécessaire, elle sera constituée par des sections spécialisées établies sur le domaine des Écoles nationales.

L'école forestière de Nancy, l'école des haras et l'école nationale des industries agricoles sont des écoles d'application de l'INA.

L'arrêté du 18 décembre 1920 relatif au fonctionnement de l'INA précise qu'il a pour but de former :

« 1°) des agriculteurs et des propriétaires possédant les connaissances scientifiques nécessaires pour la meilleure exploitation du sol,

2°) des professeurs pour l'enseignement agricole,

3°) des administrateurs pour les divers services publics ou privés dans lesquels les intérêts de l'agriculture sont engagés,

4°) des agents pour l'administration des forêts,

5°) des agents pour l'administration des haras,

6°) des ingénieurs pour le Service du Génie Rural,

7°) des directeurs de stations agronomiques,

8°) des chimistes ou directeurs pour les industries agricoles, sucreries, féculeries, distilleries, fabriques d'engrais, etc. »

L'INA reçoit des élèves recrutés par concours, âgés d'au moins 17 ans, les candidats diplômés des Écoles nationales d'Agriculture bénéficient d'une majoration de points, et peuvent disposer de bourses d'études spéciales. A la fin des deux ans d'études, les élèves ayant une moyenne suffisante reçoivent le titre d'ingénieur agronome, sinon ils reçoivent un Certificat d'études. Les ingénieurs peuvent se spécialiser dans l'une des écoles d'application.

Le seul changement par rapport à la situation antérieure est donc l'ouverture des écoles d'application. Pour mémoire, rappelons que les jeunes filles ont accès à l'INA depuis 1917 et que la loi le confirme.

En 1926, il y a 22 professeurs, 8 maîtres de conférences, 8 chefs de travaux et 9 préparateurs, répétiteurs et assistants, soit 47 enseignants au total. Le personnel administratif comprend un directeur, un agent comptable, un directeur des études, des surveillants, un bibliothécaire.

Les élèves diplômés, à partir de 1920, ont la possibilité de suivre les diverses écoles d'application, de faire des stages dans les laboratoires du Ministère de l'Agriculture, ainsi que dans les stations de recherches dirigées par des enseignants de l'INA ; telles celles sur la Viticulture, l'Entomologie agricole, les Fermentations, les Machines agricoles, les semences, etc.

Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire

Il convient d'être prudent sur la valeur de ces chiffres, car, par exemple, pour 1939 CHATELAIN donne 236 élèves présents, l'INSEE en donne 278. Cependant, l'accroissement à partir de 1919 est évident et les effectifs sont supérieurs à ceux de la période 1876-1912. Il est probable que les possibilités de spécialisation après l'obtention du diplôme ont attirés des élèves plus nombreux.

Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire
Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire

l y a donc une diminution sensible du pourcentage d'agriculteurs formés, et une baisse très forte des enseignants et chercheurs du secteur public. L'orientation vers la Fonction Publique est maintenue, et de plus en plus d'agronomes se dirigent vers les industries agricoles et le commerce où ils exercent des fonctions de cadres supérieurs.

Il n'y a donc pas de transformations profondes a l'INA entre les deux guerres, mais surtout une évolution des emplois exercés par des ingénieurs agronomes.

  • Les Écoles nationales d'Agriculture

Les ENA sont en place depuis la fin de la guerre de 1870. En 1918, Plissonnier estime que "si l'école de Grignon ne laisse rien à désirer par suite des améliorations nombreuses qui y ont été apportées depuis une quinzaine d'années, par contre, les écoles de Montpellier et Rennes demandent de sérieuses retouches. A l'école de Rennes, notamment, les bâtiments d'exploitation sont toute à fait défavorables ; la ferme est à reconstruire entièrement".

L'autre insuffisance est le manque d'industries annexées à la ferme. C'est pour y répondre que des sections d'application doivent s'installer sur le domaine des ENA.

Enfin, les élèves diplômés peuvent passer le concours du professorat agricole, comme les ingénieurs agronomes. Les en empêcher serait "antidémocratique", mais surtout les ingénieurs agronomes étant peu nombreux à se tourner vers l'enseignement agricole, on a besoin des ingénieurs agricoles.

Les conditions d'études et de recrutement sont celles qui existent depuis le début du siècle. Les diplômés ont le titre d'ingénieur agricole. A noter qu'en 1924, les élèves pourront préparer le diplôme d'ingénieur-docteur à l'Université.

Les trois Ecoles Nationales vont bénéficier de la loi de 1918 de deux manières : d'une part des moyens financiers nouveaux leur permettent d'améliorer leurs équipements, d'autre part, elles deviennent réellement des établissements d'enseignement supérieur et voient les promotions augmenter.

Les ENA, en effet, ne sont pas placées clairement dans l'enseignement supérieur par la loi. C'est le maintien de la situation ambiguë qui existait avant 1914. La loi prévoit des bonifications de points pour les élèves des ENA désireux d'entrer à l'INA, ce qui semble placer ces écoles dans le second degré.

Mais l'arrêté du 18 décembre 1920 relatif au fonctionnement des ENA, leur assigne un but quasi identique à celui de l'INA. Cependant, les ENA ne peuvent former des agents pour l'administration des haras, des forêts ou des ingénieurs du génie rural. Le premier objectif est également légèrement différent. Si à l'INA on forme « des agriculteurs et des propriétaires », dans les ENA il s'agit « des agriculteurs qui se destinent à la gestion des grands domaines ruraux, soit pour leur propre compte, soit pour le compte d'autrui ». On estime donc que les propriétaires terriens non exploitants préfèrent passer à l'INA, école plus prestigieuse...

A leur création, les écoles régionales devenues nationales, étaient nettement au dessous de l'INA. En 1918, le relèvement du niveau est évident, les buts se rapprochent, mais la pratique a toujours une grande part dans les ENA, alors qu'à Paris l'insistance est mise sur les connaissances scientifiques.

Le fait qui va nettement placer les ENA dans l'enseignement supérieur est la possibilité pour les ingénieurs agricoles d'accéder directement à la section d'application préparant au professorat agricole. Ceci est confirmé par la loi du 5 août 1920 qui leur donne la personnalité civile et les constitue en établissements publics. Les crédits supplémentaires obtenus en application de la loi de 1920 permettent d'améliorer la situation matérielle des trois écoles.

A Grignon, qui était l'établissement le mieux équipé, les améliorations sont pourtant nombreuses : construction de laboratoires, d'un amphithéâtre, installations électriques, réfection des bâtiments scolaires, construction d'un internat, extension des bâtiments de la ferme, etc... En 1918, la ferme extérieure qui avait été séparée de l'Ecole en 1867 revient au Ministère de l'Agriculture. Les 167 hectares sont affermés à une Société coopérative créée en 1919 par les anciens élèves de Grignon. Il s'y installe un Centre National d'Expérimentation, et les crédits supplémentaires permettent de construire de nouveaux bâtiments, logements et hangars.

A Rennes, il est possible d'aménager des dortoirs, terminés en 1921, et de transformer les sous-sols en réfectoire et cuisine, afin d'améliorer la vie des élèves. Les bâtiments d'exploitation tombant en ruines sont remplacés, une nouvelle ferme est construite avec des installations modernes ; une cidrerie et une laiterie sont bâties à proximité.

Rennes et Montpellier avaient été fermés durant la guerre, à Rennes s'était installé un Centre de rééducation professionnelle agricole pour les mutilés de guerre. Ces deux écoles reprennent leurs activités en 1918 avec 26 élèves à Montpellier et en 1919 avec une soixantaine d'élèves à Rennes. A Grignon, la promotion 1919 est de 129 élèves.

L'évolution du nombre d'élèves sortant des écoles permet de constater que ce sont Rennes et Montpellier qui voient leurs effectifs croître par rapport à l'avant-guerre. Le flux de sortie est équivalent à celui de la fin des années 1890, moment du plus fort développement de ces établissements.

Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire

Les ENA ont bien retrouvé une plus grande audience, mais on ne peut dire qu'il y a une forte hausse des effectifs des cadres supérieurs de l'agriculture puisque entre 1891 et 1918 il était sorti en moyenne 115 élèves par an des ENA. Le malthusianisme propre à l'enseignement supérieur se manifeste donc aussi dans l'enseignement professionnel agricole.

L'étude du devenir des anciens élèves des ENA est difficile car les statistiques sont rares et les définitions utilisées sont souvent ambiguës. Le tableau suivant permet cependant d'avoir une estimation des emplois des ingénieurs agricoles.

Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire

La proportion d'agriculteurs reste importante, notamment à Montpellier. Les fonctionnaires sont nombreux, en particulier à Rennes. La vocation des ENA à préparer à ces deux types d'activité paraît se maintenir, le pourcentage d'agriculteurs étant nettement plus élevé qu'à l'INA. Cependant, Grignon se différencie des deux autres ENA, car le nombre d'anciens élèves agriculteurs est en baisse régulière.

1890-94 : 54 % 1900-03 : 51 % 1910-13 : 49 % 1919-22 : 48 %

A Rennes, une enquête faite en 1930 sur 2.500 anciens élèves les répartit ainsi :

- Agriculteurs et Directeurs d'Industries Agricoles : 61 %

- Enseignement, Recherche, Expérimentation : 21 %

- Algérie et colonies : 6 %

- Étranger : 3 %

- Divers : 9 %

Le moins que l'on puisse noter, est que les critères de classification sont plutôt hétérogènes...

