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L'école des paysans

Enseignement agricole et développement rural : la formation des ingénieurs enseignants. [1979]

8 Novembre 2018 , Rédigé par Michel Boulet Publié dans #Vulgarisation. Développement

Depuis les années cinquante, il a beaucoup été question des "investissements intellectuels" et du rôle important de la formation dans le développement des sociétés. Dans de nombreux pays, il est cependant un secteur où la formation est très réduite et où l'évolution économique et sociale pose de multiples problèmes humains : l'agriculture. C'est ainsi qu'en France, en 1955, seuls 3,3 % des agriculteurs avaient suivi une formation agricole, en 1970, il n'y en avait que 8,3 %, mais le pourcentage montait à 37,2 pour les moins de 35 ans. Le retard est donc important par rapport à d'autres pays européens. C'est cette question de l'enseignement agricole et de ses relations avec le développement rural que nous voulons aborder ici.

l L'évolution de l'enseignement agricole en France.

La constitution même de l'enseignement agricole explique pourquoi une faible part de la paysannerie française a une formation professionnelle. Au XVIIIe siècle se développe en France l'engouement pour ''agronomie" dans la bourgeoisie éclairée ; un débat s'instaure sur les moyens d'améliorer les techniques culturales et l'outillage. Les plus intéressés sont les bourgeois propriétaires de terre qu'ils veulent rentabiliser au mieux. Les Sociétés d'Agriculture diffusent les sciences de la nature parmi la bourgeoisie de province.

Les conditions de vie des producteurs agricoles préoccupent peu les propriétaires terriens, les voyages d'Arthur Young en portent témoignage. Ils suivent d'ailleurs, en cela, l'exemple des grands propriétaires britanniques. La recherche de l'amélioration des techniques agricoles et de l'accroissement du rendement des terres est faite, avant tout, dans l'idée de tirer profit et prestige des domaines en culture. Les grands propriétaires vont ainsi jouer un rôle essentiel dans l'expérimentation et la diffusion des plantes et systèmes de culture nouveaux.

A la fin du XVIIIe siècle, après la Révolution de 1789, François de Neufchateau, qui a reconstitué la Société Centrale d'Agriculture, déclare : « C'est la classe des propriétaires et des fermiers aisés à laquelle il importe, pour les progrès de l'art, de donner les lumières et le goût de l'Agriculture ». Et il ajoute que la création de chaires d'enseignement doit précéder celle des fermes expérimentales, « comme en médecine les écoles de théorie ont précédé les établissements de professeurs de clinique ».

Voilà précisée l'orientation que l'on va retrouver pendant des décennies l'enseignement professionnel agricole doit privilégier la formation supérieure s'adressant aux couches riches (propriétaires ou fermiers) et cette formation doit d'abord être théorique.

Lorsque l'enseignement agricole public est organisé en 1848, cette conception de la formation est reprise, afin d'attirer les capitaux vers l'agriculture. Il s'agit, en formant des agriculteurs et de "hautes intelligences" à l'Institut national agronomique, de donner confiance aux capitaux afin de les voir s'investir dans "l'industrie rurale". Et le texte officiel précise que l'argent « recherche toujours le capital de l'intelligence et du savoir, qui sait le faire fructifier ».

Les autres niveaux de cet enseignement agricole doivent former des métayers, fermiers ou contremaîtres (fermes-écoles) et des chefs d'exploitation comparables aux ingénieurs de fabrication dans l'industrie (écoles régionales). Mais surtout cet enseignement doit détourner les jeunes ruraux de la ville où règnent les « théories anti-religieuses et immorales » qui sont apparues lors de la Révolution de février 1848.

En ce milieu du XIXe siècle, l'enseignement agricole a deux missions essentielles, retenir les ruraux dans les campagnes en les attachant à la bourgeoisie capitaliste, former les cadres qui permettront « d'opérer une véritable révolution dans les sciences appliquées à l'agriculture ».

Le modèle de développement agricole qui apparaît à travers l'organisation de l'enseignement, ressemble beaucoup au modèle britannique étudié par Marx, avec cadres moyens et supérieurs comme dans l'industrie. Cette conception de l'évolution de l'agriculture a pour conséquence, comme dans l'industrie, de réserver la connaissance scientifique à l'encadrement qui met au point la production. Quant aux producteurs eux-mêmes, une formation minimum par apprentissage est suffisante.

En fait, en France, la voie de développement de l'agriculture sera très différente. Les rapports sociaux de production ne sont pas de type capitaliste, bien que le secteur agricole soit intégré dans la formation économique et sociale capitaliste. Il y a "décomposition de la paysannerie", avec éclatement des communautés rurales anciennes, et maintien d'un nombre important d'exploitations familiales. Durant plus d'un demi-siècle, l'agriculture et le secteur rural, isolés par le protectionnisme, vont être dominés économiquement, politiquement et idéologiquement.

L'idéologie de l'éternel paysan est confortée par l'existence des exploitations de polyculture-élevage à forte main-d’œuvre familiale. L'évolution technique est faible, les rendements stagnent. L'agriculteur acquière donc sa formation "sur le tas" avec son grand-père et son père. L'enseignement agricole ne concerne qu'une frange d'agriculteurs (3 % environ), seule est assurée la formation des cadres de haut niveau, bien qu'en nombre limité.

Les connaissances scientifiques et techniques se constituent donc, pour l'essentiel, à l'extérieur de la production agricole, et pénètrent lentement le secteur agricole, par l'action d'institutions économiques dont les cadres sont rarement issus de l'agriculture. Les décisions orientant l'évolution du milieu rural échappent à la masse des agriculteurs. Il y a toujours développement dominé pour l'agriculture.

Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, la situation va être profondément transformée. Le Premier Plan de Développement demande l'accroissement rapide de la productivité du travail agricole, les missions de productivité, retour des U.S.A., multiplient les propositions et expériences. En quelques années, la mécanisation se généralise. Le modèle individualiste proposé aux agriculteurs à partir de 1947-1948, conduit à une "sur-mécanisation", avec une charge financière importante pour les petits et moyens agriculteurs.

Afin d’améliorer la productivité, des sessions de formation sont organisées pour les agriculteurs. Axées d'abord sur les questions de mécanisation, elles s'orientent rapidement vers la gestion et l'écoulement des produits.

Les lois agricoles de 1960 vont être le point de départ d'une nouvelle politique agricole. Il s'agit de promouvoir une agriculture qui ne soit plus un frein pour l'économie nationale, mais qui devienne un élément moteur. L'agriculture « demande à être rentable, elle demande à pouvoir profiter du progrès scientifique et technique, elle demande enfin pour ses produits une commercialisation moderne » affirme le Premier Ministre, Michel Debré. Le fondement en est « l'exploitation familiale rentable », à deux unités de main-d’œuvre. C'est l'apparition officielle de deux agricultures, l'une "dynamique et commerciale", l'autre "marginale" ou de "subsistance". La bourgeoisie abandonne ainsi l'idéologie de l'unicité de l'agriculture, mais elle continue à véhiculer le discours sur les valeurs d'ordre et de travail des paysans, fondement de la société française.

Le projet de développement proposé est de mettre en place une agriculture mécanisée, spécialisée, à forts investissements, utilisant les sciences et techniques. Ceci va conduire à donner une place nouvelle à la formation initiale et continuée dans le secteur agricole ("investissements intellectuels").

L'enseignement agricole, modifié par la loi d'août 1960, doit assurer à la fois la formation générale des ruraux et la formation professionnelle des agriculteurs et cadres du secteur agro-industriel. Il se constitue une nouvelle fois en dehors du système général d'éducation, puisqu'il est rattaché au Ministère de l'Agriculture. Il véhicule un modèle d'évolution du milieu rural et de l'agriculture constitué à l'extérieur de ce milieu et s'appuyant sur une rationalité économique et technique de type capitaliste.