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, la situation matérielle des ENA s'est nettement améliorée, mais le flux d'ingénieurs n'a que peu augmenté. Il faut souligner qu'enseignants et anciens élèves souhaitent que la durée des études passe à trois ans.

  • Les sections d'application

La loi du 2 août 1918 prévoit dans son article 3 la création de "sections d'application". Une série d'arrêtés en date du 6 décembre 1920 crée plusieurs sections :

- une section d'application d'enseignement agricole pour la préparation des candidats au professorat d'agriculture,

- une section d'application de l'agriculture pour la formation des agriculteurs exploitants et des directeurs de grands domaines.

Ces deux sections assurent un enseignement itinérant entre l'INA et les trois ENA. Sont en outre créées à l'INA :

- une section d'application des Sciences chimiques, physiques et naturelles,

- une section d'application de la Mutualité et de la Coopération agricoles,

- une section mécanique agricole.

La durée des études dans ces sections va de 5 mois (Mutualité et Coopération) à 18 mois (enseignement).

Sont ensuite créées, une "Section d’Études Supérieures des industries du Lait" et une "Section d'application de Météorologie". Enfin, notons que l'Institut National d'Agronomie Coloniale, devenu ensuite l’École Nationale Supérieure d'Agriculture Coloniale de Nogent-sur-Marne, fonctionne comme établissement d'application avec sa "section agronomique" qui délivre le diplôme d'ingénieur d'agronomie tropicale après un an d'études.

La section d'application d'enseignement agricole est intéressante à analyser, puisqu'elle assure la formation des professeurs d'agriculture et des professeurs d'école d'agriculture, selon la loi du 2 août dans son article 4. L'organisation de la section fait l'objet d'un plan du Conseil de l'Inspection Générale de l'Agriculture, approuvé par le sous-secrétaire d’État à l'Agriculture. Un avis du 1er août 1920 le rend public. L'orientation générale de la formation est précisée dès le début du texte : « Les professeurs d'agriculture doivent connaître tout ce que savent les meilleurs agriculteurs ; la section d'application doit donc présenter une partie commune pour les futurs agriculteurs et pour les futurs professeurs ».

La section prend donc le nom de Section d'application d'agriculture et d'enseignement agricole, et assure une formation commune de 15 mois aux deux catégories d'ingénieurs. Puis les futurs professeurs suivent une formation pédagogique de 3 mois. Le nombre de places est au maximum de 30, dont la moitié pour les diplômés de l'INA.

Il y a une volonté très nette d'améliorer la qualification des enseignants, ce qui est un changement essentiel par rapport à la période précédente.

L'avis du Conseil de l'inspection générale de l'agriculture indique : « les transformations que feront subir à notre enseignement agricole de nouveaux programmes ne seront que superficielles si l'on s'intéresse plus aux réformes elles-mêmes qu'aux professeurs qui devront les appliquer ».

Ces ingénieurs obtiennent alors le diplôme d'aptitude à l'enseignement agricole. Ils peuvent être nommés professeurs stagiaires d'agriculture, chargés des fonctions d'adjoint à un directeur des services agricoles, ou faire des cours dans une école d'agriculture. La première promotion 1920-1921 compte 17 élèves.

La loi du 17 juillet 1927 transforme la section d'application d'enseignement agricole, en Section d'application de l'enseignement et des recherches, et la possession du diplôme de la section évite de passer le concours de recrutement en DSA ou en école d'agriculture. Mais parallèlement, l'obligation de suivre la section est abandonnée, un recrutement direct par concours peut avoir lieu, comme avant 1918.

En 1937, 214 élèves sont passés par la section, 44 pour la Recherche et l'Administration, 12 pour la spécialisation Agriculture. Ces chiffres montrent que la section agriculture a eu peu de succès, ce qui ne surprend guère. Se spécialiser après le diplôme d'ingénieur pour devenir exploitant ne paraît guère utile. En effet, ceux qui veulent s'orienter vers la production passent souvent par les ENA où ils acquièrent une certaine pratique, et leurs parents ont, dans certains cas, une exploitation agricole en propriété ou en fermage où ils peuvent s'exercer. La section forme donc essentiellement des enseignants, des chercheurs et des fonctionnaires de l'Administration centrale.

Les fonctions assurées en 1937 par les 202 anciens élèves de la section enseignement et recherche sont les suivants :

- 2 Inspecteurs régionaux de l'Agriculture,

- 39 Directeurs des Services agricoles,

- 10 Directeurs d’École pratique,

- 59 Professeurs adjoints dans une DSA,

- 21 Professeurs d'arrondissement,

- 27 Professeurs d’École pratique,

- 19 membres de la Recherche agronomique,

- 14 dans l'Administration,

- 11 Divers.

Les résultats de la formation sont estimés satisfaisants par le Ministère puisqu'à partir de 1932, le recrutement direct des professeurs, repris en 1927, est abandonné. Dorénavant, les postes de professeurs sont offerts aux diplômés de la section.

Les élèves de diverses écoles n'ont pas tous le même intérêt pour se diriger vers le professorat. Les statistiques le montrent pour quelques périodes.

Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire

Outre l'amélioration de la formation des enseignants, la loi améliore leurs traitements. « Tant vaut l'homme, tant vaut la chose : nous voulons avoir un enseignement agricole digne de notre pays, n'oublions pas d'accorder aux fonctionnaires qui se sont chargés de le donner, un traitement qui leur permettra de vivre ».

En effet, selon le rapporteur, les enseignants des fermes-écoles perçoivent les salaires fixés en 1848 (!). Pour les écoles nationales, ils remontent à 1870. Les relèvements fixés par le décret du 6 juillet 1920 sont de 25 à 100 %, selon les types d'écoles, mais le "coût de la vie" est à l'indice 426 en 1920, sur la base 100 en 1914. En fait, les traitements restent donc inférieurs à ceux d'avant guerre !

  • L’École Nationale d'Horticulture

L'article 1er de la loi du 2 août 1918 indique que « l’École nationale d'horticulture de Versailles est l'école supérieure de l'horticulture ».

Le but de l'ENH est de former pour les professions de l'horticulture, comme cela fut défini dans la loi de 1873. Les études durent trois ans, avec recrutement au niveau du brevet élémentaire, entre 16 et 26 ans. L'ENH a, depuis le début du siècle, accru le niveau de l'enseignement dispensé, arrivant ainsi à prendre place dans l'enseignement supérieur. Elle devient d'ailleurs lieu d'accueil d'une section d'application ; les professeurs spéciaux d'horticulture et les professeurs d'horticulture des écoles doivent être choisis au concours uniquement parmi les anciens élèves diplômés de l'ENH.

De 1874 à 1925, 800 élèves ont été diplômés de l'ENH.

Les anciens élèves ont établi en 1925 une statistique des débouchés sur 779 diplômés :

- horticulteurs, pépiniéristes, marchands grainiers, paysagistes, (entrepreneurs) : 23 %

- chefs de culture ou employés d'horticulteurs, conducteurs de travaux (salariés) : 30 %

- directeurs d'école, professeurs, chefs de pratique : 10 %

- jardiniers de l’État, de départements ou de villes : 10 %

- régisseurs de propriétés privées : 12 %

- divers : 15 %

La loi du 17 juillet 1927 donne aux diplômés le titre d'ingénieur horticole. Selon Chatelain, il y a 79 élèves en 1939.

  • L’École Nationale des Industries Agricoles

L'ENIA de Douai apparaît dans la loi comme accueillant une section d'application.

L'école a été pillée et endommagée durant la guerre, la restauration dure jusqu'en 1925. Le fonctionnement de l'école reste comparable à ce qu'il était avant 1914. A partir de la loi de finances d'avril 1926, les élèves obtiennent le titre d'ingénieur des industries agricoles, l'école étant pleinement assimilée aux ENA. En 1927, le concours porte sur les mêmes matières que celui des ENA.

En 1939, CHATELAIN estime qu'il y a 49 élèves à l'ENIA.

 

  • L'enseignement supérieur féminin

Contrairement à ce que prévoit la loi de 1918, le décret d'application du 24 décembre 1920 n'organise l'enseignement féminin qu'à l'Institut national agronomique. Alors que la section d'enseignement supérieur, créée en 1912 pour former les filles d'agriculteurs, a été supprimée par la loi, afin d'ouvrir les ENA aux jeunes filles, le décret d'application ne reprend pas cette disposition.

La "justification" de ce changement ? Selon Chatelain, les responsables de l'enseignement agricole pensent que « si un enseignement mixte semble possible à l'Institut où le régime est l'externat, il ne paraît pas sans danger dans les Écoles nationales, où la règle est l'internat ». Il s'agit, sans aucun doute, d'un prétexte puisque, nous l'avons vu, les ENA accueillent des externes.

Il convient plutôt d'en chercher la raison dans la conception de la femme d'agriculteur qui est véhiculée à l'époque par les dirigeants de l'Administration et des grandes organisations professionnelles. « L'activité agricole de la femme n'est pas mise en avant, mais elle n'est pas non plus mise à l'index ». La formation professionnelle pratique apportée par les ENA ne correspond donc pas à cette vision.

La possibilité d'entrée à l'INA apparaît comme purement "psychologique" car peu de familles sont disposées à faire suivre des études professionnelles de haut niveau à leurs filles. De 1918 à 1939, seules 19 jeunes filles deviennent ingénieurs agronomes !