L'enseignement agricole est caractérisé par la présence d'ingénieurs-enseignants, ingénieurs d’agronomie et ingénieurs des travaux agricoles, qui assurent les enseignements techniques et économiques. Les ingénieurs d'agronomie, formés à l'E.N.S.S.A.A., viennent en majorité de la petite et moyenne bourgeoisie ; une infime minorité vient des lycées agricoles.

Formés dans les grandes écoles scientifiques, imprégnés des valeurs dominantes du capitalisme industriel, ces ingénieurs-enseignants véhiculent "naturellement" l'idéologie de la rationalité économique capitaliste. Ils doivent former des chefs d'entreprises agricoles qui, utilisant leurs connaissances scientifiques, raisonnent économiquement leurs décisions. Pour cela, on fait appel à l'exemple des agriculteurs "de pointe" et à la modélisation des exploitations. Ce modèle est celui de l'entreprise à responsabilité individuelle cherchant la rentabilité capitaliste.

Ce modèle est en contradiction avec la réalité du milieu agricole où exploitation et famille sont étroitement liées, pour ne pas dire confondues. En outre, le milieu lui-même n'est pas étudié, on parle de façon rapide de "l'environnement de l'exploitation", en y incluant les structures économiques liées à l'exploitation (sphère agro-industrielle) et quelques références aux organismes de "développement" agricole (ex-vulgarisation).

L'agriculture est alors conçue comme un milieu résistant qu'il faut secouer et remodeler. Les activités rurales doivent se plier aux exigences du développement social global et à la rationalité de l'aménagement capitaliste. Le rural est perçu à la fois comme secondaire et comme frein à l'évolution. Les sciences et techniques, apportées de l'extérieur par des fonctionnaires, doivent permettre à l'agriculture de s'intégrer dans le mode de production capitaliste. Ceci implique la négation de l'histoire rurale et de l'expérience des pratiques agricoles antérieures.

Le mode de production dominant désintègre les structures sociales rurales, sans les remplacer pour autant par un autre type de communauté. L'agriculture apparaît composée d'un agglomérat d'exploitations familiales baignant dans un milieu défini essentiellement par des fonctions économiques.

Le manque d'intérêt des agriculteurs pour la formation professionnelle ainsi définie, devient compréhensible. Les valeurs proposées, les modèles d'exploitations présentées sont trop étrangers, voire contradictoires avec la réalité dominante qu'ils connaissent. L'enseignement représente un monde différent et risquant de détruire le milieu auquel ils sont attachés1. Ceci semble confirmé par le succès relatif des institutions de formation créées par des familles paysannes, véhiculant les valeurs familiales traditionnelles et donnant une place importante à l'apprentissage sur l'exploitation agricole paternelle2. Ces formations sont de bas niveau, mais sont intégrées à la communauté rurale, d'où leur attrait parmi les petits et moyens agriculteurs.

2 Un autre enseignement agricole ?

Les formateurs, qu'ils soient enseignants en lycée, formateurs d'adultes, techniciens chargés de la diffusion des innovations, ont ainsi été conduits à se demander : Pourquoi les agriculteurs sont-ils peu "demandeurs" de formation professionnelle, pourquoi la formation semble-t-elle avoir peu d'effet sur le développement agricole ?

Bien évidemment, les raisons essentielles de cette situation sont la nature de la formation économique et sociale française et des rapports sociaux de production dominants. Les tendances du développement agricole sont définies par l'évolution de l'économie capitaliste, à travers la sphère agro-industrielle. Et l'attitude des agriculteurs vis-à-vis de la formation ressemble à celle des ouvriers, qui ne voient pas l'effort fait pour se former se traduire par un gain (financier ou social).

Cependant, diverses recherches et analyses ont permis de dégager d'autres éléments qui conduisent à modifier la conception traditionnelle de l'enseignement agricole.

Nous 1'avons vu, les sciences et techniques agricoles se sont trouvées placées hors de l'agriculture et de la paysannerie. L'enseignement agricole a été chargé de diffuser cette science agricole dans le milieu agricole, de façon "rationnelle". Ce fut notamment cette conception qui conduisit à reprendre dans l'enseignement le découpage scientifique mis au point par les agronomes du XIXe siècle.

Or, les études sur la prise de décision des agriculteurs (Petit, 1979), comme l'analyse du métier d'agriculteur (Marshall, 1978), amènent à reconsidérer tout cela. C'est ainsi que l'on a pu mettre en évidence que les résultats techniques des exploitations sont liés à la situation familiale et foncière, et à l'existence de projets du chef d'exploitation3. Ainsi, des ménages âgés sans enfant, sont moins enclins à faire des changements importants qu'un jeune ménage avec enfants. Ceci conduit à dire que le choix des techniques de production peut et doit être analysé dans le contexte global du projet de l'agriculteur relatif à son exploitation et à sa famille. Il est donc nécessaire de prendre en compte l'ensemble des éléments qui peuvent influencer l'agriculteur au moment de sa décision et ne pas seulement considérer une rationalité technico-économique purement théorique et limitée à l'exploitation agricole.

Les savoirs utiles à l'agriculteur sont nombreux et leur combinaison est complexe, selon les niveaux d'analyse préalables à la décision : animal, plante ; sol ; matériel, équipement ; parcelle, troupeau ; système de production ; famille ; environnement de l'exploitation (naturel, socio-économique, culturel).

D'autres travaux insistent également sur la nécessaire prise en compte des connaissances pratiques des agriculteurs, issues de 1'expérience, et sur le réexamen de l'utilité des techniques justifiées essentiellement par des connaissances scientifiques nouvelles (Teissier, 1979).

Tout ceci amène les enseignants à tenter de faire acquérir les savoirs à travers des démarches plus globales et interdisciplinaires.C'est le cas de l'étude d'exploitation comme "système" ou de l'étude d'une petite région (ou

"étude du milieu"), à travers des approches techniques, économiques, historiques, sociologiques, ..., cela permet d'abandonner le modèle de l'"homo œconomicus" ou celui de "1'éternel paysan", pour acquérir une vision plus dynamique et évolutive du milieu rural. Une attention nouvelle est portée à l'histoire et aux cultures régionales qui aident à comprendre la réalité actuelle.

La volonté de mieux saisir la réalité sociale suppose de reconsidérer la division des sciences et techniques et d'intégrer des disciplines nouvelles : histoire, ethnologie, ... Il ne s'agit donc pas d'un retour en arrière, par un rejet de connaissances théoriques, mais au`contraire d'une tentative pour comprendre plus précisément la société. Les connaissances théoriques, mieux ancrées dans la pratique sociale des agriculteurs, leur permettent une action plus efficace sur leur milieu, en prenant en compte les divers niveaux de définition de leurs objectifs. Il en est de même pour les techniciens qui participent directement,ou indirectement, à l'évolution du milieu agricole.

Un enseignement agricole participant à l'évolution du milieu, permettant aux agriculteurs d'être réellement partie prenante aux décisions les concernant (Boisseau, 1974), suppose un changement de structures, mais aussi une formation des enseignants, puis des jeunes, axée sur la connaissance de la réalité sociale du milieu ou ils sont insérés.

3 Réflexions sur la formation des ingénieurs-formateurs4

L'enseignement agricole français se caractérise notamment par l'existence d’ingénieurs d'agronomie, ingénieurs employés par l’État pour "la diffusion des sciences agronomiques et l'information en matière de techniques agricoles en vue de l’adaptation continue de l'agriculture aux conditions de la production"

Situés ainsi à la fois dans le secteur de la formation initiale et dans celui de la formation des adultes, mais aussi ayant à faire avec le développement agricole, les ingénieurs d'agronomie sont dans une situation ambigüe et conflictuelle Ils sont en effet formateurs "au" et "par" (le) changement technico-économique dans un milieu en mutation. Il est donc nécessaire de penser et d'organiser la formation de ces ingénieurs-formateurs comme une réflexion sur la nature et les enjeux - nature et enjeux sociaux et culturels - de ce changement en agriculture.