Il y a donc, de fait, un recul dans les possibilités de formation agricole des jeunes filles, la Section d'enseignement supérieur de Grignon ayant disparu après avoir formé près de 80 élèves depuis 1912.

  • L’École nationale d'Agriculture pour Jeunes filles

Une loi du 9 août 1921 prévoit la création d’Écoles nationales d'Agriculture réservées aux jeunes filles. Il est donc dès lors certain que les responsables de l'enseignement agricole ne veulent pas donner une formation professionnelle identique aux jeunes filles et aux jeunes gens. Le prétexte des difficultés liées à l'internat a disparu.

La seule école créée en application de cette loi est l’École nationale d'Agriculture pour jeunes filles de Coëtlogon près de Rennes, installée à côté de l’École pratique qui date de 1886. Elle ouvre en novembre 1923 avec 36 élèves. Le but de l’École est de « préparer des agricultrices capables de participer à la direction d'une explication rurale et de bien remplir leur rôle de ménagères et de maîtresses de maison », l'orientation professionnelle est donc plus nettement affirmée qu'en 1912. Le recrutement se fait au niveau du brevet élémentaire, sur concours, ce qui traduit un relèvement du niveau de l'école. Mais la durée des études n'est que de un an, contre deux dans les ENA pour jeunes gens.

L'enseignement est théorique et pratique, l'aspect pratique étant dominant. En outre, la nécessité de former des "dirigeants d'exploitation" ne se traduit guère dans les programmes, il n'est retenu que quelques notions générales concernant l'agronomie, et ce sont surtout les techniques traditionnellement réservées aux femmes qui constituent l'essentiel de la formation.

Ce sont les professeurs de l'ENA de Rennes qui assurent l'enseignement de l'agriculture, l'enseignement ménager étant donné par des enseignantes spécialisées. Coëtlogon n'ayant pas d'exploitation agricole, les travaux pratiques portent sur la laiterie, l'aviculture et l'horticulture, mais surtout les élèves assurent la préparation des repas et tous les travaux ménagers de l’École. « Elles acquièrent de la sorte très rapidement une grande habileté manuelle et des principes d'ordre et de propreté qui les préparent d'une façon parfaite à leur vie future de ménagères rurales [...] Les travaux pratiques alternent de façon fort heureuse avec les cours théoriques, tout cela joint à la vie de famille et au bien-être dont les élèves jouissent à Coëtlogon, contribue puissamment à leur assurer une bonne santé et une gaieté constante » (sic).

Nous nee disposons pas de statistiques précises sur l’École de Coëtlogon, selon Chatelain, de 1935 à 1938, il y a 120 élèves, soit 30 par promotion. En évaluant l'effectif annuel à 30, ce sont donc environ 480 jeunes filles qui ont suivi cette formation durant la période étudiée.

  • La Section normale supérieure d'Enseignement Agricole et Ménager

Fondée en 1912 et installée dans les locaux de l'ENA de Grignon, elle fonctionne sans modification jusqu'en 1922. Puis, en 1923 on la transfère à Coëtlogon, réalisant ainsi un « Centre d'Enseignement agricole féminin » qui comprend en outre une école ménagère fixe et des cours temporaires.

A partir de 1924, ne peuvent se présenter au concours d'entrée que les jeunes filles ayant le diplôme de l'ENA de Coëtlogon. La formation des futures enseignantes est ainsi portée à deux ans, avec deux concours.

Très vite, la grande majorité des élèves de l'ENA s'oriente vers la section normale. L'ENA est alors amenée à modifier ses programmes pour mieux répondre aux besoins de formation des enseignantes. Cette évolution nous conduit à constater que les jeunes filles du milieu agricole qui sont prêtes à suivre une formation professionnelle longue ne voient comme perspective que le métier d'enseignante. Être femme d'agriculteur ne nécessite pas de suivre une année de formation à temps plein. Un autre élément oriente les jeunes filles vers l'enseignement : toutes les élèves de la section normale sont boursières de l’État, en échange d'un engagement de rester 5 ans dans l'enseignement agricole féminin.

En raison de restrictions budgétaires, à partir de 1932 les créations d'écoles ménagères sont arrêtées, et en 1936 la directrice de l’École ménagère de l'Aube, Mlle Tilquin, estime qu'une trentaine de jeunes filles formées à Coëtlogon attendent la création d'écoles nouvelles. Selon Louis Mila, le recrutement est même suspendu par arrêté du 17 avril 1934. René Chatelain pour sa part indique que le recrutement n'a pas eu lieu de 1935 à 1939. Et pourtant, Madame Aubert donne des statistiques de recrutement de la section normale jusqu'en 1939... Ce sont ces chiffres que nous reprenons dans le tableau suivant :

Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire

De 1923 à 1935, Chatelain donne 184 professeurs diplômés, et l'effectif fourni par Madame Aubert est de 263.

Ceci est une nouvelle preuve de la difficulté de trouver des statistiques cohérentes sur les effectifs de l'enseignement agricole. En fait, il semble qu'à partir de 1934, a été ouverte une « Section normale d'enseignement ménager agricole » pour la préparation d'institutrices à l'enseignement post-scolaire agricole.

 

L'enseignement supérieur agricole féminin est donc extrêmement marginal, chaque année il y a en moyenne :

- 1 ingénieur agronome,

- 30 diplômées de l'ENA de Coëtlogon,

- 18 professeurs d'enseignement ménager.

A ce niveau, on ne peut dire, comme Plissonnier, que la loi « résout complètement le problème » !

 

  • L'enseignement supérieur agricole dans les établissements universitaires

Le Ministère de l'Instruction publique, qui devient ensuite Ministère de l’Éducation nationale, continue d'assurer un enseignement agricole aux divers niveaux, ainsi que l'indique l'article 1er de la loi d'août 1918.

Depuis la fin du XIXe siècle, les Universités ont mis en place des enseignements concernant l'agriculture. Dans l'entre-deux-guerres cette situation évolue peu. Seuls vont connaître des transformations les Instituts agricoles de Toulouse et Nancy.

A Nancy, l'Institut agricole s'installe dans un bâtiment construit en 1931, près du Jardin Botanique de la ville. Ce bâtiment permet à l'Institut d'organiser son enseignement en s'appuyant sur des installations mieux adaptées.

Mais c'est l'Institut agricole de Toulouse qui connaît l'évolution la plus importante. L'Institut dispose, à la suite d'un don de la ville, d'une station de mécanique agricole. L'Université, avec l'aide du Conseil général, de la ville et de l’État, acquiert le domaine de Courrèges, de 11 ha, proche de Toulouse, pour y construire l'Institut. Mais en 1920, un adjoint au Maire de Toulouse, Marrot, fait don du domaine de Monlon, de 40 ha avec des bâtiments d'exploitation, situé à 7 km de la ville. En 1924 l'Université décide de vendre le domaine de Courrèges, situé de l'autre côté de la ville, et achète un deuxième domaine proche de Monlon, avec une ferme de 60 ha.

A partir de 1924, l'Institut Agricole dispose donc d'un domaine de 100 ha, au terminus d'une ligne de tramway, et peut, en outre, s'installer dans des locaux libérés à l'Université par la construction d'un Institut de Chimie. En 1925, il devient Institut d'Université, obtenant son autonomie budgétaire.

Ainsi, depuis 1920, l'Institut peut organiser un enseignement agricole qui n'est plus seulement théorique, se plaçant sur le terrain même des Écoles nationales d'Agriculture. Et le directeur de l'Institut affirme :

« A côté de l'Institut National Agronomique et des ENA, il y avait place pour un organisme d'enseignement supérieur destiné à faire l'éducation de futurs agriculteurs, de jeunes gens bien décidés à diriger eux-mêmes une exploitation agricole ». Les responsables de l'Institut, ont, par ailleurs, réduit au minimum le programme de mathématiques, car « les agriculteurs doivent être avant tout de bons observateurs et le sens de l'observation s'acquiert au contact de la nature et non par le maniement des chiffres et des formules ».

L'Institut recrute à 17 ans, des titulaires du baccalauréat, avec un examen d'entrée en sciences physiques et naturelles, et en mathématiques. L'enseignement dure 3 ans, avec des examens semestriels, théoriques et pratiques qui conditionnent le passage dans l'année supérieure. Le dernier semestre de 3e année, à partir de mars, est consacré à la préparation « d'un travail original, sorte de thèse, soutenu devant trois professeurs de l'Institut ». Les élèves ayant une moyenne de 12, sur les 3 années, obtiennent le diplôme d'ingénieur de l'Institut Agricole de l'Université de Toulouse. Si la moyenne est entre 10 et 12, l'étudiant reçoit un certificat d'études supérieures agricoles.

En 1925-1926, il y a 115 étudiants à l'Institut, dont beaucoup d'étrangers, selon le directeur. Celui-ci regrette que des fils d'agriculteurs aillent plutôt à l’École supérieure d'Agriculture de Purpan, créée par l'Institut catholique en 1919. Pour lui, la raison en est l'existence d'un internat à Purpan, qui manque à l'Institut d'Université. Selon ces chiffres, il sort donc entre 35 et 40 étudiants annuellement. Mais nous n'avons pas d'estimations sur le nombre d'ingénieurs diplômés.

Il faut encore noter qu'en 1933 les Établissements Amouroux cèdent à l'Institut le "Laboratoire du Blé et du Pain" qu'ils avaient fondé en 1931. Enfin, l'Institut organise, à partir de 1926, un enseignement agricole d'un an pour des instituteurs sortant des Écoles normales.

  • L'enseignement supérieur agricole privé

Créées à la fin du XIXe siècle, les diverses formes d'enseignement agricole privé se développent pendant l'entre-deux-guerres. Ses promoteurs insistent sur sa qualité première, "la souplesse", ils soulignent que « cet enseignement est uniquement orienté vers la formation des vrais professionnels, puisque la préparation à l'emploi de fonctionnaire n'est pas à envisager ». L'aspect confessionnel est nettement mis en retrait à cette période. Une nouvelle formule naît en 1935 avec la "Maison Familiale" de Lauzun.

Après Beauvais et Angers, deux nouveaux établissements supérieurs apparaissent, Purpan en 1919 et La Félicité en 1923.

L’École de Purpan, proche de Toulouse, est confiée aux Jésuites. Elle comprend deux sections :

- la "section des élèves ingénieurs", où l'enseignement théorique et pratique dure 3 ans. I1 s'agit que « le praticien débutant puisse par lui-même exécuter les travaux de son exploitation ». Les élèves de 1ère et 2e années travaillent eux-mêmes le domaine. A la fin de la 3e année les élèves reçoivent un certificat d'études agronomiques. Puis, après un an de stage, ils présentent un mémoire afin d'obtenir le diplôme d'Ingénieur d'agriculture,

- la "section des élèves-régisseurs", où les études durent 2 ans et sont surtout pratiques.

L’École de la Félicité, près d'Aix-en-Provence, est créée, semble-t-il, en 1923. Son enseignement fait une large place aux travaux pratiques, sur trois domaines d'une superficie totale de 70 ha. Les études durent deux ans et conduisent à un certificat, puis au diplôme d'Ingénieur-agriculteur.

En 1924, les 4 écoles supérieures se fédèrent afin d'assurer « l'éducation du chef dans le professionnel ». Selon Lavallée, les 4 écoles regroupent 350 élèves en 1925-1926.

Un autre établissement supérieur privé est créé en 1922, l'Institut Technique de Pratique Agricole, ITPA. Les fondateurs sont des ingénieurs agronomes, pour la plupart enseignants à l'Institut national agronomique, qui se groupent en coopérative, avec l'appui de personnalités, sous la conduite d'Eugène Tisserand, puis de Victor Boret, ancien Ministre de l' Agriculture.

Chaque année sont assurées deux sessions de 4 mois, à partir du 1er octobre et du 1er mars. L'objectif est de « donner dans le minimum de temps les principes substantiels de la pratique agricole étayée sur les théories les plus modernes de la science agronomique ». Les cours ont lieu le matin, l'après-midi est réservé aux travaux pratiques à la ferme d'application de Gournay-sur-Marne et à des visites diverses.

Les élèves des deux sexes, sont des personnes souhaitant « embrasser la carrière agricole », ils sont admis sans limite d'âge, avec le niveau minimum du baccalauréat. Ils obtiennent le diplôme d'Ingénieur Technique d'Agriculture.

De 1922 à 1925, Lavallée indique que l'ITPA a admis 325 élèves, dont 46 ayant moins de 20 ans, 225 de 20 à 40 ans et 55 de 45 à 65 ans. Il ajoute que « 3 dames, 8 jeunes filles se sont classées parmi les premières et plusieurs dirigent des exploitations importantes. ».

En 1936, Louis Mila recense 5 établissements supérieurs privés, mais l’École de la Félicité a disparu.

 

  • Conclusion

Lorsqu'en 1918 la Charte de l'enseignement agricole est votée, il semble que la France va se doter d'un ensemble d'établissements variés et répondant aux nécessités du développement de l'agriculture.

En fait, les moyens humains, matériels et financiers n'ont pas été accordés. Et la crise économique suivie des restrictions budgétaires de 1934-1935 vont bloquer l'amélioration qualitative de l'enseignement agricole public.

Le gouvernement de Front Populaire, conscient de la situation, a voulu procéder à une réforme de la formation professionnelle agricole, comme le prévoyait son programme. L'intervention du Ministre de l'Agriculture, Georges Monnet, lors du débat budgétaire en 1937, en porte témoignage.

« On s'est plaint de la misère des laboratoires des écoles vétérinaires. En réalité, il s'agit de tout l'enseignement agricole. On a laissé trop longtemps sans ressources suffisantes les établissements qui doivent à la fois poursuivre les expériences et les travaux de laboratoire indispensables au progrès agricole et assurer la formation des jeunes.

Nous préparons une législation qui établira le statut des écoles d'agriculture, écoles supérieures et écoles départementales, et rendra obligatoire l'apprentissage agricole.

Ainsi, on ne verra plus, comme aujourd'hui, cette catégorie de travailleurs agricole, peut-être la plus malheureuse de toutes, ces jeunes gens et jeunes filles de 12, 13 ou 14 ans disséminés dans les fermes où ils ne sont sous la protection d'aucune surveillance. Ainsi depuis la formation de l'enfant jusqu'à celle du savant, nous pourrons prendre toutes les initiatives utiles. C'est encore un projet que nous vous demanderons de voter rapidement ».

Le projet n'est pas présenté, le Front Populaire se disloquant en 1938.

Au total, donc, l'effort de l'Etat reste faible, l'enseignement moyen et l'enseignement primaire de l'agriculture étant pris en charge, de façon plus ou moins importante, par les communes et les départements. Nous sommes bien loin des envolées de Plissonnier en 1918 !

A la veille de la Première Guerre Mondiale, les flux annuels de sortie sont de 302 pour le supérieur, 1.906 pour le moyen et seulement 87 pour le primaire.

En 1938-1939, le niveau supérieur forme environ 360 cadres par an (+20 %). Les établissements du second degré se sont diversifiés et ils ont un flux de sortie de 6 070, soit plus de 3 fois le flux de 1913. Enfin, les cours postscolaires rassemblent 5 000 jeunes par an, résultat sans commune mesure avec les 87 diplômés des fermes-écoles. La population active agricole est alors de 7,2 millions de personnes.

Avec 250 000 jeunes entrant annuellement dans l'agriculture, on peut considérer que 4,6 % sont touchés et que moins de 3 % des jeunes sont formés. En 25 ans, la proportion de jeunes formés est passée au mieux de 1 à 3 %. Encore inclut-on dans les estimations le résultat d'enseignements ambulants et post-scolaires dont nous avons souligné les limites.

Comme au XIXe siècle, seul l'enseignement supérieur apparaît en progression réelle, même s'il ne répond pas assez aux besoins de formation d'enseignants et de cadres technico-économiques.

A travers les crises politiques et économiques, l'agriculture demeure pour la bourgeoisie un réservoir de main-d’œuvre et de capitaux. La prise de conscience de certains dirigeants de la nécessité de faire évoluer le travail agricole en modernisant les techniques, ne s'est pas traduite dans les faits. Pourtant, les DSA, les offices départementaux, ont fait évoluer les mentalités comme dans leurs domaines, les syndicats, partis et mouvements. Et les paysans commencent à ressentir le besoin de se donner des dirigeants venus de leur milieu, des "chefs paysans", formés humainement et professionnellement.

 

Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire

III - L'enseignement agricole durant la guerre

Le régime de Vichy décide en 1941 de promulguer une loi sur l'enseignement agricole. Mais, le Parlement étant "en congé", aucun rapport n'est publié, aucun exposé des motifs n'est présenté. Comme l'indique Chatelain, cette loi « fut mise en forme, dans le secret du cabinet, et dans un délai record, par deux ou trois hauts fonctionnaires, sans consultations notables ». Les orientations essentielles que le Pouvoir Vichyste veut donner à l'enseignement agricole sont les suivantes.

  • La loi du 5 juillet 1941

Reprenant la classification de 1848, l'article 1er organise l'enseignement agricole en trois degrés :

« Au premier degré : l'enseignement post-scolaire public agricole et l'enseignement public post- scolaire ménager agricole,

Au deuxième degré : 1ère section : les écoles saisonnières d'agriculture, les écoles d'enseignement ménager agricole, les écoles spécialisées, les écoles régionales d'agriculture ; 2e section : l'école nationale d'enseignement ménager agricole, les écoles nationales spécialisées.

Au troisième degré : les écoles nationales vétérinaires, l'école nationale supérieure d'agronomie ».

A lire cet article 1er nous pouvons noter que les écoles nationales spécialisées et l'école nationale de Coëtlogon sont descendues dans le second degré, même si c'est dans la 2e section. Quant à l'enseignement supérieur, il ne comprend que les écoles vétérinaires, qui apparaissent pour la première fois dans une loi sur l'enseignement agricole, et une École nationale supérieure d'agronomie, toute référence à l'INA, Grignon, Montpellier et Rennes est absente.

Enfin, il faut indiquer dès maintenant que la loi contient une innovation d'importance puisque l'enseignement privé est nommé dans le texte.

Cette loi qui porte « organisation de l'enseignement agricole public » prévoit en effet l'intervention des instituteurs et institutrices privés, dans le 1er degré, et autorise « les élèves de l'enseignement libre agricole » à passer l'examen du diplôme d'études agricoles du 2e degré.

Cette reconnaissance de l'enseignement privé est, bien sûr, la conséquence des choix politiques pétainistes sur l'école et le rôle de la religion. Il faut former les futurs agriculteurs et leurs futures épouses dans l'esprit de la "Révolution Nationale" avec des enseignants "bien choisis".