Ceci peut se réaliser par l'approche méthodique de ce qu'est la ''situation" de l'ingénieur d'agronomie, selon une démarche comparable à ce qui a été réalisé pour définir le "métier d'agriculteur" et en dégager des progressions et contenus de formation (Marshall, 1978).

Ce qui définit la place de l'Ingénieur d'Agronomie, ce sont les rapports complexes entre trois champs de référence, eux-mêmes complexes :

* la référence d'abord à une compétence technique ("ingénieur") et scientifique (ingénieur à orientation, de fait, plus théorique que pratique),

* la référence ensuite à une compétence administrative et politique (l'ingénieur d'agronomie est "aussi" un fonctionnaire)

* la référence enfin à un groupe social, à des groupes sociaux, qualifié(s) par leur pratique de l'agriculture ; pratiques sociales et culturelles renvoyant à une visée de changement socio-culturel.

La formation de l'Ingénieur d'Agronomie se conçoit donc à travers un parcours dans ces trois champs de référence :

- situés chacun dans son contexte global (mouvement des sciences et des techniques, évolution de la nature et des formes de l'intervention de l’État, rapports de la "ruralité" à la société industrielle, ...)

- et pris dans l'ensemble des relations singulières qui les unissent - ou les séparent... - (question des rapports entre orientation de la recherche scientifique et technique d'une part, et politique agricole ou politique d'aménagement rural d'autre part. Question des rapports entre techniques "scientifiques" et pratique techniques des agriculteurs, etc...).

En tant que "technicien" en effet, si l'Ingénieur d'Agronomie doit bien d'abord acquérir une réelle compétence de zootechnicien, de phytotechnicien ou d'économiste, il doit aussi, en tant précisément que technicien "formateur" avoir une connaissance sociologique et épistémologique de la constitution du savoir qu'il met en œuvre, conduire une réflexion sur les processus d'apprentissage et de diffusion, sur les effets de ce savoir en milieu rural...

En tant que fonctionnaire, agent de l’État, il doit être à même de pouvoir resituer ses interventions par une connaissance théorique et pratique des institutions dans lesquelles ou avec lesquelles il aura affaire - de ce qu'elles sont, de leur fonctionnement, par une connaissance aussi de ce qu'il en est de la politique agricole, de la politique de formation, de la politique de développement, mais plus généralement aussi par une réflexion sur la place et la signification du "service public" (ce qu'il est, les lignes d'évolution qui le traversent, ce qu'il pourrait être...).

En tant qu'agent de changement socio-culturel enfin, l'Ingénieur d'Agronomie doit, à la fois posséder une bonne connaissance du "milieu" dans lequel il est amené à travailler, une bonne connaissance des processus de l'échange et de la communication sociale - des phénomènes d'"acculturation" en particulier. Il doit être à même d'envisager la question du rapport entre orientations de développement et devenir social et culturel de ce milieu rural.

Cette conception de la formation de l'Ingénieur d'Agronomie repose également sur l'idée que ces enseignants sauront transposer leur propre processus de formation à la formation des agriculteurs, techniciens, agents de développement,..., qu'ils auront à assurer.

X

X X

Le processus de développement met à jour de nombreuses contradictions. Certaines sont liées plus directement à l'évolution des sciences et des techniques, d'autres à la nature des rapports sociaux dominants (Casanova, 1978). Nous avons abordé ici essentiellement le premier type de problèmes, en soulignant la nécessaire remise en question de l'enseignement agricole apportant de l'extérieur la connaissance à un monde retardataire. L'échange permanent entre l'enseignement et la pratique sociale des agriculteurs et des divers acteurs du développement nous paraît essentiel ; ceci aussi bien dans les programmes qu'à travers les institutions. Mais cette réflexion est aussi la critique de la division sociale capitaliste, où la masse des producteurs est écartée du savoir, puisque "guidée" et "conseillée" par des spécialistes.