Les partisans du Corporatisme souhaitent d'ailleurs aller plus loin, comme l'exprime Louis Salleron en 1942 en considérant que si l'enseignement général appartient aux familles et à l’État, l'enseignement professionnel appartient aux professions et à l’État. Il rappelle l'article 7 de loi créant la Corporation Paysanne qui dit que celle-ci « a capacité pour régler dans le cadre de la législation [...] les questions relatives à l'apprentissage et à la formation des jeunes ruraux ». C'est pourquoi il affirme que « la profession doit être chargée par le législateur d'organiser l'éducation professionnelle, les ressources nécessaires à cette éducation étant fournies par les taxes prélevées sur l'activité économique de la profession ». L’État établira avec la profession les programmes, définira les titres nécessaires pour les maîtres, délivrera les diplômes, etc. Ces projets ne seront pas suivis d'effet, le gouvernement ne voulant pas se dessaisir de la formation par laquelle il désire contrôler la jeunesse.

La loi indique que l'enseignement agricole du 1er et du 2e degrés doit apporter aux élèves « un complément de culture générale ». Pour Chatelain il s'agit ainsi d'aider les paysans à lutter contre leur « complexe d'infériorité, [...] (et) à sortir de leur routine ».

En outre, selon Chatelain, la loi prévoit que l'enseignement agricole doit assurer « l'éducation morale, sociale et civique » des élèves. Ceci n'est indiqué à aucun endroit du texte de loi, mais Chatelain "imagine" la pensée du législateur. Et il précise ce que sont les résultats du manque d'éducation morale, sociale et civique :

Le paysan « est attiré par une vie plus séduisante et plus facile [,...] les sentiments moraux, les vertus traditionnelles, qui ont fait la solidité de la famille paysanne, qui ont entretenu aussi son souci du bien commun, son attachement au terroir, semblent [...] en décadence […]. Il n'a pas toujours une conscience suffisante d ses devoirs sociaux, de la solidarité des classes, des nécessités nationales ».

Si rien dans la loi ne reprend ses arguments, il est certain que l'idéologie agrarienne réactionnaire de Pétain est bien exprimée par Chatelain.

  • L'enseignement agricole du deuxième degré (2e section)

Les écoles situées dans cette section étaient jusqu'alors considérées comme établissements d'enseignement supérieur. Elles sont donc "frappées de déchéance" selon l'expression de Chatelain.

  • L'École nationale d'enseignement ménager agricole

Cette école est celle de Coëtlogon qui jusqu'en 1941 assurait la formation des professeurs de l'enseignement ménager agricole, ainsi que celles des futures femmes d'agriculteurs, "ménagères et maîtresses de maison". Mais ces dernières, nous l'avons vu, sont peu nombreuses, et la loi de 1941 entérine cette situation. Elle fixe, en effet, pour objet à l'école « la formation des cadres de l'enseignement ménager agricole du 2e degré (1ère section) ». Le secteur public doit, ainsi, abandonner la formation de niveau élevé des jeunes agricultrices à l'enseignement privé.

Ceci paraît normal lorsqu'on se souvient de la conception étroite du rôle de la femme prônée par Vichy. Mieux vaut une solide éducation religieuse traditionnelle pour cette femme qui doit être l'épouse et la mère. « Comme une abeille diligente affairée tout le jour de mille soins menus, voici la mère douce providence de la maison » ainsi que le décrit un ouvrage vantant la famille paysanne.

Coëtlogon, établissement public, prépare au seul métier féminin socialement acceptable pour les traditionalistes : l'enseignement. Les élèves sont recrutées sur concours, elles doivent avoir 18 ans au moins et posséder le baccalauréat, et non plus 16 ans et le brevet élémentaire. Les études durent deux ans, et non un an. Le programme comprend un enseignement scientifique, un enseignement technique agricole, un enseignement ménager, un enseignement pédagogique.

Mais malgré ce net relèvement de la formation, l'école rétrograde au 2e degré !

En mars 1943, l'arrêté d'application élargit timidement le champ d'action de l'école en ajoutant à son rôle de formation d'enseignantes « éventuellement des professions pour lesquelles des connaissances similaires sont exigées ».

Madame Aubert indique les effectifs suivants : 8 élèves en 1942, 13 en 1943, 10 en 1944 et 15 en 1945, ce qui parait extrêmement faible compte tenu du rôle dévolu à l'établissement.

 

  • Les écoles nationales spécialisées

Il s'agit de deux établissements, l'école nationale d'horticulture et celle des industries agricoles.

  • L'École nationale d'horticulture

Elle a pour objet « la formation des cadres de la profession horticole et de l'architecture paysagiste ». Elle succède à l'école nationale située par la loi de 1918 dans l'enseignement supérieur. Elle voit son objet élargi puisqu'elle doit assurer la formation des paysagistes, et son enseignement est amélioré. Des professeurs vont étoffer un corps enseignant qui ne disposait que d'une seule chaire, celle de physique - chimie, les autres enseignements étaient assurés par des vacataires.

Les candidats doivent avoir 17 ans, et non plus 16 ans, et satisfaire aux épreuves d'un concours du niveau baccalauréat, et non plus BEPC. Les études restent d'une durée de trois ans. Enfin, l'école délivre le diplôme d'ingénieur horticole, tout en étant dans le second degré...

En 1942, Rosier recense 100 élèves à l'ENH, soit environ 33 par promotion. En 1939, il y avait 79 élèves.

  • L'École nationale des industries agricoles

Elle doit assurer « la formation des cadres techniques des industries agricoles ». L'arrêté d'application précise qu'elle a pour but « la formation d'ingénieurs spécialisés dans la conservation et le traitement des produits agricoles en vue de la fabrication des denrées alimentaires ou de matières à usage industriel ».

Les candidats doivent avoir au moins 17 ans, au lieu de 16, et passer un concours qui exige deux années de préparation après le baccalauréat mathématiques, au lieu d'être du niveau de la première partie du baccalauréat.

Les études durent trois ans au lieu de deux ans et donnent toujours le diplôme d'ingénieur des industries agricoles. L'école s'est repliée à Paris en raison de l'occupation.

En 1942, Rosier recense 45 élèves, soit 15 par promotion, ce qui est très faible, et de même ordre qu'en 1939 où l'effectif était de 49 élèves.

Le niveau des trois écoles nationales est nettement relevé, et pourtant elles se retrouvent dans le 2e degré ! Ceci paraît confirmer l'hypothèse de Chatelain qui estime que le Directeur de l'Enseignement agricole a voulu « que "son" École nationale supérieure d'agronomie [...] trône seule, orgueilleusement, au sommet de la pyramide [...] ». Rien, en effet, ne justifie le nouveau classement si l'on s'en tient au niveau des études. Enfin, notons que le nombre de cadres formés ne connaît que peu de variations.

  • L'enseignement agricole du troisième degré

Il comprend les écoles nationales vétérinaires, régies par des textes particuliers et qui sont hors du champ de notre étude, et l'école nationale supérieure d'agronomie.

  • L'École nationale supérieure d'Agronomie

Cette école remplace donc l'Institut national agronomique et les Écoles nationales d'Agriculture. C'est donc la réforme la plus importante contenue dans la loi de 1941.

Les Écoles Nationales étaient critiquées car, recrutant des élèves ayant échoué au concours de l'INA ou n'osant pas s'y présenter, elles faisaient figure de "sous-institut". En outre, leurs effectifs sont en baisse. Par ailleurs, l'enseignement donné à l'INA apparaît comme trop théorique, il faut donc une formation plus concrète. Du même coup, l'INA se rapproche des ENA, tout en gardant un enseignement scientifique de haut niveau. Ceci conduit donc à la décision de créer l’École nationale supérieure d'Agronomie, l'ENSA qui doit former les « cadres supérieurs de l'agriculture ». L'enseignement est consacré à « l'étude des sciences physiques, biologiques et économiques dans leurs rapports avec la production agricole et les diverses formes de l'activité rurale ».

La durée des études passe de 2 à 3 ans. La 1ère année, tous les élèves sont à Paris, dans les locaux de l'ancien INA, pour recevoir un enseignement général scientifique. La 2e année, ils doivent être à Grignon pour compléter leur formation scientifique, acquérir une formation technique, tout en suivant les travaux de l'exploitation. Pendant la 3e année, il est prévu de les répartir entre les diverses écoles et sections d'application pour qu'ils se spécialisent : outre les écoles nationales du Génie Rural, des Eaux et Forêts, et des Haras, 3 sections sont proposées aux étudiants :

- une à Grignon pour former les professeurs de l'enseignement agricole, les cadres des organisations professionnelles et les agriculteurs exploitant dans la moitié Nord de la France,

- une à Paris et Grignon pour former les ingénieurs s'orientant vers les stations de recherche et les laboratoires,

- la troisième, enfin, à Montpellier, dans l'ancienne ENA, pour former les spécialistes en viticulture et les agriculteurs travaillant dans les régions méridionales ou les colonies.

Ainsi, seule l'école de Rennes disparaît totalement.

Les étudiants qui en sont « jugés dignes » reçoivent à la fin de la 3e année, le diplôme d'ingénieur d'agronomie.

Les anciens élèves des ENA protestent aussitôt devant la disparition de leurs écoles, d'autant que le diplôme délivré, celui d'agronome, les conduit à voir derrière la réforme un "complot" des "Agros" contre les "Agris".

L'ENSA doit former les cadres supérieurs de l'agriculture, comme le faisait l'Institut national agronomique, fonctionnaires des services techniques du Ministère et cadres des organisations agricoles intégrées dans la Corporation paysanne, ainsi que des entreprises liées à l'agriculture. Mais la disparition des Écoles ntionales met en danger les possibilités de formation des grands exploitants, ainsi que des « fonctionnaires de terrain », directeurs des services agricoles et professeurs d'agriculture, et ceci malgré les sections prévues à Grignon et Montpellier.

Face à la protection des anciens élèves, exploitants et fonctionnaires départementaux dont l'hostilité serait dangereuse pour la politique agricole de Vichy, l'application de la loi est retardée. Un facteur matériel doit également être pris en compte : la difficulté de loger simultanément 270 étudiants à Grignon, soit 200 pour la 2e année et 70 pour la 3e. En outre, un tel nombre d'étudiants suppose un fort encadrement d'enseignants pour assurer une réelle formation expérimentale.

Les candidats admis au concours de mai 1942, sont en fait répartis entre l'Institut et les trois Écoles nationales, et l'application de la loi est reportée à 1943. Mais une loi nouvelle va annuler celle de 1941.

Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire
  • La loi du 12 Juin 1943

Cette loi modifie la loi du 5 juillet 1941 dans deux domaines : l'enseignement post-scolaire et l'enseignement supérieur. Il faut ajouter que les dispositions concernant les instituteurs et les institutrices privés sont regroupées dans un article 20 bis, sans aucune modification de contenu.

La nouvelle loi revient sur celle de 1941 en rétablissant dans l'article 1er « les écoles nationales d'agriculture, l'Institut national agronomique et ses sections spécialisées ». Elle ne fait que prendre acte des blocages qui n'ont pas permis de mettre en place l’École nationale supérieure d'agronomie.

La situation antérieure à 1941 est ainsi rétablie. La loi précise que les établissements d'enseignement supérieur ont pour objet « la formation des cadres supérieurs techniques, professionnels et administratifs de l'agriculture ». Les ENA assurent un enseignement qui « vise,en particulier, la formation des élites de la profession agricole »". La spécificité de ces écoles par rapport à l'INA est ainsi soulignée.

Il faut noter que la loi de 1941, modifiée en 1943, reste, pour l'essentiel, applicable jusqu'en 1960...

IV – L'après–guerre 1945-1960

La loi de 1943, « provisoirement applicable », n'inclut dans le supérieur que les Écoles nationales d'Agriculture, l'INA et ses sections spécialisées. Mais, dès la fin de la Guerre, les autres écoles nationales demandent à reprendre leur place dans l'enseignement supérieur. C'est la loi du 13 janvier 1954 qui réintègre l'École nationale des Industries agricoles et alimentaires et l’École nationale d'Horticulture dans le "troisième degré". Par contre, nous l'avons vu, l’École nationale d'Enseignement ménager agricole est maintenue dans le 2e degré.

  • L'Institut national agronomique

Depuis 1941, la durée des études est de 3 ans, mais de 1945 à 1960 il n'y a pas de modification importante dans l'enseignement.

ÉVOLUTION DES EFFECTIFS

(élèves entrant en 1ère année)

1945

110

1952

110

1946

115

1953

106

1947

100

1954

119

1948

123

1955

122

1949

114

1956

120*

1950

111

1957

115

1951

120*

 

 

Source : INSEE. * : Estimations

Le flux d'entrée est donc stable durant ces années d'après-guerre. Le nombre de places disponibles est suffisamment bas par rapport au nombre de candidats (7 à 800) pour qu'elles soient remplies sans difficultés.

Les "sections spécialisées" de 3e année sont au nombre de 3 :

- section scientifique : formation pour l'enseignement supérieur et la recherche agronomique,

- section agriculture-élevage : formation des ingénieurs et professeurs pour les DSA et les écoles d'agriculture, des agents de vulgarisation pour les organismes publics ou privés,

- section des industries agricoles' : formation d'ingénieurs et chefs d'entreprise.

En ce qui concerne le devenir des anciens élèves de l'INA, R. Pasquet donne les chiffres suivants dans son rapport de 1954 au Conseil économique, pour les promotions sorties de 1947 à 1951 :

- exploitants..............................................................................11 %

- administration …...................................................................55 %

- industries et commerces agro-alimentaires ….......................20 %

L'INA continue donc à fournir les cadres de l'Administration et de l'économie comme avant-guerre.

  • Les écoles d'application

La 3e année de l'INA s'effectue dans les sections de spécialisation ou dans les écoles d'application, qui sont au nombre de 4.

L’École nationale des Eaux et Forêts à Nancy, l'École nationale du Génie rural à Paris et l’École du Haras du Pin (Orne) ont une scolarité de 2 ans. Elles fonctionnent sans changement depuis l'entre-deux guerres.

Une nouvelle école d'application apparaît en 1946 : l’École nationale supérieure des Sciences agronomiques appliquées, l'ENSSAA. Un décret du 3 août 1946 transforme le Professeur d'Agriculture en Ingénieur des Services agricoles, reconnaissant ainsi la pluralité de ses missions. Le 21 novembre 1946, un nouveau décret crée l'ENSSAA en remplacement de la section d'application de l'Enseignement et des Recherches.

« L'ENSSAA a pour but d'assurer la formation :

1 - des ingénieurs du corps des services agricoles,

2 - des professeurs des établissements d'enseignement agricole,

3 - des ingénieurs spécialisés du service de la Protection des végétaux ».

Contrairement aux 3 autres écoles d'application, les études ne durent qu'un an. Mais ne peuvent être admis que les ingénieurs agronomes ayant effectué leur 3e année dans la section "agriculture-élevage". Les ingénieurs sortent donc de l'ENSSAA 4 ans après l'entrée à l'INA, comme leurs collègues du Génie Rural, des Eaux et Forêts ou des Haras, recrutés en fin de 2e année de l'INA.

En outre, l'ENSSAA recrutent des ingénieurs agricoles et, sur concours, des ingénieurs horticoles pourvus d'une licence.

Le programme de formation reste, globalement, celui d'avant 1940. L’École n'a pas de locaux propres et elle est hébergée par l'INA, il n'y a pas non plus de corps enseignant permanent.

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En 1951, le Ministère crée le corps des Ingénieurs des Travaux Agricoles, ITA, et y intègre une partie des Ingénieurs des Services Agricoles, en les déclassant, notamment ceux qui assurent des fonctions d'enseignement. Celui-ci apparaît donc comme inférieur à l'activité de vulgarisation ou d'administration.

En 1955 des postes supplémentaires sont créés afin de former le personnel nécessaire à la transformation des écoles pratiques en écoles régionales et à l'accroissement du personnel des DSA. En 1957, obligation est faite de servir un an en Algérie à la sortie de l'ENSSAA. Enfin, en 1959 la vulgarisation est mise sous la responsabilité des organisations professionnelles agricoles et les ingénieurs sortant de l’École sont affectés à l'enseignement agricole.

Selon un rapport publié en 1960, le pourcentage moyen des étudiants d'origine agricole admis à l'ENSSAA oscille autour de 15 %.

  • Les Écoles nationales d'Agriculture

Les ENA de Grignon, Rennes et Montpellier ne connaissent pas de transformations majeures durant la période étudiée. Notons qu'en 1946 l'Institut agricole d'Alger est promu École nationale, mais il est en dehors de notre étude.

Les élèves des ENA s'orientent de moins en moins vers la production agricole, et beaucoup plus vers l'encadrement technico-économique de l'agriculture.

 

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Chatelain relève en 1951 que parmi les anciens des ENA il y a 29,8 % d'exploitants, mais 55,4 % chez les 70 ans et plus, contre 22 % chez les moins de 30 ans.

  • L’École nationale des Industries agricoles et alimentaires

L’École nationale des Industries agricoles est, depuis 1941, dans le second degré, malgré une scolarité portée à 3 ans en 1943. En 1946 le Ministre de l'Agriculture fixe les 2 premières années à Paris et la 3e à Douai.

Le niveau de l'enseignement est relevé, ainsi que le programme du concours d'entrée, qui s'aligne sur celui de l'entrée à l'INA en 1955. Le concours devient commun avec l'INA en 1957.

La loi du 13 janvier 1954 replace l'ENIA dans le supérieur et lui donne son nouveau titre en manifestant son orientation vers les industries alimentaires.

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  • Les Écoles nationales supérieures agronomiques

Les Instituts Agricoles de Toulouse et Nancy sont transformés en ENSA, respectivement en 1948 et 1953.

  • L'ENSA de Toulouse

Par le décret du 2 novembre 1948, l'Institut Agricole de l'Université de Toulouse devient École nationale supérieure agronomique, en s'appuyant sur un décret de 1947 créant les Écoles nationales supérieures d'Ingénieurs (ENSI).

Cette ENSA demeure sous la tutelle de l’Éducation nationale.

Le programme se modifie progressivement, avec 2 années d'études communes et 1 année de spécialisation. Celle-ci est conçue des 1956 « en respectant certains principes, caractéristiques de l'Agronomie :

- éviter les spécialisations trop étroites pour conserver à l'ingénieur l'esprit de synthèse propre à toutes les sciences biologiques ;

- permettre, dans l'avenir, des réadaptations ou des changements de carrière plus faciles ; tout en tenant compte des besoins en cadres supérieurs des différentes branches de l'activité agronomique et agricole ».