Les agriculteurs ont ainsi été dépossédés du pouvoir de décision sur les transformations de leur milieu et de leur métier. Seule une minorité peut arriver à faire prendre en compte ses revendications. Et l'on arrive aujourd'hui au moment où le producteur agricole est considéré comme "un maillon de la chaîne agro-alimentaire".

En France, durant les 130 ans de son histoire, l'enseignement agricole a toujours été un outil pour la mise en œuvre de la politique agricole du Pouvoir. Comme tout enseignement, il est le reflet de la société civile où il s'est constitué, et il participe à la reproduction des rapports sociaux de production.

 

C'est donc de bien autre chose que d'une "réforme" de l'enseignement agricole dont nous parlons ici.

 

Références

- BOISSEAU, Pierre. « La participation des agriculteurs français aux programmes de développement économiques ». Sociologia Ruralis, n° 1-2, 1974.

- BOULET, Michel, COUDRAY, Léandre et COUTENET, Jean. Formation permanente et milieu rural. Paris, Les Éditions ESF-SME, 1975.

- BOULET, Michel. L'évolution de l'enseignement agricole en France (1789-1977). Dijon, ENSSAA, 1979.

- BROSSIER, Jacques. Projets et situation des agriculteurs. Étude de l'évolution des exploitations agricoles du Choletais – 1965-1973. INRA-ESR, octobre 1974.

- CASANOVA, Antoine. « Techniques, société rurale et idéologie en France à la fin du XVIIIe siècle ». Annales Littéraires de l'Université de Besançon. Paris, Les Belles Lettres, 1978.

- Chaires de Sciences Humaines de 1'ENSSAA. Propositions d'orientation pour la formation initiale des Ingénieurs d'Agronomie. Dijon, ENSSAA, 1979.

- Groupe de Recherche INRA-ENSSAA. Pays, Paysans, Paysages dans les Vosges du Sud, les pratiques agricoles et la transformation de 1'espace. Dijon, 1977.

- KERVINIO, Monique et CAVESTRO, William. « Le développement socialiste de l'agriculture et les transformations sociales dans le village en Hongrie ». Recherches Internationales n° 90, 1979.

- MARSHALL, Eric. « Analyse de l'exploitation agricole et formation de l'agriculteur ». Bulletin de l'INRAP n° 35, 1978.

- PETIT, Michel. « Pour une approche globale de l'exploitation agricole ». Bulletin de l'INRAP n° 38, 1979.

- TEISSIER, Jean Henri. « Relations entre techniques et pratiques. Conséquence pour la formation et la recherche ». Bulletin de l'INRAP n° 38, 1979.

Michel BOULET

École Nationale Supérieure des Sciences Agronomiques Appliquées - Dijon - France

Ce texte est la version "enrichie" par diverses discussions, de la communication présentée par l'auteur lors du 10e Congrès Européen de Sociologie rurale à Cordoba (Espagne) ''La croissance économique et le développement régional'', 5-7 avril 1979.

 

1 Il est intéressant de noter que le même rejét de l'enseignement professionnel a été constaté dans les pays socialistes après la réforme agraire (Kervinio et Cavestro, 1978).

2 Ce qui permet aussi de continuer à disposer de la main-d'oeuvre gratuite que représente le fils ou la fille. Ce qui peut être un élément indispensable à l'agriculteur en difficulté.

3 Groupe de recherche INRA-ENSSAA (1977) ; Brossier, Jacques (1974).

4 Cette partie reprend les éléments d'un document élaboré par les Chaires de Sciences humaines de l'ENSSAA (1979).

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