Les sections de spécialisation sont au nombre de 3 :

- scientifique : carrières de l'enseignement et de la recherche ;

- technique : carrières de la pratique agricole ;

- économique : carrières se rattachant aux études économiques, coopération, gestion, etc...

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En outre, depuis 1954, l'ENSAT organise un stage d'un an pour la formation des maîtres chargés de l'enseignement des sciences dans les CEG ruraux. De 1954 a 1960 le stage rassemble 15 enseignants chaque année.

A noter qu'à partir de 1948 l'ENSA s'installe peu à peu dans ses propres locaux.

  • L'ENSA de Nancy

Par un décret du 4 avril 1953, l'Institut agricole de Nancy est également transformé en ENSA. Un concours d'entrée commun est mis en place avec Toulouse, mais il y a, à partir de 1958, un concours spécifique à l'ENSAN réservé aux étudiants ayant un certificat de propédeutique.

 

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Il faut noter que les ingénieurs des ENSA sortent 4 ans après le bac, alors que ceux des ENA ont suivi 5 ans d'études.

 

  • Bilan

L'évolution de l'enseignement supérieur agricole est fort lente, le seul élément important est la mise en place, par l’Éducation nationale, des ENSA de Toulouse et Nancy.

Ce qui apparaît comme surprenant est qu'en une période où l'insistance est mise sur la modernisation de l'agriculture et des entreprises qui lui sont liées, le nombre de cadres supérieurs formés chaque année n'évolue pas.

Les ingénieurs formés par le Ministère de l'Agriculture en 1960 sont moins nombreux qu'en 1939 !

 

Histoire de l'enseignement supérieur agricole et vétérinaire
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Conclusion

Entre 1945 et 1960, dans le supérieur public, il y a un effort de l’Éducation nationale, mais qui ne compense pas le malthusianisme de l'Agriculture.

L'enseignement privé, pour sa part, développe essentiellement le niveau primaire avec des formules à temps partiel. Le second degré et le supérieur demeurent peu importants quantitativement.

La politique d'aide à l'enseignement privé, à partir des lois Marie et Baranger de 1951, favorise les Maisons Familiales comme l'enseignement catholique, et ceci sans contrôle réel des formations.

Un autre phénomène va renforcer le mouvement : les organisations professionnelles agricoles, dirigées par le courant agrarien à partir de 1950, veulent « gérer elles-mêmes les affaires agricoles ». Face à l’État, elles revendiquent la responsabilité de la définition et de la mise en œuvre de la politique agricole. Ceci se traduit, à l'extrême, par la campagne 'd'action civique de la FNSEA.

Quant à la formation supérieure elle est en "quasi stagnation" avec 500 cadres par an.

En ce qui concerne la satisfaction des besoins en cadres supérieurs, une étude de M. Vermot-Gauchy sur les « Perspectives 1955-1960 des besoins en ingénieurs » est éclairante. L'auteur estime que 12 700 ingénieurs diplômés des divers établissements publics et privés d'enseignement supérieur agricole, travaillent en France. Parmi eux 42,7 % sont dans l'agriculture (production, transformation, distribution), 33 % sont dans les services publics, et 24,3 % travaillent hors de l'agriculture. A ces 12 700 ingénieurs exerçant en France, il faut en ajouter 3 610 qui sont à l'extérieur de la métropole.

Il y a donc environ 16 000 ingénieurs diplômés de l'enseignement agricole en activité. Avec une période d'activité de 30 ans en moyenne, il faut un renouvellement de 533 ingénieurs par an. C'est-à-dire que le nombre d'ingénieurs formés estime à 550 correspond seulement à ce renouvellement.

L'enseignement supérieur n'est pas en mesure de répondre aux nécessités de l'expansion économique, formulées à plusieurs reprises par le gouvernement. I1 y a un malthusianisme persistant à ce niveau, certainement entretenu par les Associations d'anciens élèves et la conception étroite du rôle des "grandes écoles" qui évoluera les années suivantes.

Durant ces 25 ans de transformation rapide, le progrès agricole s'est réalisé essentiellement grâce à la motorisation, à l'utilisation d'engrais et de variétés végétales et animales plus productives, au savoir-faire des agriculteurs et à l'accroissement du volume des capitaux investis dans la production et la transformation. Mais des gains de productivité importants sont encore possibles en diminuant la main-d'œuvre agricole, pour la transférer vers les entreprises industrielles et commerciales en pleine "restructuration".

La qualification de la main-d'œuvre agricole dans son ensemble ne commence à devenir une réelle nécessité pour le développement de la formation économique et sociale française qu'au début des années 60. Jusqu'à ce moment l'enseignement agricole, considéré avant tout comme un des moyens du contrôle politique de la paysannerie, ne ressent qu'indirectement les évolutions qui traversent l’Éducation nationale et son enseignement technique. Plus d'un siècle après la création de l'enseignement agricole public, il y a moins de 3 agriculteurs sur 100 qui ont bénéficié d'une formation professionnelle organisée.

V - La loi du 2 août 1960

Elle maintient les établissements d'enseignement supérieur agricole dépendant du ministère de l’Éducation nationale. Elle prépare une modification profonde de l'enseignement supérieur agronomique.

Le décret d'application du 20 juin 1961 prévoit la création d'un enseignement supérieur court avec les BTSA, préparé dans des sections spécialisés des lycées agricoles. Le même décret précise que l'enseignement supérieur agricole « 'assure aux titulaires du baccalauréat […] la formation d'ingénieurs spécialisés en agriculture, d'ingénieurs horticoles, d'ingénieurs des industries agricoles et alimentaires, d'ingénieurs agronomes et de docteurs vétérinaires.

En outre, il contribue au perfectionnement des ingénieurs et participe à la promotion supérieure du travail en agriculture notamment par des concours spéciaux […].' »

La formation d'ingénieurs spécialisés en agriculture est donnée dans des écoles nationales spécialisées qui recrutent par concours au niveau du bac ou sur titres, ou dans des écoles privées. Les études durent 3 ans, leur sanction est le diplôme d'ingénieurs spécialisés en agriculture, avec mention de l'école d'origine. Ce seront les Écoles nationales d'ingénieurs des techniques agricoles, ENITA, créées à partir de 1963.

Dans certaines de ces écoles existent une section pédagogique et technique préparant au certificat d'aptitude pédagogique à l'enseignement technique agricole.

Les Écoles nationales féminines d'agronomie, ENFA, assurent dans une section dite « de la formation des cadres », la formations des cadres moyens de l'agriculture et des professions connexes et dans une autre section dite « pédagogique et technique », la préparation du certificat d'aptitude au professorat dans les collèges et écoles agricoles.

Le recrutement des ENFA se fait par concours ouvert aux bacheliers et titulaires du diplôme de technicien. Les études durent deux ans; et trois ans pour préparer le certificat d'aptitude au professorat.

L’École nationale supérieure féminine d'agronomie, ENSFA, assure la formation des cadres supérieures de l'agriculture. Les études durent quatre ans et aboutissent au diplôme des hautes études féminines agronomiques.

L’École nationale d'Horticulture de Versailles devient École nationale supérieure d'Horticulture dont le concours de recrutement peut être commun avec celui des ENSA. Les études durent 3 ans et débouchent sur le diplôme d'ingénieur horticole de Versailles. Il existe en outre une section spéciale du paysage et de l'art des jardins formant des paysagistes D.P.L.G.

La formation des ingénieurs des industries agricoles et alimentaires est assurée par l’École nationale des industries agricoles et alimentaires de Douai – Massy qui devient École nationale supérieure des industries agricoles et alimentaires. Les études durent 3 ans. Le concours est commun avec les ENSA.

D'autres ingénieurs spécialisés dans diverses branches des industries agricoles et alimentaires sont formés dans des établissements dépendant soit du ministère de l'Agriculture, soit du ministère de l’Éducation nationale. Il s'agit, en 1961, d'établissements sous tutelle de l’Éducation nationale : l’École de laiterie de l'Université de Nancy, l'École de brasserie et de malterie de Nancy et l’École française de meunerie de Paris.

La formation des ingénieurs agronomes à vocation générale est assurée par les Écoles nationales supérieures agronomiques définies comme des ''établissements à la fois d'enseignement et de recherche''. Il s'agit de l'Institut national agronomique de Paris, des Écoles nationales d'agriculture qui deviennent Ecoles nationales supérieures agronomiques de Grignon, Rennes, Montpellier et Alger, pour celles dépendant du ministère de l'Agriculture, et de celles de Nancy et Toulouse pour l’Éducation nationale.

Il est instituée par arrêté commun des ministres de l'Agriculture et de l’Éducation nationale une commission consultative permanente de l'INA et des autres ENSA. Elle a pour objet d'assurer un développement d'ensemble de l'enseignement supérieur agricole et suggère toute mesure appropriée à l'orientation et à l'harmonisation des programmes.

Le recrutement des ENSA se fait par concours, après deux années dans les classes préparatoires des lycées. L'admission au concours consacre la possession d'une formation scientifique de base qui constitue le premier cycle de la formation agronomique. Les deux premières années d'ENSA constitue le deuxième cycle, sanctionné par le diplôme d'agronomie générale délivré par l'école. Des licenciés ès sciences peuvent être admis en 2e année.

Un formation spécialisée, dans une branche de l'agronomie, d'une durée d'une année complète la formation agronomique générale. Elle est donnée, soit dans des sections spécialisées des ENSA, soit dans des établissements agréés, soit dans la première année des écoles d'application formant les ingénieurs des différents corps du ministère de l'Agriculture.

La sanction de la formation agronomique générale et spéciale est le diplôme d'ingénieur agronome, portant mention de l'école d'origine. La délivrance de ce diplôme est étendue aux candidats admis à partir du concours de 1961, dans les ENSA.

Cette extension inquiète les ''Agros'', et l'exposé des motifs de la loi de 1960 s'en fait l'écho : « Il convient cependant d'affirmer que l'attribution d'un tel titre ne peut que sanctionner un enseignement supérieur à base biologique, du niveau le plus élevé. En aucun cas cette attribution ne doit aboutir à un abaissement du niveau moyen actuel des ingénieurs agronomes. En conséquence les dispositions préalables nécessaires devront être prises tant pour ce qui est le concours d'entrée que pour ce qui est du personnel et du programme d'enseignement des ENSA, afin que ce niveau soit non seulement maintenu mais encore amélioré. » Un passage tout à fait étonnant !

Des centres de 3e cycle dans les disciplines agronomiques peuvent être institués dans les ENSA en accord avec les facultés des Universités. Ils préparent à des doctorats de 3e cycle, sous la direction d'un professeur de l'INA ou d'une autre ENSA. La thèse peut être soutenue au plus tôt à la fin de la 2e année suivant l'obtention du diplôme d'ingénieur. Les centres sont créés sur décision conjointe des ministres de l’Éducation nationale et de l'Agriculture. Ils fonctionnent sous l'autorité des doyens des facultés concernées.

Chaque ENSA dispose d'un corps enseignant qui lui est propre.

La formation vétérinaire est donnée dans les Écoles nationales vétérinaires d'Alfort, Lyon et Toulouse, qui sont des établissements d'enseignement et de recherche. Le recrutement se fait par concours, la durée des études est de 4 ans. Elles sont sanctionnées par le diplôme des Écoles nationales vétérinaires, et par le doctorat vétérinaire délivré par la faculté de médecine dans le ressort de laquelle est située l'école.

Création d'établissements:

1962 – École nationale d'ingénieurs des travaux ruraux et techniques sanitaires de Strasbourg

1963 – ENITA de Bordeaux

École nationale féminine d'agronomie, ENFA de Toulouse

1964 – ENFA de Marmilhat ;

École nationale supérieure féminine d'agronomie, ENSFA de Rennes

1965 – ENITIAA de Nantes

1966 - École nationale d'ingénieurs des travaux des eaux et forêts, à Nogent-sur-Vernisson

- École nationale du génie rural, des eaux et des forêts, ENGREF, à Paris

- École nationale supérieure des sciences agronomiques appliquées, ENSSAA , transférée à Dijon

- Institut national de formation des professeurs certifiés de l'enseignement agricole, INFPCEA, annexé à l'ENSSAA

- Institut national de Promotion supérieur agricole, INPSA, de Dijon

- Institut national de recherches et d'applications pédagogiques, INRAP, de Dijon

- ENITA de Dijon - Quétigny

1968 - Transformation de l'ENFA de Toulouse en École nationale de formation agronomique, ENFA

1969 – Transformation de l'ENFA de Marmilhat en ENITA

1971 – ENITHP d'Angers

1979 - École nationale vétérinaire de Nantes

 

Les lois du 9 juillet et du 31 décembre 1984 redéfinissent les missions de l'enseignement supérieur.

Les établissements d'enseignement supérieur constituent, soit directement, soit par contrat, le service public dans le cadre des principes de la loi du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur, dite ''loi Savary''.Mais, les formations dispensés et les diplômes étant différents, les missions sont formulées de façon spécifique pour les établissements publics et pour les établissements privés.

L'enseignement supérieur agricole public a pour mission :

  • d'assurer la formation initiale et continue d'enseignants, d'ingénieurs et de cadres spécialisés en agriculture et dans les activités connexes de l'agriculture, ainsi que de vétérinaires,

  • de participer à la politique de développement scientifique par les activités de recherche fondamentale et appliquée poursuivies dans les laboratoires et départements d'enseignement et les services cliniques des écoles nationales vétérinaires,

  • de concourir à la mise en œuvre de la politique de coopération technique et scientifique internationale.

L'enseignement supérieur agricole privé sous contrat a pour mission :

  • d'assurer la formation initiale et continue d'ingénieurs qui se destinent à être agriculteurs, animateurs du développement agricole et rural, dirigeants et cadres d'entreprises de la filière agro-alimentaire, enseignants, chercheurs spécialisés dans les problèmes agricoles et connexes,

  • de participer à la politique du développement agricole et rural par les activités de recherche fondamentale et appliquée,

  • de concourir à la mise en œuvre de la coopération internationale

Ces missions sont précisées par la loi du 25 janvier 1990 relative à l'adaptation de l'exploitation agricole à son environnement économique et social et reprises dans le Code rural.

 

La première mission de l'enseignement supérieur agricole public est rédigé ainsi :

« dispenser des formations scientifiques, techniques, économiques et sociales, en matière de productions végétales ou animales, de transformation et de commercialisation de ces productions, d'industries agro-alimentaires et d'alimentation, d'industries liées à l'agriculture, de santé et de protection animales, d'aménagement , de gestion et de protection de l'espace rural, de la forêt et des milieux naturels.

A ce titre, il assure la formation d'ingénieurs, de paysagistes, de cadres spécialisés, de responsables d'entreprises, d'enseignants, de chercheurs ainsi que celle des vétérinaires. »

La première mission des établissements privés s'élargit pour reprendre l'intégralité de celle dévolue aux établissements publics, à l'exception de la formation des vétérinaires.

Il est prévu que les établissements d'enseignement supérieur agricole publics peuvent passer des conventions de coopération avec des établissements d'enseignement supérieur agricole privés pour assurer la mission de formation initiale et continue.

Un décret du 21 février 1992 portant statuts particuliers des corps d'enseignants-chercheurs des établissements d'enseignement supérieur publics relevant du ministère chargé de l'agriculture. Ce texte crée les corps des maîtres de conférences et des professeurs pouvant exercer dans l'ensemble des établissements selon une procédure de recrutement par concours dans un établissement puis par mutation sur les postes mis au mouvement.

 

Éléments bibliographiques

Annales agricoles de La Saulsaie

Annales de l'Institut national agronomique

Annales de l'Institution royale agronomique de Grignon

Association des Anciens Elèves. Le centenaire de l'École Nationale d'Agriculture de Grand-Jouan – Rennes. Rennes, 12-14 juillet 1930. Rennes, ENA, 1930, 120 p.

Association Amicale des Anciens Élèves de Grignon. Un siècle d’enseignement agricole. Centenaire de Grignon. Saumur, Imp. Rolland, 1926, 272 p. et 151 p.

Association amicale des Anciens élèves. École supérieure d’agriculture et de viticulture d’Angers, 1898-1948. Angers, Editions de l’Ouest, 1948, [54 p.]

CANIOU, Janine. L’enseignement agricole féminin, de la fin du 19 e siècle à nos jours. Thèse de 3e cycle en Sociologie de l’Education, Université René Descartes-Paris V, 1980, 316 p. + un vol. d’annexes, 55 p. 

CHATELAIN, René. L’agriculture française et la formation professionnelle. Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1953, 491 p. 

FRANCOIS de NEUFCHATEAU. Essai sur la nécessité et les moyens de faire entrer dans l’instruction publique l’enseignement de l’agriculture, lu à la Société d’Agriculture du département de la Seine dans les séances des 4 et 14 Nivôse an X. Paris, Huzard, 1802, 120 p.

GENSAC, Henri de, S.J. Histoire de l’École supérieure d’agriculture de Purpan, 1919-1977, en annexe, Purpan de 1977 à nos jours. Toulouse, ESA Purpan, 1996, 361 p. 

HOUDAILLE, F. L'École Nationale d'Agriculture de Montpellier. Montpellier, Coulet et fils, 1900, 260 p.

MATHIEU de DOMBASLE, Alexandre. « Réflexions sur quelques branches de l'enseignement public en France », In : Œuvres diverses. Paris, Vve Bouchard-Huzard, 1843, 550 p. 

Ministère de l’Agriculture. Rapport sur l’enseignement agricole en France publié par ordre de Monsieur VIGER, ministre de l’agriculture. Paris, Imprimerie Nationale, 1894, 2 tomes. 270 et 214 p. T. 1 TISSERAND, Eugène. « Considérations générales et législation ». T.2 GROSJEAN. « Rapport et monographie des diverses institutions d'enseignement agricole ».

NICOLAS, G. « Les instituts agricoles des facultés » In : Association des anciens élèves de Grignon. Un siècle d’enseignement agricole … op. cité, pp. 199- 211

NIVIÉRE, Césaire. L’Institut Agricole de La Saulsaie. Lyon, Imprimerie Barret, [1845], 66 p.

PLISSONNIER, Simon. La réforme de l’enseignement agricole. Paris, Dunod, 1919, 413 p.

VERMOT-GAUCHY. « Compte-rendu de la commission ''Besoins de la nation en ingénieurs'' ». Congrès national des ingénieurs français. Toulouse, 13-16 avril 1961, Recueil des travaux. Toulouse, Imprimerie Fournie, 1961, 160 p.

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